Elles ont déjà fait l’objet d’enquêtes, sans preuves, pour soi-disant avoir collaboré avec des passeurs et des trafiquants d’êtres humains. Les organisations non gouvernementales (ONG) qui procèdent à des sauvetages en mer Méditerranée pour secourir des migrants, telles l’association SOS Méditerranée, dont le siège est à Marseille, ou l’organisation allemande Sea Watch, sont à nouveau la cible d’attaques des autorités italiennes et européennes.
Début juillet, la Commission européenne a proposé un « plan d’action pour soutenir l’Italie, réduire la pression sur les côtes méditerranéennes et accroître la solidarité ». En matière de « solidarité », l’une des première mesures envisagées pour « réduire la pression migratoire sur la route méditerranéenne » s’adresse aux associations qui secourent les migrants et leurs embarcations de fortune : elles devront adopter un code de conduite. Mi-juillet, l’organisation indépendante Statewatch a révélé son contenu, formulé par les autorités italienne. Le texte envisage, entre autres, d’interdire aux ONG d’entrer dans les eaux territoriales libyennes et de les obliger à transmettre toutes informations demandées par la police italienne.
« Il existe déjà un code de conduite », a réagi l’ONG allemande de sauvetage en mer Sea Watch. C’est « le droit maritime international. En plus, un code de conduite des opérations de sauvetage en mer Méditerranée a déjà été adopté par les ONG et la Fédération internationale de sauvetage en mer », ajoute l’organisation [1]. Ce projet d’un code de conduite imposé par les autorités est présenté alors que l’Italie demande l’aide de ses partenaires européens face aux arrivées de bateaux de migrants dans ses ports. Ses voisins, France et Allemagne en tête, et la Commission européenne, y répondent en sous-traitant la question aux autorités libyennes, dont le pays est pourtant en proie à une grande instabilité et à une guerre civile larvée.
Les ONG sauvent davantage de vie que l’agence européenne Frontex
Cette politique de coopération avec la Libye, et d’autres pays africains, dictatures comprises, pour empêcher les départs de migrants en mer a été confirmée lors d’un conseil européen informel à Tallinn le 6 juillet [2]. L’Union européenne avait déjà décidé de financer les gardes-côtes libyens pour que ceux-ci retiennent les migrants au sud de la Méditerranée et refoulent les embarcations avant qu’elles n’atteignent les eaux internationales. Cette stratégie est dans la droite ligne de l’accord conclu l’an dernier avec le régime turc pour bloquer les migrants avant leur départ vers la Grèce.
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Pourtant, les témoignages de migrants passés par la Libye, un pays sans autorités étatiques stables, font état de violences, de tortures, de viols ou d’esclavage [3]. Une situation que décrit aussi un rapport d’Amnesty International publié le 6 juillet. Amnesty y rappelle les chiffres des migrants morts en mer Méditerranée ces dernières années : plus de 3000 en 2014, 2800 en 2015, 4500 en 2016. Et déjà plus de 2000 pour les six premiers mois de 2017, sur 73 000 personnes qui ont atteint les côtes italiennes dans des embarcations de fortunes pendant cette période.
L’organisation internationale de défense des droits humains y fait aussi les comptes des vies sauvées. Depuis janvier 2017, Frontex, l’agence européenne de protection des frontières, a sauvé la vie de 2700 personnes en mer Méditerranée, les navires marchands en ont secouru 5700, les gardes côtes italiens en ont recueilli 10 000 et les ONG présentes en mer plus de 12 000. En 2015, Frontex avait sauvé 13 000 vies, les gardes côtes italiens 35 800, la marine italienne 36 000, les ONG 46 800.
« Une stratégie qui se solde par des milliers de noyades »
Dans ce contexte, pourquoi les autorités européennes et italiennes s’acharnent-elles à mettre en doute la probité et le travail des ONG qui mènent ces sauvetages ? « Les États européens tournent progressivement le dos à une stratégie de recherche et de secours qui réduisait la mortalité en mer, au profit d’une stratégie qui se solde par des milliers de noyades et ne vient pas en aide aux hommes, aux femmes et aux enfants pris au piège en Libye, en proie à de terribles violences », dénonce Amnesty International.
« Ce qui serait important, ce serait de conditionner l’aide européenne apportée aux gardes-côtes libyens au respect par ceux-ci du code de conduite pour les sauvetages en Mer Méditerranée qui existe déjà », souligne pour sa part le porte-parole de l’ONG allemande Sea Watch, Frank Dörner. « Les gardes-côtes libyens violent régulièrement le droit maritime international de sauvetage et à la convention de Genève sur les droits des réfugiés. Sur ce point, l’UE n’a mis en place aucun mécanisme de contrôle, alors que les actes illégaux de ces garde-côtes financés par l’UE mènent des migrants à la mort. Au lieu d’échauffer les esprits contre les organisations de sauvetage en mer, il faut plutôt réfléchir à des solutions pour répondre à la crise humanitaire en Méditerranée. Nous avons besoin de voies légales et sûres et nous avons besoin d’une flotte européenne de sauvetage en mer », demande l’organisation.