Depuis quelque temps dans le champ de l’autisme, une intense communication contre la psychiatrie et la pédo-psychiatrie est déployée par certains membres des gouvernements successifs, par des militants associatifs, et largement relayée dans les médias. La psychiatrie serait coupable de tous les maux : incompétence, délais de prise en charge, culpabilisation des mères, non-respect des bonnes pratiques, retard de la France…
De manière étonnante, sans que cela ne soit dit, on constate en parallèle une augmentation incessante des demandes faites aux psychiatres et autres « psys », de la part de personnes autistes et de familles qui pourtant ont bénéficié de dépistages précoces dans des centres de référence ayant abouti à un diagnostic, de conseils et de formations au sein de Centres ressources autisme (CRA), de dépistages génétiques, de suivis somatiques réguliers, généralistes et spécialisés, de l’application des approches recommandées par la Haute autorité de santé (HAS) (thérapies cognitives, méthodes comportementales, techniques de communication, psychomotricité, orthophonie, ergothérapie, programmes neuropsychologiques…), d’accueil dans des institutions appliquant exclusivement les méthodes les plus recommandées, d’inclusions scolaires en classe ordinaire ou en classe adaptée, de tentatives de travail en milieu ordinaire ou adapté. Ces demandes viennent s’ajouter aux demandes incroyablement nombreuses de personnes autistes sans solution et de leurs familles, qui n’ont pas forcément bénéficié de tout cela.
Les institutions les plus adaptées sont désavouées
Que dire des demandes, souvent urgentes, de ces personnes qui surviennent alors qu’elles ne peuvent plus être accueillies à l’école, qu’elles ne peuvent plus continuer leur travail, qu’elles ne sont pas soulagées par une prise en charge somatique adéquate, qu’elles n’adhèrent plus aux approches recommandées ? Que dire des demandes d’aide pour faire face à des situations difficiles : violence, automutilations graves, errance, tristesse intense, régression des acquis ? Que penser de certaines de ces personnes et de leurs familles qui demandent de l’écoute, un suivi psychothérapique, un accueil dans une institution qui les aiment telles qu’elles sont, ouverte sur le monde et articulée en permanence avec l’école et le travail, et soutenant leurs possibilités d’auto-détermination ? Car oui, ce genre d’institution existe, et plutôt que de s’en inspirer, cette intense politique de communication les désavoue avec une détermination tenace.
Et pourtant, que dire quand le constat est fait par les premiers intéressés que ce type d’approche, ouverte, aide à avancer dans un certain nombre de cas notamment quand il s’agit de violences que s’inflige la personne, à elle-même et à ses proches, sans rendre systématique la sur-prescription de psychotropes ? Peut-on, par exemple, se dire que les personnes autistes sont comme tout le monde, qu’elles ne sont pas des robots, que leur idéal de vie n’est pas forcément celui qu’une sorte d’« aristocratie de l’autisme » a décidé à l’avance pour elles ? Qu’elles peuvent avoir besoin, comme tout le monde, qu’on prenne du temps avec elles et qu’on tienne compte leur personnalité propre ?
Les revendications souvent sincères de nombreuses familles et personnes autistes dénoncent des pratiques maltraitantes qu’elles ont rencontrées en psychiatrie, dont on ne peut douter qu’elles soient réelles étant donné l’état d’abandon de la psychiatrie par les politiques successives d’austérité, de manque de moyens et de transformation des pratiques du côté sécuritaire voire carcéral.
Une politique qui mène à l’impasse
Ces revendications légitimes rencontrent les intérêts du gouvernement, dont l’orientation politique actuelle est de ne plus financer les institutions de services publics mais de préférer verser des allocations aux personnes pour qu’elles financent des cabinets privés de diagnostic, de formation, d’aide à la personne. Les seuls moyens que l’État veut bien concéder reviennent à des « plateformes », parfois privées, certaines « d’écoute et de services », d’autres « d’orientation et de coordination ». Pas beaucoup plus.
Mais où vont les personnes écoutées et orientées quand il n’y a plus de place en ambulatoire et en institution ? Quand les milieux ordinaire et adapté n’ont déjà plus les moyens d’accueillir efficacement les personnes différentes ? Vers des cabinets privés choisis et désignés par les plateformes ? Vers des programmes de recherche axés sur le cerveau et l’organisme ? Et quand cela ne fonctionnera pas, leur parlera-t-on de services psychiatriques de haute sécurité (avec le triptyque médicaments, isolement et contention propre à la psychiatrie asilaire) ou de leur délocalisation dans un pays étranger ?
Devons-nous fermer les yeux quand le seul horizon pour de nombreuses personnes autistes est déjà, comme pour de très nombreux adultes qui étaient suivis en psychiatrie en France, une orientation vers des institutions en Belgique, ou simplement leur abandon sans suivi ni soins au domicile si elles en ont un, ou à la rue ?
« Réhabilitons la notion d’un collectif qui soigne, qui éduque, qui enseigne, qui soutient »
Pourtant, quelques principes simples pourraient nous sortir de ce très mauvais pas, nous éviter de tirer une croix sur le service public de santé et de laisser le « marché de l’autisme » être livré par l’État au privé. Il n’existe pas de recette unique pour les personnes autistes et leur famille. En conséquence, le tout-milieu ordinaire, le tout-milieu spécialisé, sont selon nous deux absurdités vouées à l’échec. Une articulation doit en permanence être mise en place entre le milieu spécialisé et le milieu ordinaire, les personnes doivent pouvoir circuler librement entre les deux, en fonction de leurs besoins du moment et des différents moments de leur histoire, sans être fixé définitivement dans l’un ou dans l’autre. Les institutions, le milieu spécialisé et le milieu ordinaire doivent axer leurs pratiques sur le principe d’auto-détermination des personnes qu’elles accueillent. Les états d’âme des personnes autistes ont le droit d’être pris en compte, elles ne se reconnaissent pas toutes dans le modèle actuellement véhiculé de corps-machine à étudier, à discipliner, re-régler, ou dans l’image d’Épinal diffusée par les médias de personnes autistes surdouées et dépourvues d’affects. Les équipes mobiles et plateformes doivent s’occuper, à domicile si besoin, de soin, d’accompagnement, de pédagogie, sur le long cours. Elles ne doivent pas s’occuper uniquement de diagnostic et d’orientation.
L’école doit cesser d’être détruite par les réformes successives, car il est évident que des classes surchargées et des programmes élitistes ne constituent pas un milieu favorable pour des personnes différentes. Le travail doit cesser d’être détruit par les réformes successives, car les conditions de travail actuelles précaires ne sont pas plus adaptées pour les personnes différentes que pour les personnes ordinaires. Les services de soin doivent cesser d’être soumis aux exigences de rentabilité financière, au management disqualifiant le sens du soin, à l’abandon des publics sous prétexte de mutualisation, de réorganisation, de « fluidification » des parcours. Idem pour le travail social.
Pour le printemps de la psychiatrie, réhabilitons la notion d’un collectif qui soigne, qui éduque, qui enseigne, qui soutient, à partir du lien humain et de l’ouverture maximale sur le monde.
– Le site du Printemps de la psychiatrie