Un espace vert de huit hectares, planté de saules et de roseaux, vers où convergent les égoûts : voilà à quoi ressemble de loin la « station d’épuration » de la commune de Bouvron, 2000 habitants, entre Nantes et Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Vu de près, le système est plus complexe. Les eaux usées qui arrivent à la station sont d’abord « dégrillées » : les gros déchets sont retenus par une simple grille, et les plus fins par des tamis à mailles fines, avant que l’eau ne file vers trois bassins plantés de roseaux qui permettent, à chaque étape du traitement, d’affiner la qualité de l’eau. Le système utilise également des couches de sable et de graviers de plus en plus fins.
Ce système de nettoyage de l’eau reproduit en fait un écosystème épuratoire naturel, que l’on trouve notamment dans les zones humides. Les bactéries présentes dans les racines des plantes se nourrissent des effluents, dégradent la matière organique, et la transforment en matière minérale assimilable par les plantes. En retour, les plantes aquatiques fournissent de l’oxygène aux bactéries, via leurs racines.
Un volume d’eaux à traiter divisé par deux
À Bouvron, l’eau épurée repart dans des fossés plantés de saules qui s’étendent sur plus de cinq hectares. Ces saules seront régulièrement taillées, leurs branches servant à alimenter la chaudière du pôle enfance de la commune. Plusieurs années de réflexion ont été nécessaires à la mise en place de cette station si particulière. « Nous avons commencé par diminuer le volume des eaux à traiter », explique Marcel Verger, le maire (PS) de la commune. La société fromagère, dont les eaux usées allaient directement vers la station d’épuration municipale, a été invitée à mettre en place son propre système de gestion des eaux usées.
« Nous avons aussi mis en place, partout, un réseau séparatif, qui permet de ne pas avoir à traiter l’eau de pluie. Avant, les eaux pluviales théoriquement "propres", étaient mélangées aux usées, pour être traitées également avant de retourner au milieu naturel. » Des petits gestes ont également été encouragés, avec par exemple la distribution gratuite de limiteurs de consommation d’eau aux particuliers. Résultat de ce travail réalisé en amont : un volume d’eau à traiter divisé par deux.
« Le système fonctionne encore mieux que prévu »
« La solution d’une station classique avait été envisagée. L’investissement était moindre, mais la gestion à l’année était plus chère. Sur la durée de vie de la station, une économie substantielle sera réalisée », affirme la commune. 1,4 millions d’euros ont été investis pour réaliser ce vaste système d’épuration des eaux usées par les plantes. Le budget de fonctionnement annuel varie entre 80 et 100 000 euros. « Nous avons décidé de maintenir la gestion de ce système en régie directe, insiste Marcel Verger. Nous avons créé un emploi, entièrement dédié à cette tâche. La personne a en charge toute la partie électromécanique : maintenance des pompes, des automates, ou encore des sondes. »
Cette personne entretient également avec les agents de l’équipe technique municipale les espaces verts, assure le désherbage des bassins et de leurs abords. « Cela fonctionne encore mieux que prévu, se félicite le maire Marcel Verger. Pourtant, personne ne croyait à ce système. L’agence de l’eau nous a même imposé des normes plus strictes que les stations normales. » Une étude atteste par ailleurs de la robustesse des dispositifs de phytoépuration, même en période de subite et forte affluence dans des zones touristiques comme les campings.
5 millions de personnes non desservies par le tout-à-l’égout
Les systèmes de phytoépuration se développent aussi du côté des particuliers. En France, 5 millions de personnes ne sont pas desservies par le tout-à-l’égout, et doivent traiter elles-mêmes leurs eaux usées. On parle d’assainissement autonome, ou d’assainissement non collectif. Pendant longtemps, les filtres plantés ont été utilisés de manière expérimentale. Les particuliers désireux d’utiliser ce système « hors des clous » devaient signer des conventions avec leur mairie, et devaient parfois renoncer, ou procéder à des installations non autorisées.
Depuis 2009, certains procédés sont agréés par le gouvernement. D’après une étude menée ces cinq dernières années par l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), dont les résultats ont été publiés en septembre, la phytoépuration est l’un des systèmes les plus satisfaisants pour la qualité de l’eau rejetée après traitement.
Beaucoup d’avantages, peu d’inconvénients
Au contraire, les systèmes les plus courants, comme les systèmes de micro-stations, ont de piètres résultats. Pour Martin Werckmann, du réseau spécialisé Aquatiris, le succès de leur système de phytoépuration est dû à leurs nombreuses années d’expérience. « Nous avons fait des tests sur le terrain avant d’aller sur les bancs d’essai qui permettent d’obtenir les agréments ministériels, mais qui n’ont finalement pas grand chose à voir avec la réalité. » Autre avantage, selon lui : avec la phytoépuration, il n’y a pas d’obsolescence. Ce n’est pas forcément le cas des stations compactes, dont les compresseurs doivent être changés au bout de dix ans sans que l’on soit sûr que les pièces sont encore disponibles.
La principale contrainte, reprend Martin Werckmann, c’est l’emprise au sol. La phytoépuration prend de la place : entre 10 et 20 m2 pour une famille de cinq personnes. L’installation est visible, et ne peut être déplacée. Éligible au prêt à taux zéro, un système de filtres plantés coûte de 7000 à 11 000 euros. Mais les systèmes auto-construits (non éligibles quant à eux) peuvent coûter moins de 2000 euros. Autre avantage : La plupart des procédés de traitement, en station d’épuration collective ou en assainissement non collectif, produisent des boues qui sont ensuite incinérées, mises en décharge, ou épandues en agriculture. Ce n’est pas le cas de la phytoépuration. « Le massif filtrant s’autorégule, précise Martin Werkmann. Il n’y a pas de production de boues. » La phytoépuration a peut-être un bel avenir devant elle.
Nolwenn Weiler
Série « Eau et climat », en partenariat avec France Libertés
Cet article est publié dans le cadre d’une série de reportages et d’enquêtes sur les enjeux de la gestion de l’eau et des sols dans le contexte du réchauffement climatique, réalisée avec le soutien de France Libertés - fondation Danielle Mitterrand. www.france-libertes.org
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