En janvier 2013, le fournisseur d’accès internet Free avait bloqué par défaut la publicité pour ses clients pendant quelques jours, protégeant plus de cinq millions d’internautes de l’agression publicitaire. Cette mesure courageuse répondait à une préoccupation importante des Français ; la publicité est en effet considérée par la majorité d’entre eux comme envahissante [1]. Free vient de réactiver l’option mais sans blocage par défaut, une timide avancée.
Liberté d’intrusion contre liberté de réception
Free, par cette action, a engagé bien malgré elle, un débat sur la pollution visuelle et mentale due à la publicité sur Internet. Des acteurs du web, très dépendants de la publicité, se sont offusqués de cette pratique au nom de la liberté d’expression et d’accès à une information gratuite.
On peut les comprendre : qui va mordre la main qui vous nourrit ? Car ces acteurs ne font que défendre les intérêts économiques du système publicitaire. Ils légitiment une liberté d’intrusion d’une publicité qui s’oppose clairement à la liberté de réception de l’internaute, le tout au nom d’une fausse gratuité.
L’information véhiculée par ces sites internet dépendants de la publicité n’est jamais gratuite. La gratuité suppose une absence de contre-partie. Or, un annonceur achète l’audience d’un site internet - « temps de cerveau disponible » - pour essayer de capter son attention et espérer un clic sur sa bannière. Le site vend ses lecteurs à cet annonceur moyennant finance. C’est pourquoi on a coutume de dire que lorsque l’on ne paye pas le produit c’est que nous sommes le produit vendu.
La pub, une taxe cachée
Les services en lignes publicitaires ne se contentent plus de vendre le temps d’attention de leurs lecteurs mais également leurs contributions. Cette dimension productive des contributeurs est exploitée par l’industrie publicitaire que représente notamment Facebook, Google ou Twitter. Les tentatives d’appropriations des contributions par ces services en ligne sont régulières, on l’a vu récemment avec Instagram [2] qui a tenté de déposséder des millions de contributeurs de leurs photos.
Enfin, les annonceurs répercutent le prix de leurs campagnes publicitaires dans le prix des produits vantés. Chacun d’entre nous paye, dans ses achats, le prix de cette publicité, comme une taxe cachée. On le chiffre, toutes publicités confondues, à environ 480 € par personne et par an [3].
A cela, on peut ajouter d’autres coûts indirects tels que ceux de la consommation énergétique et d’exploitation de matières premières rares utilisées par les ordinateurs et serveurs.
Gaspillage et encombrement
Une des explications de Free pour justifier le blocage des publicités est à ce titre éclairante : la qualité de leur réseau aurait été touchée par le trafic de sites internet consommant trop de bande passante. Sur certains sites d’information en ligne financés par la publicité, la charge de celle-ci peut représenter entre 30 et 50 % de la page selon les estimations de « Surfez Couvert ». Une part non négligeable en termes de consommation énergétique est donc clairement imputable à la publicité. Et les internautes ne sont pas dupes : 83 % des sondés estiment que la publicité sur Internet dérange la navigation [4].
De plus, la croissance exponentielle de l’information rend sa compréhension et le tri entre l’accessoire et l’essentiel encore plus compliqué. La publicité par la captation de notre attention brouille nos sens et entraîne une véritable « infobésité ». La publicité n’est pas seulement gênante par son omniprésence, elle est aussi nocive pour les individus, comme pour la société : obésité, anorexie, sexisme, frustration, comportements violents, surconsommation, sur-endettement…
Un autre web est possible
Des modèles économiques qui se passent de publicité existent déjà et sont viables. Wikipedia est l’un des sites les plus consultés au monde et est financé par ses contributeurs. Ou encore, Mediapart et @rret sur images fonctionnent sur un modèle d’abonnement communautaire.
Les politiques doivent garantir aux Français, par la loi, la liberté de réception pour que les bloqueurs de publicités et de cookies publicitaires soient installés par défaut sur tous les navigateurs internet pour être contrôlé par l’internaute lui même. Enfin, on peut aussi imaginer une redevance web qui permettrait de financer de manière inconditionnelle les sites internet sans publicité.
Faute de mieux, nous encourageons tous les internautes, soucieux de se protéger de la pollution et l’intrusion publicitaire à suivre le guide du site internet surfezcouvert.net.
Khaled Gaiji et Charlotte Nenner, co-présidents de Résistance à l’agression Publicitaire
Antonin Moulart, animateur de Surfez couverts
Image : antipub.be