Deux ans de procédure judiciaire, 3000 euros et une semaine d’arrêt de travail. C’est ce qu’aura coûté à Maria Vuillet, mère de famille de 58 ans, l’acharnement d’un sous-préfet énervé. Cette assistance sociale, accusée de délit d’outrage, a obtenu hier la relaxe par la Cour d’appel de Paris.
Les faits jugés remontent au 22 octobre 2007, journée nationale d’hommage au résistant communiste Guy Môquet, décidée par Nicolas Sarkozy. Maria Vuillet accompagne sa fille à une manifestation (pacifique) contre « la récupération de la mémoire du jeune résistant », à la station de métro Guy Môquet dans le 17e arrondissement de Paris. Le sous-préfet Frédéric Lacave, présent sur place pour une cérémonie dans le métro, se fait siffler par les manifestants. Rouge de colère, il croise Maria Vuillet et lui assène : "Madame, je représente la République". Ce à quoi elle répond : "Oui, mais pas celle que voulait Guy Môquet". Le sous-préfet déclarera au tribunal qu’elle l’a traité de « facho ». Et fait citer comme témoin son chauffeur. Une version qui n’est pas confirmée par les quatre policiers présents. Maria est relaxée en septembre 2008, mais le parquet fait appel. Le chauffeur (seul témoin du sous-préfet) ne s’est pas présenté au second procès. Le verdict de relaxe est confirmé.
Pour Maria Vuillet, c’est aujourd’hui le soulagement. Mais aussi une certaine colère. "Je suis contente de savoir que dans ce pays, la justice garde une indépendance. Mais je suis impressionnée par le fait qu’un représentant de l’État ait pu à ce point se discréditer, à chaque fois d’avantage, et qu’il ait menti du début à la fin. C’est surtout lamentable qu’il ait fait mentir son chauffeur, qui est son subordonné. Si la justice était allée jusqu’au bout, il aurait pu y avoir des poursuites". La relaxe signifie qu’il y a eu faux témoignage, mais cela n’est pas explicité clairement.
Maria Vuillet reste choquée par les événements : « je suis née en Colombie, je suis française par mariage. J’ai entendu ce jour-là des propos racistes et menaçants. Un des policiers m’a dit en me menottant que si j’étais étrangère, c’était l’expulsion directe ». Une interpellation musclée qui lui a valu cinq jours d’incapacité temporaire de travail (ITT).
Pour cette accusation, elle risquait une amende de 7500 euros et jusqu’à six mois d’emprisonnement. Un délit que souhaite voir disparaître le Collectif pour la dépénalisation du délit d’outrage (Codedo) rejoint par Maria Vuillet. Il critique la disproportion entre la répression du délit d’outrage, « insulte à un représentant de l’autorité publique », et la répression de l’injure adressée à n’importe quel citoyen, passible d’une amende de 38 €. Une inégalité entre citoyens, qui fait qu’un « Casse-toi pauv’con » à l’adresse d’un simple citoyen coûte 200 fois moins cher qu’une insulte à agent...
Les délits d’outrage connaissent une augmentation importante :17.000 plaintes enregistrées en 1996 contre 31.171 en 2007... Des plaintes déposées, selon le Codedo, à 95 % par des policiers : « quand il y a violences policières, le policier porte plainte contre la personne victime de manière systématique, pour justifier son geste ». Le tribunal de Pontoise a même innové en mars dernier en inventant le « délit d’outrage par procuration à épouse de gendarme en civil et en congés ». Un pas de plus vers la pénalisation des rapports sociaux, dans une République qui n’est sans doute pas celle dont rêvait Guy Môquet.
Agnès Rousseaux