Basta! : L’Assemblée nationale discute actuellement de la réforme bancaire, visant à contrôler les dérives de la finance (lire notre article). Pourquoi le gouvernement propose-t-il un projet aussi peu ambitieux et aussi indolore pour les banques ?
Emmanuel Maurel : C’était l’une des annonces phares du candidat François Hollande dans son discours du Bourget. « Notre adversaire, c’est la finance », rappelait-il. Cela a suscité de grandes espérances chez tous ceux qui veulent mettre au pas la finance et les banques. Il s’est engagé sur la séparation des activités des banques d’affaires et des banques de dépôt, pour maîtriser et réguler ce système fou. Ce qui est ennuyeux avec ce projet de loi, c’est que la séparation des banques n’aura pas lieu. On n’empêche pas que se reproduisent des crises comme celle de 2008. Il faudrait une loi très ambitieuse. Ce n’est pas le cas. Quand j’ai interpellé Pierre Moscovici (ministre des Finances, ndlr) au Bureau national du PS, il ne m’a pas donné de réponses satisfaisantes. Cela fait dix ans que nous demandons la mise en place de garde-fous pour que les banques ne puissent pas avoir des filiales partout dans les paradis fiscaux. Sur cela aussi le projet est insatisfaisant.
Est-il encore possible de renforcer le projet de loi en discussion ?
Il revient aux parlementaires d’améliorer cette loi. On ne peut pas se contenter de déclarations d’intention. Un rapport de force s’esquisse entre Bercy, très sensible aux arguments du monde de la banque, et des parlementaires de gauche, qui considèrent que cette loi est importante. A nous de mettre la pression. C’est le souhait unanime de toute la gauche et de tous les Français : tous sont scandalisés par les pratiques des banques. Les gens souhaitent l’encadrement du système bancaire. Ils voient bien que les banques sont à l’origine de plusieurs crises. Et qu’à la fin, ce ne sont pas elles qui trinquent, mais les États qui les renflouent. C’est l’une des réformes emblématiques du quinquennat : si elle finit en peau de chagrin, elle laissera place à la déception et à l’amertume.
Dans ce contexte, pourquoi le gouvernement ne propose-t-il pas une réforme plus solide ?
On mesure ici la puissance de feu de ceux qui n’ont pas intérêt au changement. Il existe une élite dirigeante financière et administrative qui n’a pas l’intention que cela change. Il existe toujours une porosité entre la haute fonction publique et le monde des banques d’affaires. Le conseiller économique de François Hollande, Emmanuel Macron, vient de la banque Rothschild. Et l’ancien conseiller économique de Sarkozy est reparti à la banque Rothschild ! L’actuel directeur du Trésor, évidemment consulté sur la réforme bancaire, a été nommé par Sarkozy. Nous nous heurtons à ce lobby.
Et si la réforme est adoptée en l’état ? Quitterez-vous le PS ?
Cela posera un problème politique. Mais nous ne quitterons pas le PS à cause d’un projet de loi. Ce qui m’intéresse, c’est que le PS réalise des réformes de gauche. Nous sommes actuellement dans le temps du rapport de force et du combat. Les parlementaires n’ont pas l’intention d’en rester là.
Un accord interprofessionnel a été signé le 11 janvier par le Medef et trois syndicats, dont la CFDT (lire notre article). Selon le groupe socialiste, c’est « l’accord le plus équilibré qu’aient conclu les partenaires sociaux depuis très longtemps ». Partagez-vous cette position ?
Évidemment non. Contrairement à ce qui disent les signataires, c’est un accord déséquilibré en faveur du patronat. Faire discuter les partenaires sociaux, c’est une rupture avec l’ère Sarkozy, qui faisait siffler les syndicats pendant ses meetings. Cet accord n’a cependant pas été signé par des syndicats représentant la majorité des salariés. Nous ne sommes même pas dans l’esprit de la loi sur la représentativité syndicale. Quant à son contenu, si je vois bien la flexibilité, je ne vois pas la sécurité. Les procédures de licenciement sont simplifiées. N’importe quel avocat en droit du travail vous le dira. Le problème majeur, ce sont les accords de maintien de l’emploi : en vertu d’un accord majoritaire dans l’entreprise, vous devrez baisser votre salaire ou augmenter votre temps de travail. Et si vous vous y opposez, vous dégagez, mais pas dans le cadre d’un licenciement traditionnel ! C’est un facteur de précarisation supplémentaire. La meilleure publicité contre cet accord a été faite par Renault, qui explique qu’il faut signer un accord de maintien de l’emploi sinon des usines vont fermer. Et après la signature, ils annoncent 7 500 suppressions de postes. Cela montre la logique infernale de ce système, qui s’apparente à du chantage à l’emploi.
Que pensez-vous des quelques mesures consenties en faveur des salariés ?
On nous vend cet accord en disant que c’est une formidable avancée pour la taxation des contrats courts. Une partie des CDD est taxée, mais on oublie les contrats d’intérim. Du coup, seuls 30 % des contrats courts sont concernés. Je ne vois pas ce qu’y gagnent les salariés, à part la généralisation de la complémentaire santé, qui est plutôt une avancée. Cet accord n’est pas bon. J’espère qu’à l’issue de la mobilisation sociale et politique, les parlementaires le transcriront différemment dans la loi.
Et si ce n’est pas le cas, vous appelleriez à voter contre ?
Nos élus voteraient contre (l’aile gauche du PS compte 22 députés, ndlr). Mais on parle d’un texte qui n’existe pas encore. Attendons déjà la rédaction du projet de loi, sachant que l’accord pose plein de problèmes juridiques. Il n’y a pas d’obligation légale de transcription d’un accord issu d’une négociation sociale. La vraie bataille politique se fera sur l’accord sur le maintien de l’emploi.
Vous étiez en faveur de la loi interdisant les licenciements boursiers, votée il y a un an par le Sénat. Souhaitez-vous qu’elle soit de nouveau présentée ?
Toute la gauche, y compris les socialistes, a voté un texte qui interdisait qu’une entreprise distribuant des dividendes à des actionnaires puisse licencier massivement l’année suivante. Je ne vois pas pourquoi ce texte ne serait plus valable aujourd’hui. Nous devons reprendre cette position.
Pourquoi le gouvernement freine-t-il sur ces propositions concrètes ?
Parce que le Medef mène une offensive sans précédent. Ils défendent leurs intérêts de classe. Cela a commencé avec l’histoire des « pigeons » (une mobilisation de dirigeants d’entreprises contre les impôts, ndlr). Quand ils ont clamé qu’ils avaient 40 000 « amis » sur Facebook, nous aurions dû leur répondre : « Et nous, nous avons 16 millions d’électeurs ». Or le gouvernement a lâché tout de suite, sous prétexte qu’ils étaient des jeunes chefs d’entreprises, connectés, modernes, sympas. Bref, tout le marketing néo-capitaliste que nous connaissons bien. Cela me gêne que nous ne soyons pas capables de dire stop. Nous avons montré que nous n’assumions pas le rapport de force avec un patronat qui n’a aucune envie que les choses bougent.
16 millions d’électeurs, ce n’est pas un rapport de force favorable ?
En période de crise, le rapport de force nous est défavorable. Les salariés ont la trouille, ils ont du mal à se mobiliser. Le rôle d’un gouvernement socialiste est justement d’aider le monde du travail à construire ce rapport de force. Je ne suis pas hostile à des compromis. Mais, pour l’instant, on ne voit pas quelles sont les contreparties pour le monde du travail. Alors qu’on voit bien ce qu’y gagne le patronat. Ce qui génère un sentiment d’inquiétude et de malaise.
Réforme bancaire minimaliste, accord interprofessionnel déséquilibré, poursuite apparente du tout nucléaire, retard de la taxation des plus riches… Quelle est la ligne jaune que le PS et le gouvernement ne doivent pas franchir ?
Je ne suis pas de ceux qui tirent à boulets rouges sur François Hollande. Nous ne sommes pas là pour poser des lignes jaunes. Nous avons une feuille de route : ses 60 engagements et le discours du Bourget. Respectons cette feuille de route, fixée collectivement ! Ce qui par ailleurs n’empêche pas d’imaginer d’autres réformes que celles annoncées pendant la campagne. Si on ne tient pas ces engagements, la question n’est pas ce que la gauche du PS fera ou pas, mais plutôt ce que diront les électeurs.
Face à Harlem Désir, vous avez recueilli 28% des suffrages lors du Congrès du PS, fin octobre 2012 à Toulouse. Comment comptez-vous peser pour que le gouvernement respecte ces engagements ?
Je suis là pour relayer les critiques et les impatiences des militants, mais aussi les choses positives. Les militants ne veulent pas d’un parti « fermé pour cause de gouvernement », comme c’est le cas à chaque fois que les socialistes sont au pouvoir. Ils veulent un parti qui s’exprime. Sur les sujets que nous venons d’évoquer, on ferait bien de les écouter. L’immense majorité des militants socialistes ne se reconnaissent pas dans le pacte de compétitivité ou les 20 milliards d’euros de crédit d’impôt accordés aux entreprises, sans aucune contre-partie.
Travaillerez-vous avec le Front de gauche et Europe écologie - Les Verts (EELV) ?
Rien ne peut réussir dans ce pays sans unité de la gauche. Elle a parfois du plomb dans l’aile, et cela me semble grave. Il faut un dialogue soutenu avec EELV, les communistes et le Parti de gauche. L’union de la gauche ne doit pas se réduire à un cartel électoral, où l’on se met d’accord sur la répartition des postes trois mois avant les élections. Nous devons élaborer ensemble les réformes de la seconde partie du quinquennat ! Et j’espère y contribuer. Les divergences entre nous sont moins fortes que ce que l’on dit.
Martine Aubry incarne-t-elle toujours une alternative pour Matignon ?
Elle incarne toujours une capacité de rassembler la gauche, avec une tonalité sociale affirmée. J’espère que le quinquennat connaîtra une inflexion, qui permettra d’ouvrir le gouvernement aux communistes, et de mener une politique différente que celle la rigueur. Aujourd’hui même le FMI nous explique que si chaque pays mène des politiques de rigueur, ce sera l’austérité pour tous.
La défaite de Lionel Jospin en 2002 s’analyse en partie par l’abandon des questions économiques et sociales, au profit des sujets sociétaux, comme le Pacs. Le gouvernement actuel ne répète-t-il pas la même erreur en se focalisant sur le mariage pour tous ?
Nous ne devons pas opposer social et sociétal. Les droits doivent progresser. Mais la quasi-totalité des débats se focalisent aujourd’hui sur des questions qui éclipsent les vrais soucis des gens : chômage, plans sociaux, pouvoir d’achat. La question du mariage pour tous aurait dû être résolue plus vite ! C’est devenu le clivage majeur entre la droite et la gauche, et cela m’inquiète. Parlons des autres clivages ! Quelles politiques économiques, budgétaires, sociales ? Il est temps de passer à autre chose.
Propos recueillis par Ivan du Roy et Agnès Rousseaux
@IvanduRoy et @AgnèsRousseaux sur twitter