Responsabilité des entreprises

Les Etats-Unis excluent le pétrolier BP de tous les contrats publics

Responsabilité des entreprises

par Agnès Rousseaux

Accusé « de graves crimes environnementaux », le groupe pétrolier BP a été lourdement sanctionné par le gouvernement états-unien. La multinationale accumule les violations délibérées à la réglementation du travail et de l’environnement. Elle est considérée comme un « serial killer » pour être responsable de la mort de 26 salariés en cinq ans. Et continue d’engranger les bénéfices…

La décision sonne comme un avertissement pour les multinationales. Le géant du pétrole BP a été exclu par les États-Unis de tout nouveau contrat gouvernemental. Le 28 novembre, l’entreprise, ainsi qu’une douzaine de ses filiales, a été déclarée inéligible aux contrats fédéraux. Le motif invoqué : « Manque de probité dans la conduite des affaires ». Cette sanction annoncée par l’Agence de protection environnementale (EPA), et valable pour une durée indéterminée, fait suite à l’accident de la plate-forme Deepwater Horizon, qui avait fait onze morts et provoqué la pire marée noire de l’histoire des Etats-Unis en 2010, dans le Golfe du Mexique.

Dans sa notification, l’EPA enfonce le clou : « Il est important de noter que la suspension n’est pas imposée dans une perspective de punition », il s’agit d’une mesure « pour s’assurer que le gouvernement mène des affaires publiques avec des personnes responsables »... Deux semaines plus tôt, le 15 novembre, BP avait conclu un accord avec le gouvernement : l’entreprise a décidé de plaider coupable concernant une douzaine de chefs d’accusation – dont faute, négligence, obstruction de justice (par mensonge au Congrès), et plusieurs autres délits (voir le détail). La multinationale a accepté de payer une amende de 4,5 milliards de dollars (3,5 milliards d’euros) à l’État américain. Dont une amende pénale de 1,2 milliard de dollars. Un record.

50 nouvelles concessions pour BP dans le golfe du Mexique

Un montant jugé pourtant bien insuffisant par l’association Public Citizen, qui qualifie cet accord de « lamentable ». Au vu des dégâts occasionnés et de la responsabilité de l’entreprise dans le désastre, BP devrait être engagé pour au moins 51 milliards de dollars, estime l’association. Qui avait lancé une pétition pour exclure l’entreprise des contrats nationaux.

Cette interdiction aura-t-elle plus d’impact que les sanctions financières ? De son côté, BP tente de minimiser les conséquences de ce nouveau coup porté à sa réputation. Dans un communiqué, l’entreprise précise que cette décision n’affecte pas les contrats existants, notamment la production dans le Golfe du Mexique. Et rappelle qu’elle a obtenu depuis la marée noire plus de 50 nouvelles concessions gouvernementales dans la région. « Où la compagnie a foré en toute sécurité »... Le jour même de la notification de l’EPA, le ministère de l’Intérieur a ouvert la vente de nouveaux permis d’exploration pétrolière et gazière sur plus de 20 millions d’acres dans le Golfe du Mexique. Une vente à laquelle BP n’a donc pas pu participer. Sans doute un peu rageant pour le premier investisseur pétrolier de la zone ?

« BP, serial killer »

Une question subsiste : combien de temps les autorités américaines tiendront-elles avant de revenir sur cette interdiction ? D’après l’EPA, la suspension temporaire sera levée quand BP aura donné des preuves de sa « responsabilité ». La compagnie est déjà en train de négocier. Elle aurait fourni une déclaration de plus de 100 pages, argumentant sur sa « responsabilité » retrouvée. L’EPA serait déjà en train de préparer un accord administratif pour lever la suspension, selon l’entreprise. Celle-ci veut rassurer ses actionnaires… et faire monter la pression : dans son communiqué, le géant du pétrole n’oublie pas de rappeler qu’en cinq ans il a investi plus de 52 milliards de dollars aux États-Unis, plus que n’importe quelle autre compagnie pétrolière ou gazière. Et qu’il contribue à près de 250 000 emplois dans le pays – dont 23 000 emplois directs.

En matière de « responsabilité », BP a pourtant du souci se faire. « BP est coupable de graves crimes environnementaux. C’est un serial killer, affirme Jeanne Pascal, ancienne conseillère à l’EPA. Ils ont tué 11 personnes dans le Golfe [du Mexique] et 15 personnes à Texas City [1] – soit 26 personnes en 5 ans. BP arrange toujours ses affaires avec le gouvernement et promet de changer sa culture, mais continue à faire la même chose, encore et toujours. » La « culture » de responsabilité de BP s’est notamment traduite par plus de 10 milliards de dollars de sanctions civiles et pénales ces 17 dernières années (voir la liste des principales infractions). Plus de 700 infractions ou violations des réglementations ont été recensées par les autorités en 2010 dans les raffineries de la compagnie.

Les profits avant tout

La plupart des infractions relevées sont « intentionnelles et flagrantes », a conclu le ministère du Travail [2]. « Violations délibérées », selon l’organisme de contrôle (OSHA), cela veut dire « commises dans l’indifférence ordinaire ou le mépris intentionnel de la sécurité et la santé des employés ». Les conclusions sont implacables. En 2010, un rapport du Center for Public Integrity a analysé que BP était responsable de 829 sur les 851 violations « délibérées » recensées dans les raffineries contrôlées par l’OSHA entre 2007 et 2010 aux États-Unis. Difficile de croire qu’en deux ans, et après tant d’années de mépris des réglementations – qui visent pourtant à éviter les catastrophes – l’entreprise aura réussi à changer sa « culture de la responsabilité ».

Comme preuve de sa bonne foi, BP met en avant tous ses efforts pour la restauration de la situation environnementale, sociale et et économique dans le Golfe du Mexique. La compagnie a dépensé 14 milliards de dollars en interventions et opérations de nettoyage. Mais veut désormais tourner la page : « Nous nous préparons à nous défendre devant les tribunaux en ce qui concerne les plaintes restantes. Nous sommes ouverts à des accords, mais seulement à des conditions raisonnables », a déclaré Bob Dudley, le directeur général du groupe, le 15 novembre.

Toutes ces sanctions ne semblent avoir aucun effet dissuasif pour BP, qui deux ans après l’accident, apparaît surtout pressé de se reconcentrer sur ses lucratives activités. Alors que l’entreprise se débattait avec la justice et l’EPA, elle a gagné dans le même temps de nombreux contrats auprès du Pentagone, dont elle est le principal fournisseur [3]. BP a réalisé en 2011 un chiffre d’affaires de 375 milliards de dollars, pour un bénéfice record de 26 milliards de dollars. Soit cinq fois plus que l’amende payée à la collectivité, pour un désastre écologique sans précédent. Et onze morts. Entreprise responsable, vraiment ?

Agnès Rousseaux

Photo : CC TruthOut

Notes

[1Explosion d’une raffinerie de BP à Texas City en mars 2005

[2Étude de l’OSHA, organisme chargé de santé et sécurité au travail au sein du ministère

[3Le Département de la Défense verse chaque année 2,2 milliards de dollars à BP.