L’Afrique sera à l’honneur lors de cette 22e Conférence des parties sur les changements climatiques (Cop 22) à Marrakech, entendons-nous dire un peu partout. C’est une Cop africaine, insiste-t-on du côté du Comité marocain de pilotage de la Cop. Un pavillon “Afrique” sera dressé et son animation sera assurée par la Banque africaine de développement, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique et la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, dont l’un des rôles est d’appuyer la mise en place d’un environnement favorable au développement du secteur financier, à l’esprit d’entreprise et aux activités du secteur privé en Afrique.
Ainsi donc, au niveau global comme au niveau africain, ce sont les banques et les entreprises qui capturent le débat sur le changement climatique. Celles-là même qui, par leur recherche effrénée du profit avant tout, sont les principales responsables du réchauffement climatique. Les thématiques choisies pour cet espace sont également lourdes de sens : la finance climatique, le transfert de technologie, l’industrialisation et l’adaptation de l’agriculture.
Pour la Banque africaine de développement, le développement agricole de l’Afrique passe par les engrais
Que l’on ne s’y méprenne pas, il ne sera donc nullement question de réfléchir à d’autres modes de produire et de vivre pouvant permettre de faire baisser de façon conséquente nos émissions de gaz à effet de serre. Au contraire, ceux qui prendront la peine de se déplacer auront à apprécier le fossé qui sépare la réalité que vivent les communautés, les paysans et paysannes d’Afrique et du monde et l’aveuglement qui caractérise certains acteurs en charge des politiques qui devraient régler la question du climat. Ces derniers continuent à parier sur la technologie pour apporter des solutions au problème du réchauffement climatique. Or, c’est précisément elle la principale cause du réchauffement climatique et de la destruction de notre planète.
La Banque africaine de développement, en pointe dans le soutien à « cette COP africaine », semble être loin de cerner l’urgence climatique pour les agriculteurs et agricultrices d’Afrique. Pour cette dernière le développement agricole de l’Afrique passe tout particulièrement par l’accès aux engrais, alors qu’ils polluent les sols, participent au réchauffement climatique en émettant des gaz à effet de serre et augmentent la facture énergétique mondiale.
Le Président de la Banque africaine de développement se déclare sur la même longueur d’onde que le PDG de l’Office chérifien des phosphates qui exploite le gisement de phosphate marocain, le plus important au monde et est donc un acteur incontournable pour le commerce des engrais. L’Office chérifien des phosphates, qui utilise des procédés mis au point par Monsanto et prétend « contribuer à une réelle révolution verte du continent », vient même de créer une nouvelle usine, l’“Africa Fertilizer Complex” afin de pouvoir inonder le marché africain. Et ce alors que l’Union européenne envisage de bloquer les importations d’engrais marocains du fait de leur forte teneur en cadmium [1].
Soutenir l’adaptation au changement climatique de l’agriculture africaine… avec des fonds privés
Ainsi les multinationales du secteur des engrais vont continuer à faire des profits énormes comme lors de la crise alimentaire de 2007. Et continuer les mêmes agissements dans les négociations climatiques. Elles feront la promotion de la « réduction des missions liées à la déforestation et la dégradation des forêts », de l’« Agriculture Intelligente face au Climat » (Climate Smart Agriculture) et désormais de leur nouvelle trouvaille : l’initiative « Adaptation de l’agriculture africaine ». Née pour capter l’argent du Fonds vert climat, cette initiative, encouragée par des institutions comme l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) envisage de soutenir l’adaptation au changement climatique de l’agriculture africaine avec des fonds privés.
Ne nous y trompons pas : cette initiative qui vise selon les promoteurs à l’adaptation de l’agriculture africaine aux changements climatiques, n’est en fait qu’une nouvelle illusion à servir aux paysans et paysannes d’Afrique et dont déjà 27 pays Africains se font complices.
La cible de toutes ces initiatives aux noms ronflants, c’est la destruction de l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire. On sait pourtant aujourd’hui que l’agriculture industrielle porte une lourde responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre et que l’agriculture paysanne et la relocalisation des productions près des consommateurs constituent l’une des solutions pour refroidir la planète.
La Cop 22 de Marrakech comme la précédente de Paris a aiguisé tous les appétits, surtout ceux du secteur du business et de belles opérations marketing ont été montées pour le profit de la soi-disant « finance verte ». Gérard Mestrallet, le patron du groupe français Engie déclarait que 70 % des investissements pour réaliser les objectifs de lutte contre les changements climatiques viendraient de sources privées. Il faut dire que le secteur de l’énergie – fossile et renouvelable – est l’un de ceux qui attire aujourd’hui fortement les investisseurs en quête de sur-profits.
Ne pas laisser le débat climatique aux mains de la finance
Et le Maroc n’est pas en reste. Alors qu’il fait appel à l’investissement étranger pour créer non seulement son mégaprojet de centrale solaire Noor, mais aussi de nouvelles centrales à charbon et à gaz (tout en n’écartant pas l’éventualité de centrales nucléaires). Il se positionne de plus en plus sur les marchés africains : c’est ainsi que la société marocaine Nareva, filiale du holding royal SNI et la société française Engie ont conclu un protocole d’accord afin de conquérir de nouveaux marchés sur le continent, et dans un premier temps, en Égypte, Côte d’Ivoire, Sénégal, Ghana et au Cameroun. Comble de toutes les contradictions, il passe un accord avec la Côte d’Ivoire afin de créer des centrales à charbon.
Ainsi donc, Marrakech ne sera ni plus ni moins que le rendez-vous déjà vu de la célébration des fausses solutions et des mensonges pour « sauver le climat ». Des banques, comme la Société générale ont commencé depuis bien longtemps à parrainer des rencontres climat et la grosse armada des multinationales, surtout celles engagées dans l’agriculture industrielle et l’énergie, est déjà entrée en scène.
Or les populations les plus démunies sont parmi les premières victimes des dérèglements climatiques qui affectent leurs vies quotidiennes. Les paysans et paysannes africain(e)s sont contraint(e)s à migrer lorsque leurs terres sont dévastées par les catastrophes climatiques. Ils sont aussi cerné(e)s par les fausses solutions proposées par les multinationales et les gouvernements lors de ces grandes messes internationales que sont les Conventions des parties, qui viennent à peine de reconnaître la nécessité de limiter le réchauffement climatique à 2 degré, voire 1,5 degré. 21 ans de réunions pour ce résultat !
Ne laissons pas le débat climatique aux mains de la finance et des multinationales. Le réchauffement climatique, les peuples le subissent, ce débat est le leur. Ils ont des propositions et des solutions.
Attac, Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM) Maroc et Grain
Photo : CC Lance Cheung