« Il n’y a ni électricité, ni eau potable, ni toilettes. Pas de pain ni de nourriture. Ni de soins. Cette situation humanitaire est très difficile et ne convient pas aux personnes âgées, aux enfants ou aux blessés », indique Muhammad Zyad. Lui et sa famille occupent une tente dans un camp monté en urgence par l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. Ils ont dû quitter leur maison de Gaza city, au nord, mi-octobre, sous les bombes israéliennes.
« La maison de ma sœur avait été touchée. Son mari Mohammad a été tué avec trois de ses enfants, ainsi que sa belle-mère. Ma sœur a été blessée au dos », confie Muhammad. Les hôpitaux étant bondés, le reste de la famille se réfugie chez lui, alors qu’il abrite déjà sa mère et son père atteint d’un cancer. Tous décident de partir à pied vers le sud et Khan Younis.
Un mois après le début de l’offensive israélienne contre la bande de Gaza, en représailles aux attaques et tueries aveugles du Hamas contre des villes et des kibboutz du sud d’Israël, qui ont tué 1400 personnes, dont de nombreux civils israéliens ou étrangers, et kidnappé 240 otages, la barre des 10 000 morts palestiniens a été franchie. Au 7 novembre, l’ONU recense plus de 4200 enfants et 2700 femmes tuées, selon les données fournies par le ministère de la Santé palestinien, administré à Gaza par le Hamas, et que l’agence n’a pas encore été en mesure de vérifier de manière indépendante.
Près de la moitié des bâtiments ou logements de la bande de Gaza ont été détruits ou endommagés par les bombardements et les combats. Viser systématiquement les habitations et les infrastructures civiles, « rendant ainsi une ville entière – comme la ville de Gaza – inhabitable », constitue « un crime de guerre », estime ce 8 novembre le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit au logement, Balakrishnan Rajagopal. Il inclut également dans ces crimes de guerre les tirs de roquettes aveugles ciblant aussi Israël, qu’elles soient tirées de Gaza ou du Liban.
Fathia Mahmoud Obeid est professeure d’anglais à la retraite. Malgré ses 77 ans, elle a aussi quitté précipitamment l’immeuble de sept étages où elle habitait avec sa famille. « Nous avons reçu des appels nous disant que nous devions quitter Gaza ville. Puis les gens du Croissant rouge [l’équivalent de la Croix rouge, ndlr] sont passés que nous quittions notre maison. Nous étions obligés de partir. » Elle et sa famille chargent quelques affaires sur la moto-rickshaw de son fils et partent vers le sud, se mêlant aux flots de réfugiés. Pour finalement s’installer dans une des tentes du camp de Khan Younis. Fathia est maintenant doublement réfugiée. Sa famille avait dû fuir le village d’Al-Majdal, en Israël, sur les rives du lac de Tibériade, détruit en 1948 lorsque des centaines de milliers de Palestiniens sont forcés à l’exode, pour venir s’installer à Gaza. Puis devoir fuir à nouveau.
La première source de préoccupation dans les camps qui s’étendent depuis le 7 octobre : trouver de quoi manger. « Aujourd’hui mes enfants ont erré jusqu’à midi sans réussir à trouver du pain. Heureusement une amie en a apporté cinq que nous avons partagés avec un plat de fèves », décrit Fathia Mahmoud Obeid.
Muhammad Zyad et ses enfants se nourrissent pour le moment de boîtes de conserve de thon ou de haricots. « Tous les supermarchés sont vides et de nombreuses boulangeries ont été bombardées. Dix boulangeries autour de nos zones ont été ciblées. Il n’y en a qu’une qui fonctionne pour alimenter la majeure partie du sud », décrit-il. « Même si vous avez de l’argent, vous n’avez nulle part où acheter quoi que ce soit. Les civils paient le prix de cette guerre, ils ne sont coupables de rien de ce qui s’est passé. » Si, selon l’ONU, il reste encore environ trois semaines de stocks de blé dans la bande de Gaza, soumise au blocus israélien, il n’y a quasiment plus de riz et seulement une semaine de provisions de légumes.
Autre problème : l’eau et les sanitaires. « Il faut attendre une journée entière pour aller aux toilettes et elles sont bondées. Il n’y a pas de kits d’hygiène. 45 personnes utilisent une seule salle de bain, vous imaginez ? La situation est horrible, les maladies se propagent », témoigne-t-il. « Les enfants sont terrifiés par les bombardements et maintenant ils tombent malades, ils ne font pas partie de cette guerre ! Les enfants de la bande de Gaza ont le droit de vivre comme n’importe quel autre enfant dans le monde. » Dans sa tente, Fathia Mahmoud Obeid attend que son fils revienne pour qu’il l’emmène avec sa moto trouver des sanitaires décents.
« Ma petite de quatre ans est dans une longue file d’attente pour aller aux toilettes. Qu’est-ce que je lui dis : de ne pas manger, de ne pas boire, pour ne pas aller aux toilettes ? Et cela fait plus de 15 jours. Que nous reste-t-il ? » Nariman Abd occupe une tente voisine, avec ses trois enfants, dont le plus petit a sept mois et souffre d’une allergie. « Après quatre ou cinq jours de diarrhée, de vomissements et de fièvre, mon bébé est déshydraté », raconte-t-elle. Elle se rend alors à l’hôpital Nasser, l’un des deux hôpitaux du sud de la bande de Gaza. « Ils lui ont fait une perfusion pour les vomissements, mais pour la diarrhée il n’y a pas de solution et mon bébé continue de se déshydrater. »
Le reste de sa famille est, pour le moment, resté « sous les bombes », au nord, dans la ville de Gaza, dans le quartier Rimal, près des plages. « La femme de mon frère me dit qu’elle ne peut pas venir dans une zone comme celle-ci avec trois enfants. Et si j’avais su, je serai aussi restée chez moi dans ma maison, même avec les bombardements sur nos têtes. Ils nous traitent comme des ordures. »
« Nous demandons au monde qu’il protège les enfants et les civils », lance Muhammad Zyad. « Tant que l’occupation sera là, ces guerres persisteront. La cause profonde, c’est l’occupation. Il n’y a ni sécurité ni dignité tant que l’occupation ne prend pas fin. Nous souhaitons notre autodétermination afin de vivre en paix avec les Israéliens », dit-il.
« En ordonnant l’évacuation de plus d’un million de personnes du nord vers le sud de Gaza, sachant qu’il sera impossible de leur fournir un logement adéquat et une aide humanitaire, tout en maintenant un blocus, en coupant l’eau, la nourriture, le carburant et les médicaments et en attaquant à plusieurs reprises les voies d’évacuation », Israël se rend coupable « d’une violation cruelle et flagrante du droit humanitaire international » et de « crimes internationaux », a également déclaré le rapporteur spécial de l’ONU Balakrishnan Rajagopal.
Mohammed Zaanoun, qui a réalisé ce reportage photo et recueilli les paroles des personnes interviewées, fait régulièrement l’aller-retour entre le nord et le sud de la bande de Gaza. Le 14 octobre, il a emmené sa femme et ses enfants chez des proches, à Rafah, près de la frontière avec l’Égypte. « Comme tous les Palestiniens ici, j’avais reçu les messages d’Israël nous ordonnant d’évacuer le nord de la bande sous 24 heures. Ma maison avait été détruite par un missile israélien la nuit précédente », raconte-t-il dans le magazine israélo-palestinien en ligne +972. Le journaliste risque sa vie chaque minute : 41 journalistes ont été tués depuis le 7 octobre – plus d’un par jour – dont 36 à Gaza sous les bombardements, un au Liban et quatre lors de l’attaque du Hamas le 7 octobre, selon le décompte de Reporters sans frontières.
Mohammed Zaanoun (collectif Activestills), à Gaza, avec Anne Paq et Ivan du Roy