En France, moins de 10 % de celles qui ont pu relier leur cancer à leur travail ont obtenu la reconnaissance de l’origine professionnelle de leur maladie, contre 33 % pour les hommes [1]. En cause, notamment : le manque de recherches. Moins étudiées, les maladies des femmes sont moins visibles, et elles suscitent ensuite peu de projets de recherche.
Il est donc particulièrement ardu pour elles de prouver, quand elles tombent malades, que c’est à cause de leur travail. La plupart du temps, elles doivent batailler encore plus durement que leurs collègues masculins, pour qui il est déjà difficile d’obtenir justice.
Autre problème : on considère souvent que le travail des femmes n’est pas dangereux, contrairement à celui des hommes. Ce qui se passe dans le monde agricole est particulièrement éloquent : l’exposition aux pesticides des conducteurs d’engins est ainsi plus facile à faire reconnaître que celle des femmes qui s’occupent du conditionnement des fruits et légumes.
S’ajoute à cela que les femmes ont longtemps travaillé sans statut dans les fermes (et continuent encore parfois), ce qui rend la traçabilité de leur exposition impossible. En dehors des champs, dans les salons de coiffure ou à l’hôpital par exemple, elles sont très nombreuses à être exposées à des substances cancérogènes.
Souvent sans le savoir. « Jamais je n’avais pensé que ma maladie puisse venir de mon travail. Ma méconnaissance des risques était totale », nous avait rapporté Janine, infirmière en cancérologie, atteinte d’un cancer du sein qui finira par être reconnu comme une maladie professionnelle (lire notre enquête sur les maladies professionnelles des soignantes en cancérologie).
La plupart des femmes ignorent qu’elles peuvent tomber malades de leur travail, encore plus qu’elles peuvent obtenir réparation. Elles ne sont pas les seules. Beaucoup d’employeurs sont inconscients des risques qu’ils font courir à leurs salariées, alors même qu’ils sont responsables de leur santé. Ou bien, ils n’en ont que faire.
Sortir de l’invisibilité
Quant aux soignants, ils sont trop peu à maîtriser les liens qui peuvent exister entre travail et cancer. Combien d’oncologues interrogent leurs patientes atteintes d’un cancer du sein sur leur carrière professionnelle ? Trop peu. On sait pourtant que ce cancer, qui touche chaque année près de 60 000 femmes en France peut être causé par des substances utilisées sur le lieu de travail : produits de nettoyage et produits cosmétiques, pesticides, médicaments (entre autres).
À cela s’ajoute le travail de nuit dont l’impact sur le cancer du sein est aujourd’hui bien documenté. Une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) menée entre 2005 et 2008 a démontré que le travail de nuit des femmes augmente le risque de cancer du sein de 30 %. Plus cette période de travail nocturne est longue, plus le risque est accru [2].
Angle mort du côté féministe et syndical, la santé des femmes au travail doit devenir un sujet de préoccupation majeure. Comme leurs collègues masculins, elles sont des sentinelles. Ce qui les touche atteint aussi, quoique plus tard, l’ensemble de la population.
Sortir de l’invisibilité est la première étape de cette longue lutte et il revient aux médias de s’en charger. C’est pourquoi l’enquête de Marion Perrier sur les agricultrices victimes des pesticides est si importante.
Nolwenn Weiler
Dessin : © Caroline Suzanna André