« Les océans suffoquent ». C’est l’alerte lancée par le journal britannique The Guardian, à la suite de la publication d’une étude dans la revue Science sur les zones maritimes qui manquent de plus en plus d’oxygène [1]. En un demi-siècle, la proportion de zones de haute mer dépourvues de tout oxygène a plus que quadruplé. Le nombre de sites à faible teneur en oxygène situés près des côtes, y compris les estuaires et les mers, ont été multipliés par dix depuis 1950 ! Les scientifiques estiment que la teneur en oxygène va continuer à chuter dans ces deux types de zones au fur et à mesure que la Terre se réchauffera [2]. Or, près de la moitié de l’oxygène sur notre planète vient de l’océan.
Ci-dessus, la carte mondiale des sites côtiers où la teneur en oxygène est inférieure à 2 mg/litre (points rouges) et des zones minimales d’oxygène océanique à 300 mètres de profondeur (en bleu). Source : Global Ocean Oxygen Network
Les activités humaines en cause
Ces zones océaniques à faible teneur en oxygène sont un phénomène naturel, lié à la manière dont la rotation de la Terre affecte les courants océaniques, relève The Guardian. Mais ces zones « mortes », où faune et flore marines ne peuvent survivre, se sont considérablement étendues : au moins 500 zones mortes sont aujourd’hui signalées près des côtes, contre moins de 50 en 1950. En cause : les effets combinés du changement climatique et de la surcharge en nutriments liés aux activités humaines. Sur les côtes, le déversement de produits chimiques issus de l’industrie et d’engrais agricoles provoque une prolifération des algues. Ces dernières consomment beaucoup d’oxygène, notamment lorsqu’elles se décomposent. En haute mer, c’est principalement le réchauffement des eaux de surface qui empêche l’oxygène d’atteindre les profondeurs de l’océan, pointe l’étude.
On parle de « zones mortes » pour les parties non-oxygénées de l’océan, la survie de la majeure partie de la vie marine y devenant impossible. Dans des zones comme la baie de Chesapeake aux États-Unis ou la mer Baltique, la teneur en oxygène atteint des niveaux si bas que beaucoup d’animaux meurent asphyxiés. Comme les poissons évitent ces zones, leur habitat se réduit et ils se retrouvent davantage exposés aux prédateurs. Selon les auteurs, le problème dépasse le seul phénomène des « zones mortes ». Car de plus petites baisses en oxygène peuvent aussi freiner la croissance des espèces, entraver leur reproduction et entraîner des maladies voire la mort. Sans compter que lorsque l’océan se réchauffe, il retient moins d’oxygène alors que la faune vivant dans les eaux plus chaudes a un besoin en oxygène plus important...
« La survie de l’humanité en jeu »
« Certaines zones de pêche pourraient bénéficier du phénomène, du moins sur le court terme », relève le CNRS. La pollution par les engrais, le fumier et les eaux usées peuvent provoquer des proliférations d’algues dont la décomposition nourrit les poissons, et augmenter ainsi les prises autour des zones mortes. Par ailleurs, lorsque les poissons se retrouvent obligés de se regrouper pour fuir les zones à faible teneur en oxygène, il devient plus facile de les pêcher. « Mais sur le long terme, cela pourrait conduire à la surpêche et ainsi nuire à l’économie. » Les océans nourrissent plus de 500 millions de personnes, en particulier dans les pays les plus pauvres, et fournissent 350 millions d’emplois. « La survie de l’humanité est en jeu. Il n’est pas garanti que les activités de pêche artisanale puissent se délocaliser lorsque le manque d’oxygène détruira leurs récoltes ou fera fuir les poissons », relève le CNRS.
Pour faire face à ces faibles teneurs en oxygène, les auteurs de l’étude préconisent de s’attaquer aux causes, en réduisant de façon drastique l’utilisation d’engrais agricoles et les émissions de gaz à effet de serre. Ils invitent également à la création d’aires marines protégées ou de zones de pêche interdites, précisément dans les zones où la faune se réfugie pour échapper à la baisse d’oxygène dans son habitat d’origine. Une surveillance renforcée de ces zones est également demandée pour mieux comprendre les causes de ces processus.
Photo : un récif de coraux à l’agonie / National Oceanic and Atmospheric Administration (US)