Les migrants réfugiés continuent d’affluer à Vintimille, à la frontière entre la France et l’Italie. Quand nous avons commencé fin mai 2016, ils « squattaient » d’abord à la plage, puis sous un pont routier. Sans aucune aide officielle – ni nourriture, ni sanitaire – sauf celle procurée par des jeunes volontaires venus de toute l’Europe, dont des membres du réseau « No border ». La Croix Rouge italienne (Croce Rossa) a même été renvoyée, jugée inutile par le ministère de l’Intérieur dont elle dépend. Ensuite, le Pape ayant secoué les paroissiens italiens, les migrants ont été hébergés à l’église Sant’Antonio. Des sanitaires et de la nourriture ont en partie été fournis par des associations françaises et italiennes bénévoles. Ils étaient alors déjà près d’un millier.
Un centre géré par la Croce Rossa a ensuite revu le jour à quelques kilomètres du centre-ville, d’une capacité d’accueil officielle de 350 places, uniquement pour les hommes. Une capacité largement dépassée depuis jusqu’à laisser des dizaines voire des centaines de personnes dormir dehors – difficile de vérifier car l’accès du site nous est interdit. Ces hommes sont libres d’aller et venir, bien traités, mais apparemment pas assez nourris. Il suffit de voir le nombre de mains tendues lors de nos distributions. L’église est maintenant réservée aux familles et femmes seules.
Face à cette situation, il était difficile pour nous de ne rien faire. La vallée de la Roya est à une demi-heure en moyenne de Vintimille. Des habitants, à l’initiative de l’Association Roya Citoyenne, se sont organisés pour assurer des repas distribués en maraudes chaque soir, en allant ainsi à la rencontre des réfugiés dans la ville. Ce fut d’abord cinq jours par semaine, puis chaque soir grâce à des forces extérieures venues nous rejoindre à partir de Nice et d’autres vallées de l’arrière-pays .
Nos repas sont préparés chez l’un ou l’autre par quelques cuisiniers et cuisinières de fortune. Cet été, de nombreux paysans et paysannes solidaires de par chez nous ont offert des fruits et légumes frais en grande quantité. Nous essayons depuis le début de l’hiver de cuisiner des repas consistants mais n’avons pas encore réussi à trouver des containers isothermes assez grands pour servir chaud. Puis une ou deux voitures descendent. La distribution se fait la plupart du temps à la sauvette car souvent les carabiniers italiens interviennent plus ou moins énergiquement. Cela va des contrôles d’identité jusqu’à la reconduite à la frontière pour empêcher la distribution.
Il faut savoir qu’une interdiction de nourrir les migrants est en vigueur à Vintimille, sous prétexte de normes d’ hygiène, et que nous sommes donc hors-la-loi. La municipalité oppose aussi le fait que les réfugiés sont bien nourris au camps de la Croix Rouge, ce qui est infirmé par les personnes concernées. Des tractations sont en cours avec la mairie de Vintimille pour obtenir une accréditation qui permettrait l’accès au camp, de cuisiner sur place et de servir chaud. Et aussi, très important, d’avoir le temps de discuter, échanger des sourires sans la crainte de l’ arrivée des carabiniers.
Nos maraudes sont entièrement financées par les dons adressés à notre association. Peu à peu les conditions s’améliorent, du matériel de cuisine nous est offert par d’autres associations partenaires. Depuis la trêve de Noël, les forces de l’ordre n’interviennent pas ou très peu mais les choses ne sont jamais définitives...
Nous distribuons de 150 à 250 portions chaque fois, en fonction des possibilités. Les maraudeurs font chaque soir un compte rendu par courriel pour celles ceux qui vont descendre le lendemain. Nous participons aussi à l’accueil de réfugiés qui arrivent chez nous. Notre association, Roya citoyenne, est de plus en plus connue, soutenue et aidée, mais débordée. Et puis il y a le président du département, le « Duciotti » [surnom péjoratif donné à Éric Ciotti, député LR des Alpes-Maritimes, ndlr] qui ne cesse d’aboyer. Mais la caravane passe...
Jean-Noël Fessy, Claudine Avram et Claudie Rambaud (paysannes dans la Roya)
Photo de une : Réfugiés bloqués à la frontière franco-italienne près de Vintimille / © Campagnes solidaires
Ce témoignage est tiré du numéro de février 2017 de Campagnes Solidaires. Au sommaire : industrialisation de l’agriculture, grippe aviaire, agroécologie, mais aussi un dossier sur « Manger à tout prix ? Manger à quel prix ? »
– A lire sur le sujet : À la frontière franco-italienne, les habitants de la vallée de la Roya risquent la prison pour avoir aidé les migrants