Les membres du gouvernement néerlandais sont réputés pour être des tenants de la ligne dure sur les questions commerciales et d’investissement. Ils affichent une volonté d’assurer un haut niveau de protection aux investisseurs et prêtent une moindre attention aux coûts sociaux et environnementaux des pratiques des entreprises. Considérée comme l’une des économies les plus ouvertes d’Europe, l’idée que le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI, en anglais TTIP) aurait d’immenses retombées économiques pour les Pays-Bas est largement partagée. L’économie hollandaise est centrée sur les exportations. La position officielle est que le TTIP pourrait aider le commerce européen à sortir de la crise.
Débat public et contre-offensives
Le caractère secret des négociations a eu pour conséquence une très faible attention des médias et de l’opinion publique sur l’un des plus importants accords de libre-échange jamais négocié. Cette dynamique a changé lorsqu’une coalition issue de la société civile s’est réunie pour discuter d’une stratégie d’action collective et d’influence du débat public. Une tribune [1] écrite par deux philosophes du droit de l’Université de Leiden sur le manque de contrôle citoyen et de transparence sur les négociations a participé à alimenter le débat. En réaction, la ministre des Affaires Étrangères, Lilianne Ploumen, ainsi que le commissaire européen au commerce, De Gucht, ont lancé une contre-offensive dans le journal quotidien hollandais NRC. De Gucht déclare qu’ « [ils] ne font rien de secret », alors que Ploumen explique que les négociations seraient inutiles si elles étaient menées de façon totalement transparente.
Le débat public s’est plus spécialement porté sur le mécanisme d’arbitrage entre État et investisseurs et sur le pouvoir des arbitres à faire fi de l’intérêt général afin de défendre les droits et les intérêts des entreprises privées. Ce système de justice privé est inscrit dans la majorité des accords de libre-échange et connu sous l’appellation de « mécanisme de règlement des différends entre investisseur et État » (en anglais ISDS, Investor-State Dispute Mechanisms). Il offre aux investisseurs le droit exclusif de porter une réclamation contre des États s’ils mènent une politique ayant pour conséquence potentielle de réduire leurs bénéfices futurs. Cela a amené des entreprises à poursuivre des États pour la mise en œuvre de politiques publiques défendant l’intérêt général.
Philip Morris poursuit l’Uruguay
Prenons deux exemples : Philip Morris a entamé une action en justice contre l’Uruguay pour avoir décidé de contrôler plus strictement le packaging des paquets de cigarettes. Quant à l’entreprise suédoise de production et de distribution d’énergie Vattenfall, elle poursuit l’Allemagne pour avoir imposé des normes de qualité de l’eau à ses centrales à charbon et pour avoir pris la décision politique majeure de sortir du nucléaire. La vague d’actions en justice qui a suivi les mesures prises par la Grèce, l’Espagne et l’Italie pour faire face à la crise financière [2] sont d’autres preuves que les accords commerciaux et d’investissement encouragent les comportements rapaces de la part des investisseurs.
Alors que la majorité des différends en matière d’investissement sont intentés par des investisseurs américains, cela devrait nous alerter sur le risque potentiellement élevé d’inclure un mécanisme de règlement des différends au sein du TTIP. Comme l’auteur du rapport Profiting from injustice, Cecilia Olivet, l’affirme : « Ce n’est qu’une question de temps avant que les contribuables américains et européens commencent à en payer le prix. Non seulement notre argent servira à payer pour les onéreuses poursuites judiciaires, mais nous paierons aussi le démantèlement des régulations sociales et environnementales visant à libérer la voie aux bénéfices des grandes entreprises. »
Le « Golden Standard »
Après les États-Unis, les Pays-Bas est le second pays d’origine des plaintes des investisseurs contre les États. En 2012, les Pays-Bas avaient déjà signé 89 traités bilatéraux d’investissement (TBI), ce qui fait de ce pays un leader mondial de la protection de l’investissement. Les traités bilatéraux d’investissement hollandais sont connus pour garantir une protection et des droits étendus aux investisseurs étrangers.
Combinée à un environnement fiscal favorable aux entreprises, cette situation a mené au phénomène de « treaty-shopping » : des entreprises s’établissent aux Pays-Bas pour bénéficier des protections offertes par les TBI hollandais qu’elles utilisent pour poursuivre des États, y compris à l’occasion leur propre pays d’origine. Le gouvernement hollandais a exprimé le souhait de maintenir au moins le même niveau de protection aux investisseurs (connu comme le « Golden Standard » hollandais) dans les futurs accords de libre-échange signés par l’Union Européenne.
Rapport parlementaire et audition publique
Comme le gouvernement hollandais n’a jusqu’ici jamais fait l’objet d’une réclamation par un investisseur, les parlementaires ne réalisent pas le danger d’inclure un système d’arbitrage dans le TTIP. Lors d’un débat organisé le 22 avril dernier à Amsterdam pour les élections européennes, débat coordonné par la coalition de la société civile néerlandaise Fair Green and Global Alliance, des députés européens de tous bords ont chaudement débattu sur le TTIP. Bas Eickout (écologiste) a exigé de ses adversaires politiques qu’ils se positionnement clairement : « Voterez-vous pour ou contre le TTIP s’il inclut un chapitre sur le mécanisme de règlement des différends ? ». Même le parti le plus libéral (VVD) a dit qu’il n’y serait pas forcément favorable.
En novembre 2013, le parlement hollandais a demandé au gouvernement de conduire une étude sur les impacts potentiels de l’inclusion d’un mécanisme de règlement des différends dans le TTIP. Le ministère des Affaires Étrangères est en train de préparer cette analyse et la ministre Lilianne Ploumen a promis au Sénat de ne pas seulement analyser les risques économiques mais aussi les risques politiques. Cependant, ni les risques découlant du Golden Standard hollandais, ni l’effet sur les pays pauvres, en particulier quand le TTIP posera les bases des futurs accords de commerce et d’investissement, n’ont été intégrés au débat jusqu’à aujourd’hui.
Que votera le prochain Parlement européen ?
Pendant ce temps, le débat prend de l’ampleur à travers les Pays-Bas. Une action publique a été organisée le 19 mai, juste avant les élections européennes. Ce même jour, une audition publique s’est tenue au Parlement sur les possibles impacts matériels et politiques qu’un tel accord de libre-échange avec les États-Unis pourrait avoir sur les normes sociales et environnementales et les conditions de travail.
Des questions majeures subsistent : l’audition remettra-t-elle en cause l’environnement réglementaire actuel offert aux investisseurs privés ? Les résultats des élections européennes offriront-elles une chance que le vote contre le TTIP soit majoritaire au Parlement Européen ? La recherche commandée par le parlement hollandais est menée par un universitaire conservateur qui s’est plusieurs fois positionné en faveur d’un système d’arbitrage entre États et investisseurs, ce qui laisse croire à beaucoup de personnes et d’organisations que les conclusions sont déjà écrites. Malgré tout, pour le pays le plus favorable aux investisseurs en Europe, le fait qu’un débat vif sur les potentiels impacts négatifs du TTIP se soit installé au Parlement et dans les colonnes des journaux marque une avancée majeure.
Hilde van der Pas (Transnational Institute)
Photo : CC Campact
Cette tribune a initialement été publiée en anglais ici.
Lire sur le même sujet :
– la tribune de Pia Eberhardt du CEO (Allemagne) ;
– la tribune de Ilana Solomon du Sierra Club (Etats-Unis)
– la tribune d’Amélie Canonne de l’association Aitec (France)
Photo du débat : René Vlak