Lutte

En grève de la faim contre le projet d’une nouvelle autoroute en Alsace

Lutte

par Sophie Chapelle

Depuis le 22 octobre, dix femmes et hommes ont entamé une grève de la faim pour demander un moratoire sur le Grand contournement ouest de Strasbourg (GCO) et la remise à plat du dossier. « Quand on en est à s’affamer pour une cause, c’est qu’on ne défend pas simplement un pré carré, affirme Maurice Wintz, vice-président de l’association Alsace Nature et gréviste de la faim. Ça va plus loin. C’est pour le futur. D’ici 2050, il fera 50° en Alsace, il faut éviter cela. Le GCO est un symbole du combat que l’on doit mener. Contre le tout voiture, pour la nature et l’environnement. »

Selon les promoteurs du GCO, ce projet de 24 kms d’autoroute à péage, conçu dans les années 70, va désengorger l’actuelle A35 qui traverse Strasbourg. D’après Maurice Wintz, l’objectif est au contraire « d’attirer un trafic de transit européen, ne serait-ce que pour rentabiliser l’ouvrage au profit du concessionnaire » qui n’est autre qu’Arcos, filiale du groupe Vinci. « Comment peut-on imaginer dans ces conditions qu’un projet qui vise au fond à accroître le trafic puisse être compatible avec les enjeux écologiques essentiels, en particulier le changement climatique ? », interroge t-il. Bien que le GCO soit amené à détruire 350 hectares d’espaces naturels, de forêts et de terres agricoles (notre précédent article), les travaux nécessaires à la réalisation du chantier ont été autorisés par arrêté préfectoral le 30 août dernier.

« Un triple déni : écologique, démocratique et de justice »

Les grévistes de la faim s’insurgent par ailleurs contre le déni démocratique entourant ce projet. Des avis défavorables « sur le fond et la forme du projet » ont été rendus par plusieurs instances : le Conseil national de protection de la nature (rattachée au ministère de l’Écologie), l’Agence française de la biodiversité (qui regroupe État, collectivités, parlementaires et personnalités qualifiées), l’Autorité environnementale et deux commissions d’enquête publique. « Le projet suit son cours comme si de rien n’était », déplorent-ils (lire notre article). Ils pointent également un « déni de justice » : « Le dernier jugement en date du Tribunal administratif de Strasbourg, refusant la demande de référé suspension des autorisations de travaux, fait écho de manière troublante aux propos du préfet de Région sur l’utilité publique du projet et l’ordre public. Une telle proximité de pensée entre fonctionnaires de l’État est peut-être compréhensible, mais elle interroge sur la séparation des pouvoirs », illustre Maurice Wintz.

Dans un communiqué du 26 octobre, François de Rugy, le nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire, confirme « que le projet se [poursuivra], et que seule une décision de justice suspensive [sera] de nature à faire évoluer la position du gouvernement ». Un communiqué perçu comme « une véritable provocation » par les opposants qui, la veille, avaient remis à François de Rugy et Elisabeth Borne, ministre des Transports, une synthèse des alternatives à ce projet autoroutier. « Cela montre que ces ministres n’ont pas pris le temps de se pencher sur la question et ont arbitré "à la hache" ce dossier pourtant grave », dénoncent les grévistes de la faim.

Déterminés à poursuivre la grève de la faim malgré le silence de l’Élysée

Lors du 7e jour de grève de la faim, le 28 octobre, l’un des médecins qui suit le groupe de grévistes, appelé en urgence, a demandé à l’un des grévistes de cesser immédiatement sa grève de la faim, en raison de contre-indications médicales. Lors de la même soirée le médecin a examiné les autres membres du groupe et a constaté, notamment, une perte de poids oscillant entre 3 et 8 kg selon les personnes. « Cette grève de la faim n’a rien d’un jeûne bien-être, précise Marie, naturopathe. Même suivis par des médecins, les grévistes ne sont pas dans les conditions optimales pour encaisser une longue privation de nourriture. Ils dorment sur des matelas côte à côte, ne disposent pas de douche. » Malgré ces mises en garde par le médecin, les grévistes ont décidé de poursuivre le mouvement [1].

Dans ce bras de fer, les grévistes de la faim appellent les sympathisants de leur lutte à venir les soutenir, et « pourquoi pas, les rejoindre quelques heures, une journée, un, deux, trois jours ou plus » jusqu’à l’obtention du moratoire (voir le site dédié pour suivre et soutenir la grève de la faim contre le GCO). Deux cent élus d’Alsace et du Rhin supérieur ont également appelé Emmanuel Macron à venir rencontrer les grévistes de la faim lors de sa venue à Strasbourg le 4 novembre. L’une des conseillères du cabinet de l’Élysée a reçu une délégation de cinq personnes pour une heure d’entretien. « Elle a beau s’être montrée à priori attentive et parfois surprise, elle ne fait pas partie de ceux qui maîtrisent le dossier. Ça prouve encore la faible prise en compte de Macron de ce dossier », fustige Michel Dupont, gréviste de la faim. « Faut-il qu’il y ait un drame pour qu’on parle de notre combat ? »

Sophie Chapelle

Photo : © ChristoMiche / Twitter

 Un jeûne solidaire et un rassemblement place Kléber à Strasbourg est prévu ce vendredi 9 novembre à midi.

Notes

[1Sur les dix grévistes de la faim, l’un d’entre eux a déclaré forfait pour raisons médicales (source).