Le 4 décembre, le ministère de l’Intérieur a publié trois décrets élargissant le champ des fichiers dits GIPASP, pour « Gestion de l’information et de la prévention des atteintes à la sécurité publique », et PASP, pour « Prévention des atteintes à la sécurité publique » [1]. Ces deux bases de données ont été créées en 2008 dans le cadre de la réforme des services de renseignement, à la suite de l’abandon du projet du fichier Edvige après les critiques des associations de défense des droits humains. Celles-ci s’inquiétaient du type de données sensibles que le fichier Edvige prévoyait de collecter (santé, sexualité, données des mineurs dès 13 ans...).
Les GIPASP et PASP sont gérés respectivement par la gendarmerie et la police nationale. Ils contiennent des informations sur des personnes dont l’activité individuelle ou collective indiquerait « qu’elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique et notamment les informations qui concernent les personnes susceptibles d’être impliquées dans des actions de violences collectives, en particulier en milieu urbain ou à l’occasion de manifestations sportives ». Il y a quelques jours, le gouvernement a étendu largement le panel des données personnelles pouvant faire l’objet d’une collecte par ces fichiers, et auxquelles les fonctionnaires de police et les gendarmes peuvent avoir accès.
Déjà, les deux décrets élargissent les cibles possibles de la collecte : ce ne sont plus seulement les personnes qui sont visées mais aussi les personnes morales – donc potentiellement des associations – « ainsi que des groupements »... Pire, alors que ces fichiers visaient jusque ici des données sur les activités des personnes (des faits), les décrets étendent la collecte aux « opinions politiques », « convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale ».
« Le gouvernement s’engage sur la voie du délit d’opinion »
Les décrets élargissent aussi le ramassage de données aux identifiants utilisés sur internet, dont les pseudonymes (mais pas les mots de passe), et à l’activité sur les réseaux sociaux. Le ministère a « précisé que les informations collectées porteront principalement sur les commentaires postés sur les réseaux sociaux et les photos ou illustrations mises en ligne », explique la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) dans son avis sur les décrets. La Commission ne dit mot sur l’extension de la collecte aux opinions. Mais elle a réagi sur la collecte « des données de santé révélant une dangerosité particulière » en soulignant que « que la mention de ces informations revêt un caractère sensible ».
Que signifient « des données de santé révélant une dangerosité particulière » ? Sont visés ici avant tout les antécédents psychiatriques et psychologiques. Déjà en 2018 et 2019, le gouvernement avait placé les personnes avec des antécédents psychiatriques sous un soupçon généralisé en décidant de créer un fichier des passages en hospitalisation psychiatriques sous contrainte (Hopsyweb), puis en décidant de le recouper avec celui des « fichés S » (« fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste », FSPRT).
Ces décrets de « fichage » arrivent en même temps que celui décidant la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Cette dissolution signale que « le gouvernement s’engage sur la voie du délit d’opinion », écrit la Ligue des droits de l’homme. Ces décrets sont aussi décidés en plein débat autour de la « loi Sécurité globale » qui étend les possibilités de surveillance notamment via des drones, et juste avant la présentation du projet de loi « séparatisme », prévue pour le 9 décembre en Conseil des ministres. Autant de textes qui étendent le champ de la surveillance et du soupçon vis-à-vis de la population.
Rachel Knaebel