Engrais chimiques

Yara, la « multinationale viking » qui s’enrichit aux dépens des paysans et du climat

Engrais chimiques

par Olivier Petitjean

Numéro un mondial des engrais synthétiques, la firme Yara reste inconnue du grand public. Toujours plus onéreux pour les paysans, ses engrais sont aussi une source massive de gaz à effet de serre. L’entreprise norvégienne, qui aborde fièrement sur son logo un navire viking, est nominée au prix Pinocchio « spécial agriculture ».

Dans le débat public, la contestation ne faiblit pas contre la malbouffe et les dessous parfois sordides de l’agriculture et de l’élevage industriels. De son côté, le monde agricole dénonce la montée de l’« agri-bashing » et l’absence de distinction entre les pratiques et méthodes plus ou moins vertueuses des petits paysans et des exploitations industrielles. Pendant ce temps, relativement épargnées car inconnues du grand public, de grandes multinationales continuent tranquillement d’engranger les profits.

Fournisseurs de semences, d’engrais ou de pesticides, ou bien opérant au niveau du négoce et de la transformation, parfois les deux, ces discrets géants de l’agrobusiness sont à la fois les moteurs et les grands bénéficiaires de l’industrialisation de l’agriculture, avec son train de conséquences néfastes pour l’environnement, la qualité de l’alimentation... et les paysans eux-mêmes. Ce sont ces multinationales que l’ONG Les Amis de la Terre et la Confédération paysanne ont voulu dénoncer cette année à l’occasion de Prix Pinocchio spécialement consacrés à l’agriculture.

Lien étroit entre agriculture industrielle et crise climatique

Parmi les firmes nominées, Yara incarne non seulement la domination croissante de grandes firmes globalisées sur le monde agricole, mais aussi les liens étroits entre agriculture intensive et crise climatique. La firme norvégienne est, tout simplement, le leader mondial des engrais synthétiques, dont la principale matière première est le gaz naturel fossile. Ces engrais entraînent de fortes émissions de gaz à effet de serre, au niveau de leur production comme lors de leur application sur les sols. Ils libèrent du protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre qui représente presque la moitié des émissions de l’agriculture française, selon le Réseau action climat.

On pourrait penser qu’avec l’urgence climatique, les algues vertes et la pollution croissante de l’eau par les nitrates issus des engrais azotés, Yara et les gros acteurs agricoles français se seraient engagés dans une réduction progressive de leur usage. On en est loin. « Entre 2007 et 2017, la quantité d’engrais azotés appliqués a augmenté en passant de 81,6 kg à 83,9 kg par hectare », note au contraire le réseau écologiste.

Ces engrais constituent une source de profit appréciable pour Yara et les coopératives qui les commercialisent. En France, en 2019, les dépenses en engrais de synthèse représentent en moyenne 25 % des consommations d’une ferme. Entre 1970 et 2002, le prix des engrais en Europe de l’Ouest a bondi de 123 %. Une hausse corrélée au niveau de concentration du secteur, dominé en France par Yara et GPN – une ancienne filiale de Total appartenant désormais au groupe autrichien Borealis – pour les engrais azotés, et par le groupe français Roullier pour les engrais composés.

« Climatiquement intelligente » ou juste « viking » ?

Pour préserver une activité aussi juteuse, Yara imite les autres géants des énergies fossiles : la multinationale s’est lancée dans une vaste campagne de lobbying, notamment auprès de l’Europe, pour éviter toute régulation contraignante de son impact climatique. Selon l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory, Yara a dépensé près de 12 millions d’euros en lobbying dans la capitale européenne depuis 2010, tout en profitant du soutien de lobbys sectoriels comme FertilisersEurope ou le Conseil des industries chimiques Cefic. En parallèle, elle a poussé sa propre « solution », sous le nom d’« agriculture climatiquement intelligente » (lire notre enquête : Comment les multinationales se servent du changement climatique pour imposer leur futur modèle agricole).

Les installations de Yara sont souvent situées à proximité des ports pour recevoir plus facilement des cargaisons de gaz naturel – y compris désormais potentiellement du gaz de schiste américain, dont l’importation en France a commencé en 2018. Ces installations ont été ciblées l’année dernière en Allemagne. En France, l’usine du groupe à Montoir-en-Bretagne près de Saint-Nazaire (Yara en possède deux autres près du Havre et de Bordeaux) a été ciblée il y a quelques mois par des gilets jaunes. Site Seveso seuil haut, cette usine est aussi sous le coup de plusieurs injonctions et mises en demeure des services de l’État pour son non-respect chronique des normes et ses rejets excessifs dans l’environnement.

De tout cela, il n’est évidemment pas question sur le site web ou dans les documents de communication de Yara, dont le logo affiche un navire viking... S’agit-il d’un reflet inconscient de la dévastation provoquée par ses produits et ses activités d’un point de vue environnemental et climatique ?

Les votes pour les prix Pinocchio spécial agriculture sont ouverts jusqu’au 19 février sur le site prix-pinocchio.org.

Olivier Petitjean

 
 Photo : action de blocage d’un site de Yara le 23 septembre 2019, près de Hamboourg (Allemagne) / © Pay Numrich