J’ai conscience d’appartenir à une sphère citoyenne, altermondialiste. C’est la définition naturelle de ce que je suis, de ce en quoi en je crois, de ce pour quoi je me bats. Cette sphère là est évidemment ancrée à gauche, il n’y a aucun doute là dessus. Ses valeurs, ce sont celles de la fraternité et de la bienveillance. Elles paraissent simples, mais elles sont difficiles à assumer dans le contexte actuel.
Je prends un exemple très concret : les attentats. Ils frappent la France. Charlie Hebdo, l’Hyper Casher, le 13 novembre. Le contexte c’est celui d’un climat médiatique angoissant et anxiogène, une classe politique qui cultive la peur avec un discours militaire et guerrier, une extrême droite qui fait 30 %, des gens qui se laissent tenter par les discours xénophobes entretenant la peur de l’autre, qui mélangent tout. Le défi, c’est d’arriver dans ce contexte à dire : « Attention, n’oublions pas les choses essentielles, fondamentales, dans lesquelles on croit quand on est de gauche ». C’est ce rapport à l’autre, fait de bienveillance, à l’opposé du rapport de défiance, de peur ou d’hostilité. C’est aussi un rapport de fraternité, qui est d’accueillir nos sœurs et nos frères réfugiés.
L’urgence de se retrouver
Tous ces discours, dans lesquels on croit et pour lesquels on se bat, qui sont pour moi des discours de base quand on se dit de gauche, sont aujourd’hui difficiles à tenir. Il faut vraiment faire preuve d’obstination, avoir des convictions vraiment ancrées en soi, car tout est fait pour que tu passes pour un marginal.
Je repense au lendemain du 13 novembre. Avec les copains des Désobéissants, on a lancé un appel contre l’état d’urgence en disant que la seule réponse qu’il fallait donner c’était : « Se retrouver, c’est ça l’urgence ». Il nous semblait évident qu’on était en train de se faire avoir de tous les côtés : par les terroristes, mais aussi par les ultra-sécuritaires, les xénophobes qui voulaient juste qu’on ait peur les uns des autres, qu’on s’enferme, qu’on accepte l’état d’urgence. La peur et la paranoïa avaient gagné. Ce n’était évidemment pas simple de lancer un appel en donnant un rendez-vous à 18 heures place de la République à Paris. Mais c’était une manière de dire qu’on n’abandonnait pas l’espace public, ni aux terroristes ni aux xénophobes. C’était aussi un moment de recueillement.
Considérer l’autre comme son frère ou sa sœur
On s’est retrouvés ultra minoritaires, on était seulement quelques centaines. Des gens vraiment militants ne m’ont pas répondu. Il y avait un malaise. Après coup, j’ai reçu des textos de gens qui me disaient, « vous aviez peut-être raison ». D’autres appels ont ensuite été lancés. Être de gauche aujourd’hui c’est peut-être ça : tenir bon dans des moments critiques face à une pression totale à la fois médiatique, politique, événementielle. Car à chaque fois qu’il y a des attentats, c’est la droite et l’extrême droite qui gagnent et les idées de gauche qui perdent dans l’esprit des gens.
Un de mes leitmotiv, c’est de dire aujourd’hui : continuons à danser ensemble. Danser ensemble, c’est quelque chose de bien plus fort et de bien plus profond que l’idée de vivre ensemble. C’est faire un pas vers l’autre, c’est se coller à l’autre, c’est avoir envie de prendre la main de l’autre. C’est quelque chose de très simple et d’absolument vital. Il faut retrouver cette envie, que notre société est en train de perdre de vue de façon dramatique et très dangereuse. Les xénophobes et les terroristes sont les deux faces d’une même pièce : quand l’un prospère, l’autre progresse, et vice versa. En fait, ce sont les deux meilleurs ennemis du monde. Mon obsession, elle est là.
Être de gauche c’est prôner une société de l’intelligence collective et humaine et de la bienveillance. La gentillesse n’est pas une faiblesse. Considérer l’autre comme son frère ou sa sœur n’est pas une faiblesse. C’est notre force et c’est ce qui fait de nous des êtres humains.
Kaddour Hadadi, chanteur du groupe HK, Bergerac
Propos recueillis par Sophie Chapelle
Photo de HK : © Vincent Bouvier
– HK a notamment écrit la bande originale du nouveau documentaire de Rachid Oujdi, « J’ai marché jusqu’à vous - récits d’une jeunesse exilée ». Le 3 mars, il sort son premier album solo, L’empire de papier, dans lequel il aborde les thèmes de l’exil, de la migration, du capitalisme, de l’état d’urgence, de la résistance, mais aussi de la fraternité.