Ce 18 janvier, la CGT annonce par communiqué le « refus d’autoriser » la manifestation prévue deux jours plus tard, le jeudi 20, pour protester contre la situation « intenable » dans l’Éducation nationale. La journée d’action fait suite à celle du 13 janvier. Les enseignants et personnels de l’Éducation nationale s’étaient alors massivement mis en grève – 75 % de grévistes dans le primaire selon le syndicat FSU – et plusieurs dizaines de milliers de personnes avaient manifesté.
Cette fois, les enseignants, personnels de l’Éducation nationale, parents d’élèves et élèves ne sont pas « autorisés » à manifester par la préfecture de police de Paris. La FSU regrette une décision qui « interdit l’expression des revendications des personnels à la suite des annonces faites par le Premier ministre. Annonces qui ne sont pas suffisantes après le chaos engendré par la gestion de la crise sanitaire par le ministère de l’Éducation nationale. »
« Le préfet de police, Didier Lallemant, ne fait souvent aucun cadeau là-dessus »
Dans un communiqué, le préfet indique qu’il n’a pas interdit la manifestation, mais n’a pas non plus délivré de récépissé de déclaration aux syndicats. La raison ? « Les délais légaux n’étaient pas respectés. » Une manifestation est censée être déclarée au moins trois jours avant son déroulement. L’absence de récépissé ne signifie pas que la manifestation est interdite, précise Nicolas Galépides, syndicaliste Sud PTT et habitué des dépôts de parcours et déclarations de manifestations en préfecture. « Les délais, c’est l’une des rares choses sur lesquelles on se fait avoir. Le préfet de police, Didier Lallemant, ne fait souvent aucun cadeau là-dessus. »
Des manifestations déclarées hors délais ont pourtant déjà été acceptées par la préfecture de police. C’est notamment arrivé lors de manifestations spontanées, en réaction à un attentat, à un féminicide ou à une actualité internationale par exemple. L’application de ces textes de loi, mobilisés pour refuser d’autoriser formellement cette manifestation, est donc plus flexible que ne le laisse penser la préfecture. « Le défaut de déclaration de la manifestation n’emporte pas automatiquement son interdiction, au sens de la loi », précise également le juriste Nicolas Hervieu, sur Twitter, faisant référence à une décision du Conseil d’État suite à l’interdiction d’une manifestation de la communauté tibétaine lors de la visite du président de la République populaire de Chine, en 1997. Et selon la Cour européenne des droits de l’Homme, une manifestation qui n’a pas fait l’objet de déclaration préalable, est « tacitement tolérée », ou « non interdite ».
Pas d’interdiction de manifester, les syndicats maintiennent leur appel
« Reste à voir si, politiquement, ils se permettront de déposer un arrêté contre la manifestation », ajoute le syndicaliste. Ici, le refus d’enregistrement signifie que les forces de police, si elles constatent un trouble à l’ordre public, pourraient disperser la manifestation. Une interdiction formelle est bien plus complexe à motiver qu’un simple refus d’accuser réception de la déclaration. Il faut prouver que la manifestation en question poserait un trouble à l’ordre public. Dans ces cas précis, ou pour motifs exceptionnels, l’accès aux lieux de manifestation et alentours peut être interdit et les manifestants interpellés.
La dernière interdiction d’une manifestation syndicale remonte à 60 ans : la manifestation contre l’Organisation armée secrète (OAS, un groupe terroriste d’extrême droite), en pleine guerre d’Algérie, le 8 février 1962 [1]. Maurice Papon, alors préfet de police de Paris, avait violemment réprimé ce rassemblement interdit. Neuf personnes sont décédées, bloquées dans l’entrée du métro Charonne. Plus récemment, en 2016, une manifestation contre la loi Travail a été interdite pendant quelques heures, avant un feu vert du ministère de l’Intérieur face à la levée de boucliers des syndicats.
Pour la CGT, la décision de ne pas autoriser formellement la manifestation est avant tout politique : « Non content de rester sourd à la colère et aux revendications des personnels de l’Éducation nationale, le gouvernement, à travers son représentant, leur dénie le droit de l’exprimer en manifestant dans Paris. »
Les organisations ont également envoyé ce matin une nouvelle demande d’enregistrement de la manifestation à la préfecture, ainsi qu’un courrier au Premier ministre, qui les avait reçus il y a moins d’une semaine pour écouter leurs revendications. Le rendez-vous, fixé à 14 heures place de la Sorbonne (Paris 5e), est bien maintenu. La manifestation ira jusqu’à Sèvres-Babylone.
Emma Bougerol
Photo : © Anne Paq