De moins en moins de paysans. Des fermes de plus en plus grandes. De plus en plus de haies détruites. La disparition des petites fermes entraîne un changement majeur des paysages. « Pour sauver les haies, il faut agir à la source et rendre attractifs des modèles agricoles compatibles avec des arbres, c’est-à-dire l’élevage d’animaux pâturants, a fortiori bio », avance la sociologue Catherine Darrot qui a mené une enquête démontrant que ces modèles favorisent clairement la plantation de haies et leur entretien.
La tendance, pourtant, est à l’inverse avec des installations agricoles qui ne compensent pas les départs, notamment dans le secteur de l’élevage. « La céréalisation de la Bretagne n’est pas pour demain », a assuré à Splann ! la région Bretagne. La région affirme cette ambition de rester une terre de polyculture-élevage. L’installation de nouveaux agriculteurs et agricultrices, et la transmission des exploitations, est la priorité agricole numéro 1 de la région dans ce mandat pour la politique agricole. »
Le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA), document qui dicte les règles d’attribution des terres, adopté en octobre 2023, va dans ce sens. Plusieurs dispositifs d’aide à l’installation et à l’agriculture bio existent, et des collectivités locales donnent de surcroît des coups de pouce financiers aux porteurs de projets.
Mais tout cela ne suffit pas à compenser les nombreux départs à la retraite, et donc l’agrandissement des fermes. Celui-ci est notamment favorisé par la Politique agricole commune (Pac), dont les aides restent majoritairement conditionnées à la surface dont les agriculteurs disposent. Et certains outils régionaux pourraient également avoir un effet indésirable sur le bocage. Par exemple, pour favoriser les installations, la Région facilite l’échange des parcelles. Or la restructuration parcellaire peut entraîner un risque d’arrachage de linéaires bocagers.
Préserver en donnant une valeur économique aux haies ?
Redonner une valeur économique au bois du bocage. Le Trégor, en Bretagne Nord, est pionnier en la matière, grâce à la création de la Bocagénèse à Plouaret en 2013, près de Lannion dans les Côtes-d’Armor. Le principe ? Des chaufferies communales raccordées à des bâtiments publics sont alimentées en bois issu du bocage local.
« À Plouaret, il y a trois agents techniques qui sont en charge de la taille des haies en bord de route, décrit David Rolland, chargé de mission “habitats et biodiversité” de la Fédération de chasse des Côtes-d’Armor. Ils font un travail de coupe de grande qualité, avec de bonnes cicatrisations, les arbres ne sont pas abîmés comme avec les lamiers. Ils sont très fiers de leur travail et les abords de la commune sont très beaux. » La maire de la commune, Annie Bras-Denis ajoute : « Cela rend service aux agriculteurs, qui ne doivent rien débourser, et cela permet de maintenir un dialogue sur ce sujet des arbres, parfois source de tensions dans les campagnes. »
L’exemple de Plouaret a fait des émules en Bretagne, et le développement de la filière bois-énergie est l’un des axes de travail des techniciens bocage. « Le territoire de Lannion est un précurseur à l’échelle de la Bretagne, peut-être même de la France, explique Aline Dangin, présidente de l’Association des techniciens de bassins versants bretons (ATBVB). Le modèle est reproductible, mais ça n’en a pas pris le chemin. »
Carole Sourisseau, technicienne à Pontivy (Morbihan), explique : « Certaines collectivités donnent un coup de pouce à la filière, d’autres sont plus frileuses. » Également référente bocage de l’ATBVB, elle pointe une difficulté : « Beaucoup de chaudières sont trop exigeantes pour recevoir du bois du bocage, car il produit beaucoup de poussières qui peuvent gêner la circulation des copeaux au sein de la chaudière. »
« Donner une valeur économique aux haies est le seul moyen de les préserver et d’augmenter le linéaire », pense Catherine Moret de l’Association française arbres champêtres et agroforesteries (Afac-agroforesteries). C’est aussi l’avis des chambres d’agriculture de Bretagne qui évoquent, entre autres solutions, « une juste rémunération via une meilleure valorisation économique du bois ». Mais Catherine Moret met en garde : « Il faut définir un cadre de façon à éviter l’accaparement de la ressource. »
Valoriser le bocage pour le bois de construction
Pour Julie Le Pollès, technicienne bocage, « il faut absolument qu’il y ait des techniciens qui suivent les projets dans les collectivités, pour pas que ça parte complètement dans un développement où il n’y a que l’économie qui prime. On aurait l’effet inverse : des haies matraquées, sans renouvellement, et ce sera une opération affreuse. »
D’autres spécialistes du secteur estiment que miser sur la haie comme ressource énergétique n’est pas toujours judicieux. « C’est une très bonne idée pour chauffer les habitants du bocage, là où il existe encore, mais pas ceux des villes, ni ceux des campagnes au bocage dégradé, c’est-à-dire la majorité de celles-ci, dit Thierry Guéhenneuc de l’association Terres et bocages. Il vaut mieux miser sur la ressource forestière pour cela. Contrairement au bocage, la forêt a beaucoup progressé en Bretagne ces vingt dernières années. Et le prix de revient sera bien moindre. »
L’association L’Arbre indispensable explique de son côté : « Traditionnellement, le bois de bocage servait essentiellement à la production de bois d’œuvre. Notre association milite depuis de nombreuses années pour la reconnaissance et l’utilité de cette source d’approvisionnement pour les constructions à venir. » Principaux avantages : un usage durable des arbres du bocage, puisqu’une charpente peut servir pendant des siècles, contrairement à des plaquettes pour chaufferies, et un revenu plus élevé pour les propriétaires.
Manque de moyens pour préserver l’existant
Planter des arbres, c’est la face la plus connue des politiques qui favorisent le bocage. En Bretagne administrative, le programme régional Breizh bocage est précurseur depuis 2008. En Loire-Atlantique, le plan « Liger bocage et agroforesterie » est lancé par la région Pays de la Loire en 2021. À première vue, les chiffres annoncés par les collectivités impressionnent : 6 500 kilomètres de haies plantés par le programme régional Breizh bocage depuis 2007, 50 000 arbres plantés chaque année par le département du Finistère, 15 kilomètres supplémentaires sur le territoire du syndicat de bassin versant Chère Don Isac, en Loire-Atlantique, d’ici la fin de l’hiver 2024…
« Le programme Breizh bocage a fait la preuve de son efficacité et de son opportunité, a affirmé à Splann ! la région Bretagne. À ce jour, ce sont 44 collectivités [qui] sont engagées dans ce programme, représentant près de 90 % du territoire breton. Sur la programmation 2015-2022, la Bretagne concentre, à elle seule, via le FEADER [le Fonds européen agricole pour le développement rural, ndlr], environ 65 % de l’effort national de plantations. »
Malgré le fort investissement public, le résultat est à nuancer : même si la longueur totale des haies paraît stabilisée depuis 2020 en Bretagne administrative, la qualité du bocage continue de se dégrader. « Ils veulent annoncer du chiffre, déplore Erwan*, technicien bocage dans une collectivité. Je regrette vraiment qu’on ne mette pas plus de moyens dans l’animation pour préserver l’existant. »
Subventionner des compensations de haies détruites
Les agriculteurs qui détruisent ont l’obligation de planter, à leurs frais, une nouvelle haie censée « compenser » ce qui est arasé. Certaines collectivités ont fait le choix de prendre en charge tout ou partie de ce coût, comme la Roche aux Fées communauté, en Ille-et-Vilaine, qui fournit gratuitement les plants. Une stratégie vivement critiquée, notamment par des techniciens bocage, car elle reviendrait à donner de l’argent public à ceux qui détruisent.
Léa Legentilhomme, technicienne à la Roche aux Fées, justifie : « Ça nous a été beaucoup reproché, mais à partir du moment où un agriculteur nous appelle pour déplacer une haie, au moins on sait ce qui est supprimé. »
Elle explique que cela lui permet de mettre un pied dans la ferme, et d’en profiter pour que l’agriculteur accepte, en plus de la compensation réglementaire, de faire planter des haies supplémentaires par Breizh bocage. « En moyenne, on plante trois fois plus que ce qui est détruit dans les exploitations qu’on accompagne pour des suppressions. »
Accompagner ceux qui détruisent
Le département du Finistère aussi finance des compensations de haies détruites, dans le cadre de son objectif de plantations de 50 000 arbres par an. « De toute manière, un agriculteur qui veut araser, il va araser, explique Loïc Varet, chargé de mission au département. Mais nous, on a fait le choix de ne financer la compensation que lorsqu’on replante l’équivalent de 135 % de la haie détruite, pour qu’il y ait un gain. » Les plantations de compensation représentent, selon son décompte, près de 20 % de l’ensemble des chantiers subventionnés.
Accompagner ceux qui détruisent, c’est aussi un choix porté par des élus. Annie Bras-Denis, maire de Plouaret, explique : « Il nous arrive effectivement de corriger le tir sur tel ou tel dossier. Notre objectif est toujours de préserver la maille bocagère, son linéaire et son volume, tout en acceptant des évolutions indispensables. Il y a un temps pour la médiation et la compréhension. Ce temps-là quand on le prend, il n’est pas perdu », explique l’édile, qui s’est plusieurs fois déplacée pour argumenter et négocier avec des contrevenants qui avaient endommagé des haies.
« Quand vous êtes élue, votre préoccupation c’est de faire vivre ensemble une communauté d’hommes et de femmes, si possible dans la bienveillance. » Et le sujet des haies peut être source de vives tensions dans une commune rurale, le maire se retrouvant dans une position particulièrement délicate.
Chantiers collectifs
Pour Thierry Guéhenneuc, de Terres et bocages, ce qui compte, c’est l’implication et l’autonomie des agriculteurs. « Si un paysan n’a pas le temps ni l’argent pour planter des arbres, il ne va certainement pas les entretenir après », constate-t-il. L’association qu’il a co-créée en 2008 rassemble une centaine d’agriculteurs, essentiellement des Côtes-d’Armor, organisés collectivement pour entretenir et renouveler le bocage de leurs exploitations. Comme pour les autres ateliers de l’exploitation, les agriculteurs décident de quand et où ils mènent des travaux.
La dimension collective revêt une importance cruciale, car le dépérissement du bocage vient aussi de l’individualisation croissante de la vie et du travail dans les campagnes. « Nous avons clairement constaté lors de notre étude que les plantations et entretiens de haies fonctionnent quand les agriculteurs peuvent compter sur un réseau : famille, voisins, entreprises de travaux agricoles, associations, etc. », évoque la sociologue Marie Toussaint. « Quand tu choisis les essences de tes arbres et que tu les plantes toi-même, tu es plus intéressée par ta haie, tu la regardes grandir, tu as envie d’en prendre soin », confirme Sylvie, éleveuse bio en Ille-et-Vilaine, qui garde un souvenir ému des chantiers collectifs menés avec des collègues pour planter des haies les uns chez les autres.
Dialoguer
Il peut être difficile d’entamer le dialogue avec certains agriculteurs très réticents à l’idée d’implanter des haies. L’investissement des élus locaux, qui viennent faire de la diplomatie dans la cour des fermes, peut faire la différence et faciliter le travail des techniciens. Guillaume Demange, animateur Liger bocage dans le syndicat Chère Don Isac, en Loire-Atlantique, témoigne : « En 2018, il y a eu des inondations sur Châteaubriant qui ont laissé des marques dans la population et les élus. Le souhait, c’était de dynamiser la plantation pour diminuer l’érosion et améliorer la qualité de l’eau. »
Le bocage, entre autres multiples services écosystémiques, régule le ruissellement de l’eau et favorise son infiltration. « Alors, à la Chapelle-Glain, le premier adjoint a contacté les trente exploitants de la commune pour dire qu’il y avait des subventions possibles pour la plantation. » La moitié d’entre eux a répondu. L’hiver suivant, cinq kilomètres ont été plantés. Le technicien conclut sans se faire trop d’illusions sur le contexte agricole défavorable aux haies : « Le combat n’est pas perdu partout. »
Nolwenn Weiler et Yann-Malo Kerbrat
Dessin : ©Yann Le Sacher