Justice des mineurs

Une journée dans un établissement pénitentiaire pour mineurs

Justice des mineurs

par Rédaction

Les Établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ont été créés sous le gouvernement Raffarin par Dominique Perben, alors ministre de la Justice, dans la foulée des centres éducatifs « renforcés » puis « fermés ». Le premier a été inauguré en 2007. Une personne qui travaille dans l’une de ces prisons, raconte pour Basta! le quotidien des jeunes qui y sont enfermés, mais aussi celui des éducateurs et du personnel qui les encadrent. Visite guidée au-delà du mur.

Photo : © Pierre Morel / Collectif Contre-Faits

Après être passé par le portique de sécurité, puis par différentes portes et autres grilles, on accède à la zone de détention.

Ce qui frappe d’abord, c’est le bruit. C’est vrai la première fois, les autres aussi. Chaque fois, j’ai la sensation d’entrer dans une arène.

Les jeunes crient depuis leurs cellules pour communiquer entre eux. Ils nous interpellent : « Quelle heure il est ? », « pourquoi j’vais pas en sport, moi ? » Parfois, ils nous insultent (mention spéciale pour « la chatte à ta mère »).

Quand nous sommes dans les unités, nous n’entendons pas ou peu ces cris. En cas de bagarre ou d’agression, une alarme se déclenche, signalant qu’une équipe a besoin de renfort. Les surveillants se précipitent alors pour soutenir les collègues. Dans ces moments-là, une grande excitation est palpable chez certains jeunes fascinés par le désordre.

L’expérience n’atténue pas l’émotion générée par l’image de ces adolescents derrière les barreaux. Une collègue, éducatrice en foyer, me racontait récemment une soirée au cours de laquelle les jeunes avaient construit une cabane dans un arbre… J’en avais presque oublié que les ados pouvaient faire ça… Nous accompagnons pourtant les mêmes publics, mais le cadre coercitif génère des comportements différents et modifie la relation éducative.

Voilà pour l’ambiance générale. Voyons maintenant à quoi ressemble une journée ordinaire en EPM.

Du matin au soir, les jeunes sont encadrés par un binôme composé d’un éducateur et d’un surveillant pour chaque unité. Nos missions sont distinctes mais nous fonctionnons toujours à deux. Les repas sont des temps essentiels qui rythment les journées. Nous les prenons avec les jeunes au sein de l’unité d’hébergement. Nous partageons cette nourriture « préparée » par une régie privée. Ce n’est pas bon, mais rien à voir cependant avec la nourriture infâme servie dans les maisons d’arrêt. Les objectifs éducatifs que nous pourrions développer autour de la nourriture me semblent incompatibles avec la recherche du profit inhérente à toute gestion privée. Certains jeunes pourraient découvrir ou retrouver en prison l’intérêt de s’asseoir à table, d’échanger avec ceux qui partagent le même repas, de faire trois repas par jour et de diversifier leur nourriture. Cette mission s’avère difficile à remplir lorsque nous mangeons une omelette lyophilisée ou du veau qui n’a jamais vu le jour.

Durant la journée, les jeunes sont peu en cellule, ils sortent pour les repas, les activités et des temps collectifs au sein de l’unité (avant chaque repas). Les jeunes vont tous à l’école, assurée par cinq enseignants. Ils ont, en moyenne, 20 heures de cours hebdomadaires. La grande majorité des enfants incarcérés ont vécu une scolarité chaotique. Ils sont souvent déscolarisés, parfois depuis plusieurs années. Le temps de l’incarcération, durant lequel les sollicitations émanant de l’extérieur sont moindres, peut permettre à certains jeunes de se remobiliser autours d’un projet professionnel ou de reprendre un apprentissage théorique de base. L’école est obligatoire pour tous, trois refus entraînent un « encellulement » (sans télé et sans temps collectif). En prison, il est assez rare que les enfants ne veuillent pas s’y rendre. L’école est l’occasion de rencontrer des jeunes des autres unités et de sortir de cellule.

Ensuite, les jeunes ont des activités sportives (musculation, football, ping-pong…). En moyenne, le sport occupe une dizaine d’heures par semaine. Dans l’histoire de la prise en charge de la jeunesse délinquante, l’exercice physique a toujours eu une place prédominante. Enfin, ils participent à des « activités culturelles » : arts plastique, théâtre ou… code de la route.

Toutes ces activités sont obligatoires. Peu importe l’intérêt éducatif. À l’EPM, l’oisiveté n’est pas de mise : si les jeunes n’ont pas le temps de s’ennuyer, ils ne feront pas de conneries ! Oui mais voilà, tout enfant, pour se construire, a besoin de cet ennui. C’est d’autant plus vrai quand l’enjeu pour l’adolescent consiste à comprendre pourquoi il est en prison.

Après manger et jusqu’au lendemain matin, le jeune est enfermé dans sa cellule de 9 m2. Jusqu’à minuit, il peut regarder la télé qui, en cellule encore plus qu’ailleurs, maintient la paix sociale.

A suivre…


Les EPM : petite histoire

En 2002, la Convention européenne des droits de l’homme puis la commission d’enquête du Sénat ont dénoncé la situation des mineurs incarcérés en maison d’arrêt sur deux points en particulier : la vétusté des bâtiments et l’absence d’étanchéité avec les majeurs. Des critiques qui ont accéléré la création de sept Établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) en France. Dernière « trouvaille » après les Centres éducatifs renforcés et les Centres éducatifs fermés, pour tenter d’apporter une « réponse » à la jeunesse qui dérange.

Le premier EPM a ouvert il y a près de deux ans, dans le sud-ouest, à Lavaur. Possèdant une capacité d’accueil de 60 places, chaque établissement est organisé en sept unités d’hébergement, dont une pour les arrivants, une pour les filles et un sas de transition vers les unités de vie. Chaque jeune dort dans un espace individuel (mais cela pourrait changer si le nombre d’incarcérations augmentait). Les cellules font 9 m², sauf le mitard qui est plus exigu.