Les enfants de la « classe défense, citoyenneté et sécurité » du collège Jean Brunet, à Avignon, garderont un bon souvenir de leur sortie sur la base aérienne d’Orange ! Beaucoup avouent avoir été « impressionnés » par le Mirage 2000 qu’on leur a présenté. Et que dire de leur visite de la base navale de Toulon, où ils ont tous dû enfiler des casques pour visiter un sous-marin nucléaire d’attaque ! Nul doute que ces visites leur laisseront une marque positive qui ressortira lorsqu’ils entendront parler plus tard de missiles tirés par les sous-marins ou les avions militaires français.
Les « classes de défense globale » sont « un partenariat fort entre une unité militaire et une classe » de collège… voire d’école élémentaire [1]. On en comptait, lors de la rentrée 2014, plus de 80. Elles constituent depuis 2011 la formule la plus courante du partenariat entre l’armée et l’Éducation nationale. Ces classes mobilisent spécifiquement les élèves durant deux à trois heures par semaine, et se traduisent concrètement par « une correspondance régulière sous forme électronique qui se poursuit même lorsque l’unité militaire est en opération ; une visite annuelle de la classe au sein de l’unité militaire ; le déplacement ponctuel de personnel de l’unité militaire au sein de la classe, pour témoigner de leur expérience ».
Encadrer, recruter, séduire
Le ministère de l’Éducation nationale explique que ce dispositif s’adresse « dans la plupart des cas, à un public en difficulté » [2]. C’est en effet parmi ce dernier que le recrutement des jeunes est le plus fructueux. Le Val-de-Marne compte à lui seul six collèges et deux écoles primaires concernés. Le site de l’académie de Créteil précise, parmi les objectifs de ces partenariats : « réduire d’éventuels problèmes d’incivilités » et « faire découvrir les métiers de la défense globale ». Encadrer, et recruter.
Une classe de 4e d’un collège de Arcis-sur-Aube, dans l’académie de Reims, est ainsi passée du statut de « classe égalité des chances » à celui de « classe défense ». Sur son blog, on peut voir comment s’est déroulée la visite d’un officier de liaison britannique : « Il leur a présenté, grâce à un diaporama interactif, son parcours dans l’armée britannique : sa formation, les nombreux pays où il a été en poste, ses projets de carrière après sa retraite militaire. Le colonel a réussi à mettre à l’aise les élèves, à les faire participer, en anglais, pendant plus d’une heure trente. Certains ont même discuté avec lui pendant le goûter qui a suivi la rencontre. » [3]
Parfois, le rapprochement avec un régiment peut prendre une tournure amusante ! Ainsi, du 8 au 10 février 2016, pour les élèves de la classe 1re « défense » en CAP vente du lycée Japy, à Lyon, la rencontre avec les militaires a pris les apparences d’un jeu de pistes géant. Lors d’une course d’orientation au camp de La Valbonne, encadrés par des militaires, ils ont ainsi pu découvrir « le leadership et la prise de décision en situation de crise » en « faisant face à des situations insurmontables » [4].
« Savoir-faire et valeurs incarnées par les armées »
Comment l’avenir se profile-t-il ? Loin d’entamer ces partenariats, les dernières dispositions prévoient au contraire de les étendre [5]. Le candidat Hollande avait bien précisé en 2012 que le partenariat militaro-scolaire serait « revivifié » sous son mandat. Il semble avoir été pris au mot par deux députés, Marianne Dubois (Les Républicains) et Joaquim Pueyo (PS) qui, dans un rapport déposé en décembre 2015 devant l’Assemblée nationale, proposent de remplacer la journée défense et citoyenneté obligatoire pour tous les jeunes de 18 ans, par « un programme de cadets de la Défense pour les 12-18 ans ».
Les cadets de la Défense est un dispositif mis en place en 2009. Il touche actuellement 300 jeunes en France, âgés de 14 à 16 ans en classe de 3e. Son programme comporte sur l’année scolaire environ douze demi-journées, deux à trois journées complètes et un camp de cohésion de quatre à cinq jours sur une base militaire. Le projet de ces députés serait de l’étendre à… 100 000 jeunes. Selon leur rapport, « il s’agit d’offrir aux jeunes de douze à dix-huit ans une expérience de vie collective grâce au savoir-faire et aux valeurs incarnées par les armées », avec bien sûr « une découverte des armées et de leurs métiers. Le programme comprendrait plusieurs demi-journées par mois au sein d’une formation militaire ainsi qu’un camp d’été de quelques semaines. » [6]
Et côté enseignants ? « Nos stagiaires auront une formation obligatoire à la défense nationale. On n’a absolument pas la possibilité de la refuser, s’étonne une enseignante du Rhône. Je suis assez frappée par la façon dont l’armée est imposée à notre formation. » En effet, les Espe (ex-IUFM) multiplient les formations sur la défense et la sécurité nationale auprès des futurs enseignants [7]. Au menu notamment : le témoignage d’un militaire rentrant d’opération. De quoi enrichir les cours d’histoire-géo, assurément… Mais pas seulement, puisque l’objectif affiché est de toucher maintenant l’ensemble des matières.
Et si on essayait la non-violence ?
Les « valeurs républicaines » et la « citoyenneté » sont-elles bien servies par cette militarisation des écoles ? Au contraire, n’y a-t-il pas une contradiction entre idéologie militaire et sécuritaire, et valeurs démocratiques et éthiques ? La chercheuse états-unienne Cynthia Enloe montre en quoi penser le débat sur la sécurité en termes militaires est un véritable choix qui n’a rien de naturel [8]. Il serait sans doute plus efficace pour notre sécurité de concentrer les efforts sur des actions contre le changement climatique, pour l’accès universel à l’eau potable, que de développer des avions de combat.
De nombreuses associations œuvrant pour la paix et la non-violence, interviennent dans les écoles pour favoriser les apprentissages relationnels tels que la coopération, la communication non-violente, la médiation par les pairs, l’empathie et l’estime de soi [9]. Autant de savoir-faire et de savoir-être qui œuvrent de manière plus cohérente à la construction d’une société démocratique et solidaire.
Guillaume Gamblin
Cet article a initialement été publié dans la revue Silence de novembre 2016.
Voir le sommaire du numéro de décembre 2016.