Le fondateur d’EDF, Marcel Paul, ministre de la Production industrielle à la Libération, n’en reviendrait pas. Lui-même ancien électricien, le résistant et député communiste du Limousin a joué un rôle crucial dans la création du service public nationalisé de l’énergie. Soixante-dix ans plus tard, il aurait bien du mal à reconnaître l’entreprise – encore formellement publique, puisque l’État en détient toujours 84% – et les valeurs qu’elle incarne.
Qu’il s’agisse de fiscalité, de droits des travailleurs ou d’environnement, quelle entreprise illustre mieux qu’EDF la schizophrénie de l’État actionnaire ? Le groupe ne cesse, par exemple, de réclamer une hausse des tarifs de l’électricité alors que ceux-ci ont déjà explosé depuis dix ans et que cinq millions de Français vivent en situation de précarité énergétique. Des critiques similaires émergent au Royaume-Uni, où l’entreprise est très présente. Faut-il préciser qu’EDF a dégagé un confortable bénéfice de plus de 13 milliards d’euros en quatre ans, dont 60% a été reversé à ses actionnaires, en l’occurrence l’État. Depuis vingt ans, EDF s’est lancée dans des acquisitions à l’étranger – pas toujours avec succès –, au risque de négliger les besoins d’investissements en France. Au passage, elle a également implanté quelques filiales dans des pays considérés comme des paradis fiscaux.
EDF est le 19e plus gros émetteur de CO2 au monde
En France, EDF s’oppose à la volonté de l’État de réduire la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité et de fermer la plus vieille centrale nucléaire en activité, celle de Fessenheim en Alsace. Le Président François Hollande, élu en 2012, s’est engagé à ce que cette part soit réduite à 50% d’ici 2025, alors que l’électricité d’origine nucléaire pèse aujourd’hui 88% dans le « mix énergétique » d’EDF. L’entreprise a déployé de multiples efforts pour tenter d’éviter que cet objectif soit inscrit dans la loi. Le service public de l’énergie n’obéirait-il plus à la souveraineté démocratique ? La sûreté des centrales nucléaires et l’échéance de leur vieillissement n’est elle pas également une question cruciale, qui devrait être soumise à un réel débat de fond, informé et transparent ?
Côté climat, cette schizophrénie est encore plus flagrante. EDF est le 19e plus gros émetteur de CO2 au monde. Alors que l’actuel gouvernement s’est engagé en faveur d’une transition énergétique, « son » entreprise publique ne produit en France et dans le monde que 10% d’énergies renouvelables et s’oppose à tout objectif officiel d’efficacité énergétique. Et encore, certains projets d’énergie « verte » développés par EDF dans le monde, notamment les grands barrages, sont chaudement contestés. Si l’on retire l’énergie hydraulique, la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité du groupe en France tombe à un misérable 0,1%. Cette bien piètre performance n’a pas empêché EDF à être choisie comme l’un des sponsors officiels de la conférence sur le climat, fin 2015.
EDF a massivement développé la sous-traitance, en particulier pour l’entretien et les interventions au sein des centrales nucléaires françaises. Ces plus de 20 000 « nomades du nucléaire » – presque autant que les agents d’EDF – sont les grands oubliés des débats sur l’énergie atomique. Précaires, régulièrement exposés à la radioactivité, ils ne bénéficient pas d’un statut et d’un suivi médical digne des risques qu’ils prennent et du rôle qu’ils jouent. La question de la santé au travail et de la reconnaissance des maladies professionnelles reste un point noir du bilan social du groupe. Il serait peut-être temps que les grands principes fondateurs d’un véritable service public de l’énergie soient remis au goût du jour, soixante-dix ans après sa création.
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