Aéroport de Nantes

Notre-Dame-des-Landes, ou comment gaspiller 600 millions d’euros en période d’austérité

Aéroport de Nantes

par Nolwenn Weiler

Prévu depuis quarante ans, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est sujet à controverse, voire à conflits. Commandée par un collectif d’élus locaux, une étude économique indépendante apporte de l’eau au moulin des opposants, dont la manifestation « tracto-vélos » arrivera à Paris ce 12 novembre. Évaluant tous les impacts du projet et les exprimant en termes monétaires, elle met en évidence un coût pour la collectivité largement supérieur aux bénéfices que l’on peut attendre.

« Si on sait compter, on ne peut qu’être opposé à cet aéroport », résume un chef d’entreprise de la région nantaise qui a rejoint il y a peu le vaste mouvement d’opposition à la construction du nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Pas écolo pour un sou, et habitué des déplacements en avion, il s’insurge contre « le gaspillage des deniers publics ». Situé à 17 km au nord-ouest de Nantes et à 80 km de Rennes, le nouvel aéroport du Grand Ouest défraie la chronique locale depuis quarante ans. Dès les années 1960, la France projette de développer des « métropoles d’équilibre ». Pour que rayonnent en Europe, et dans le monde, d’autres villes que Paris. L’ensemble Nantes/Saint-Nazaire est retenu. Et on promet de lui accoler un aéroport à la hauteur de ses ambitions.

Le site de Notre-Dame-des-Landes est identifié en 1968. Mis en cause dès le départ par un collectif d’agriculteurs, le projet est placé en stand-by après la crise pétrolière des années 1970. Ressorti des cartons dans les années 2000, sous le gouvernement Jospin, le projet redevient d’actualité. En 2003, le gouvernement Raffarin donne son accord au lancement des études et enquêtes en vue de la procédure de déclaration d’utilité publique. C’est chose faite en février 2008. Deux ans plus tard, l’État confie au groupe de BTP Vinci la construction et la gestion (pour cinquante-cinq ans) de ce futur aéroport à vocation internationale, présenté comme le premier aéroport écolo...

Les faux chiffres de l’enquête d’utilité publique

Mais une étude économique toute récente, réalisée par des experts indépendants du cabinet néerlandais CE Delft, relève de graves erreurs dans l’analyse globale des coûts de l’aéroport et des bénéfices qu’il est censé engendré. Alors que plusieurs centaines de millions d’euros de bénéfices sont annoncés, cette étude, commandée par une association d’élus locaux [1], chiffre son coût pour la collectivité à 600 millions d’euros. Comment ? Jasper Faber, coauteur de l’étude, explique que le ratio coûts/bénéfices, tel qu’il a été calculé en 2006 pour justifier son utilité publique, a notamment été gonflé dans l’évaluation du gain de temps que permet le nouvel aéroport (converti en euros en fonction du nombre d’heures de transport épargnées par passager). Alors que le montant maximum recommandé par le Comité directeur des transports s’élève à 20 euros par heure de transport « économisée », celui mentionné dans l’enquête publique était de 98 euros ! « Si on prend la bonne mesure, le bénéfice est amoindri », évalue simplement Jasper Faber. C’est le moins que l’on puisse dire… Le nombre de millions d’euros gagnés passant de 911 à 317 millions, soit presque trois fois moins !

Autres oublis : les pertes de terres agricoles représentent, selon l’expertise, 26 millions d’euros. Elles ne sont pas mentionnées dans l’enquête de 2006. Pas plus que le coût de construction du train desservant l’aéroport, qui s’élèverait à 70 millions d’euros. Quant aux dépassements de coûts inhérents à la construction de telles infrastructures, ils s’élèveraient, si l’on prend le taux moyen de 40 %, à 757 millions d’euros, contre 304 millions programmés dans l’étude de 2006. Soit un différentiel de 453 millions.

Optimiser l’aéroport existant

Nouvelle omission de l’enquête publique de 2006, c’est le chiffrage de l’optimisation de Nantes Atlantique (NA), l’aéroport actuellement en service. Les lois Grenelle imposent pourtant qu’une étude des options alternatives soit menée quand des projets ont un impact sur l’environnement. Or le site retenu à Notre-Dame-des-Landes a une haute valeur écologique, avec une biodiversité riche et unique. Mais la notion de transfert d’activité aéroportuaire (et non de création) de Nantes Atlantique vers Notre-Dame-des-Landes permet de passer outre ces recommandations. Qui invitaient aussi au gel de toute nouvelle structure aéroportuaire.

Mais à l’heure où un premier plan d’austérité vient d’être annoncé par le Premier ministre, l’évaluation de l’optimisation de Nantes Atlantique mérite que l’on s’y arrête. Le bénéfice escompté serait, selon le cabinet CE Delft, de 100 millions d’euros. « En 2006, on part du principe que Nantes Atlantique sera saturé en 2019, détaille Jasper Faber. Or, on sait que le nombre de passagers envisagés est trop optimiste. » Le syndicat mixte d’études de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (au sein duquel on retrouve Vinci et des élus locaux) met en avant « une croissance du trafic passagers de + 5,5 % par an depuis vingt ans » à Nantes Atlantique et affirme qu’avec « bientôt 3 millions de voyageurs par an », la structure sera bientôt saturée.

« Une analyse des données de trafic des aéroports européens montre que le nombre de passagers par vol à Nantes Atlantique est assez faible pour un aéroport de cette taille », reprend l’expert de CE Delft. Et l’étude rappelle que l’éventuelle croissance de la demande peut être satisfaite au moins en partie par l’augmentation du nombre moyen de passagers par avion, en utilisant des avions plus gros. Ajoutons que les crises financières peuvent faire chuter les rythmes de croissance du trafic aérien. À la suite de celle qui avait secoué la planète à l’automne 2008, le trafic avait enregistré, au niveau international, un repli de 3,5 %. En Europe, ce repli avait été de plus de 5 %.

Vers un divorce ente les Verts et le PS ?

La conclusion de Ce Delft semble sans appel : « L’optimisation de Nantes Atlantique apparaît plus génératrice de richesses pour la France que la construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes ». Avec d’autres élus, et notamment le tout nouveau sénateur EELV Ronan Dantec, le maire sans étiquette de Notre-Dame-des-Landes Jean-Paul Naud déclare qu’il « faut abroger la déclaration d’utilité publique ». Le PS local s’étonne, voire s’insurge, de cette demande, que les membres d’EELV se sont bien gardés de mentionner lors des accords qui ont permis à Ronan Dantec d’être élu aux dernières sénatoriales. Cette pomme de discorde peut-elle faire capoter les accords entre écologistes et socialistes en vue des élections de 2012 ? Pour l’instant, les crispations semblent se concentrer sur l’EPR, le nouveau réacteur en construction à Flamanville, que le PS n’entend pas abandonner.

En juillet 2011, François Hollande, interviewé par Le Monde, estimait cependant que « personne n’imagine en France que l’alternance puisse risquer de ne pas se faire à cause d’un aéroport ». Mais en mars, Cécile Duflot avait assuré que « l’accord de 2012 avec le PS, s’ils ne lâchent pas sur Notre-Dame-des-Landes, ce sera non ». Et en juillet dernier, la candidate Eva Joly exigeait à nouveau l’abandon de l’aéroport. Au sein du PS, les avis divergent. Jean-Marc Ayrault, député maire de Nantes et proche de François Hollande, affirme que ce projet d’aéroport est « acquis et acté ». Tandis que Ségolène Royal demande une réouverture de l’enquête publique. L’introduction de faits nouveaux, telle l’étude de Ce Delft, pourraient appuyer une demande d’abrogation de la déclaration d’utilité publique. Mais pour le moment, rien n’est joué. L’automne des négociations politiques s’annonce chargé à gauche.

Nolwenn Weiler

Notes

[1L’association des élus doutant de la pertinence de l’aéroport (Cédpa).