Répression

Une soirée ordinaire en Sarkozie…

Répression

par Rédaction

Une belle soirée printanière propice aux pique-niques urbains, un concert improvisé (et gratuit) sur les quais de Seine, un fourgon de police… Et l’ambiance s’alourdit : mini-émeutes, coups de matraques et courses-poursuites. Récit d’une scène devenue banale dans la France de 2009, et illustration de ces libertés qui se réduisent à vue d’œil.

Mercredi 20 mai, 21 heures. C’est une belle soirée qui me pousse, comme des dizaines d’autres jeunes parisiens, à rejoindre les quais de Seine, du côté de Jussieu, le temps d’un pique- nique en plein air avec des amis. Nous prenons place dans les « arènes », ces mini-amphithéâtres qui se transforment en pistes de danse chaque été, à partir du mois de juin : salsa, rock, tango… quand elles ne sont pas investies par des capoeiristes, des musiciens et autres jongleurs talentueux. L’ambiance y est bon enfant, échanges de tire-bouchons, de couverts ou de gobelets en plastique entre les « équipés », ceux qui ont emporté avec eux le panier achalandé qui fait bien des envieux, et les autres, qui « carburent » aux Curly® et sirotent leur bouteille à même le goulot.

L’heure tourne. Après ces réjouissances gustatives : place à la fête, en musique ! Les maestro de cette joyeuse assemblée sortent cuivres et percussions et se mettent en route pour un bœuf improvisé. Entraînés par ces rythmes cadencés, les gens quittent peu à peu les bancs de l’arène pour rejoindre la piste. Et subtilement, à cet instant où la fête commence à battre son plein, un fourgon de police vient s’installer, dans l’arrière scène. Avec une discrétion affichée, les hommes de l’ordre restent dans l’ombre. Ils ne jouent pas d’emblée les trouble-fête. Il n’empêche : il est difficile de ne pas se sentir épiés. Même en feignant d’ignorer cette apparition impromptue, le malaise est quand même bien présent, renforcé par leur position d’observateurs statiques, qui ne cherchent pas à entrer en communication avec nous. Au fur et à mesure des minutes qui s’écoulent, cette distance délibérée et cette quiétude apparente deviennent difficiles à gérer pour poursuivre la fête « comme si de rien n’était ». Dans cette atmosphère de défiance, la tension va crescendo ; les échanges de regards entre jeunes et policiers deviennent de plus en plus insistants.

En l’espace d’un instant, l’ambiance festive bascule. Nous allons vivre une scène qui parait surréaliste : des cadavres de bouteilles sont soudainement jetés par les jeunes en direction des policiers et de leur fourgon. La riposte ne se fait pas attendre : les forces de l’ordre se mettent à courir dans tous les sens et à dégainer leurs matraques pour arrêter un maximum de jeunes. L’ambiance est à l’émeute et nous sommes obligés de détaler vitesse grand V, pour ne pas être pris dans les mailles de leurs filets. Cinq minutes plus tard, alors que les policiers continuent de charger sur les jeunes, un renfort policier d’envergure, comprenant au moins six ou sept véhicules supplémentaires, arrive sur les lieux.

Nous discutons avec quelques-uns, qui ont pris la fuite en même temps que nous, mais qui étaient aux premières loges avant l’explosion de violence. Les policiers sont venus demander l’arrêt immédiat de la musique, en confisquant les instruments des plus rétifs, et ont prié l’assemblée de se disperser, de rentrer chez soi. Or, si la violence des jeunes ce soir-là ne peut évidemment pas être cautionnée, la violence symbolique du discours policier, assortie d’une violence physique ostensible, n’en est pas moindre. Je dois vite comprendre la portée de ce mot d’ordre qui signifie l’arrêt de toute soirée musicale ou festive en plein air. Un des derniers bastions récréatifs de Paris l’été vient de tomber, et avec lui, l’impression de vivre dans un pays de liberté.

J’aurai l’occasion de vérifier deux jours plus tard que les patrouilles ont pris racine sur les quais et qu’effectivement, tout attroupement récréatif est découragé. Quand j’interroge un policier sur les motifs de leur présence ininterrompue dans un lieu public où l’on n’avait pas l’habitude de les voir, il me répond que cette décision fait suite à des plaintes de riverains influents, de l’autre côté de la Seine… Et ajoute, en ironisant : « Bien sûr que si c’était vous ou moi qui avions à nous plaindre, il se passerait absolument rien mais là, vous voyez, c’est pas n’importe qui ! ». Un arrangement de plus et une liberté en moins dans le banal et toujours révoltant système sarkozien.