Climat

2023, année la plus chaude jamais enregistrée : « J’ai reçu cette annonce comme un uppercut »

Climat

par Natacha Gondran

Manque d’eau, températures rendant la vie humaine impossible en extérieur, submersions : « Certains territoires du monde sont déjà devenus inhabitables à cause des changements climatiques », alerte la chercheuse Natacha Gondran.

Natacha Gondran
Professeure à l’École nationale des Mines Saint-Étienne / UMR 5600 Environnement Ville Société
© Pierre Grasset

Un soir de janvier 2024, une brève annonce sur France Inter : « L’année « 2023 est l’année la plus chaude jamais enregistrée », confirme le programme Copernicus dans une étude publiée ce mardi. Cette hausse des températures mondiales est "proche de la limite de 1,5 degré" fixée par l’Accord de Paris. » La journaliste passe rapidement à un autre sujet.

Moi, j’ai reçu cette annonce comme un uppercut. De nombreux travaux, scientifiques et politiques, portent sur l’augmentation de la température moyenne mondiale qui serait « acceptable » par rapport à la température moyenne constatée entre 1850 et 1900. L’enjeu est de définir une « cible » qui représenterait le moment où l’on risque de perdre, irréversiblement, la stabilité du climat que l’on connait depuis 10 000 ans.

En 2009, un numéro de Nature [1] propose de respecter une augmentation inférieure à 2°C. Cet objectif de 2°C a été repris par les négociations politiques de la convention cadre sur le changement climatique (les fameuses « Cop » ou Conférences des parties). Mais, lors de la Cop 21, à Paris, en 2015, il a été remis en cause, en particulier par les petits territoires insulaires du Pacifique [2], qui plaidaient pour une cible de 1,5°C. Car au-delà de cette augmentation de température, la pérennité de leurs territoires est tout simplement remise en cause.

Seuils de bascule

Afin d’éclairer ce débat, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) avait été mandaté pour son rapport spécial, publié en 2018, sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C. Ce rapport a probablement contribué au succès des « grèves pour le climat » de 2019. Sa lecture ne laisse en effet aucun doute : une augmentation de la température moyenne mondiale de plus de 1,5°C augmente considérablement le niveau de risques associés au climat, à la santé, à la sécurité alimentaire, à l’approvisionnement en eau, et à la sécurité des humains (augmentation du niveau de la mer, extinctions d’espèces, impacts sur le cycle de l’eau douce, par exemple).

En outre, cela contribuera à franchir plusieurs « seuils de bascule » (dégel du permafrost, modification de certains courants océaniques, fonte des glaciers, entre autres) qui rendront tout retour en arrière impossible. Notre climat changera irréversiblement d’état d’équilibre, pour atteindre un nouvel état potentiellement bien moins accueillant pour les espèces vivantes, et entre autres pour l’espèce humaine…

Certes, des scientifiques, se voulant rassurants, objectent, à juste titre, que cette « cible » de 1,5 ou 2°C n’est pas établie sur une seule année, mais sur une moyenne glissante de 10 à 30 ans (selon les études), autour de l’année étudiée. Mais les données transmises par Copernicus, le programme d’observation de la Terre de l’Union européenne sont pour le moins inquiétantes. Par exemple, le schéma ci-dessous représente l’évolution des températures moyennes quotidiennes de l’océan (entre les latitudes 60° sud et 60° nord pour ne pas prendre en compte les zones polaires).

Shéma représentants les température de surface moyenne de l'océan planétaire (hors zones polaires)
Source : Copernicus

La figure 1 montre clairement un « décrochage », ces deux dernières années, laissant présager, a minima une forte augmentation de la variabilité des températures moyennes (dans l’hypothèse où les températures redescendraient fortement les années à venir, ce qui est nécessaire si l’on envisage une moyenne qui resterait stable), ou, encore plus inquiétant, une augmentation brutale des températures moyennes mondiales.

Cela pourrait alors laisser présager que nous sommes effectivement en train de franchir un « seuil de bascule », évoqué par les scientifiques qui travaillent sur « les limites planétaires », qui susciterait une accélération des impacts du changement climatique.

Des territoires inhabitables

Dans une publication dans la revue Nature, en 2023, J. Rockström et ses collègues définissent cette augmentation de température de 1,5°C comme la « frontière sûre » pour le climat mondial [3]. Grâce à la participation de chercheurs en sciences sociales parmi ses auteurs, cette publication introduisait un critère de « justice » dans la définition des différents seuils. Cette notion de justice y est définie comme un état du système Terre qui « minimise l’exposition d’humains à des dommages significatifs ».

Pour le climat, la condition à respecter pour respecter ce critère de justice est que la température moyenne mondiale ne doit pas excéder 1°C de plus que la température moyenne entre 1850 et 1900. Cette augmentation de température étant dépassée, cela signifie que, aujourd’hui déjà, certains territoires du monde sont devenus inhabitables à cause des changements climatiques (absence d’eau, températures qui rendent la vie humaine impossible en extérieur, submersions, par exemple).

Et donc ? Que faire ? J’avoue ne pas avoir de réponse. Mais je trouve effarant que l’on puisse continuer à faire comme si de rien n’était. Un peu comme une personne qui apprend qu’elle est atteinte d’un cancer : sa vie peut encore durer, plus ou moins longtemps selon le diagnostic et les traitements possibles, mais elle bascule inéluctablement de l’insouciance à l’intériorisation qu’elle n’est pas éternelle… Le pire est certain si l’on ne fait rien, mais des choix sont toujours possibles pour adoucir et prolonger la vie qui continue malgré tout : actions préventives (toujours indispensables), traitements curatifs et palliatifs…

En ce qui concerne le changement climatique, les actions préventives concernent la limitation de nos émissions de gaz à effet de serre à travers des transformations de nos systèmes urbains, énergétiques, agricoles et industriels. Elles sont plus que jamais indispensables pour limiter les changements. Pour les actions curatives, certains proposent des solutions de géoingénierie, mais leurs dommages collatéraux sont mal connus et le remède risque d’être pire que le mal.

Régénérer la nature

Johan Rockström et ses collègues proposent plutôt de promouvoir des solutions visant à régénérer la nature là où elle a été détruite, afin de restaurer les fonctions des écosystèmes. Cela permettrait à la fois de limiter les émissions de gaz à effet de serre, préserver l’intégrité fonctionnelle de la biosphère, et de réduire la vulnérabilité des territoires et écosystèmes face aux changements climatiques.

Il s’agirait ainsi de « rendre à la nature » des zones aujourd’hui artificialisées. Quant aux « traitements palliatifs », ils risquent fort de relever de la « maladaptation » (généralisation de la climatisation, par exemple). En outre, ils susciteront inéluctablement des tensions très fortes entre les territoires et personnes qui peuvent en profiter et celles qui ne le peuvent pas.

Quelles que soient les solutions, elles impliquent des choix, des renoncements, dont certains seront inéluctablement douloureux. Mais comment peut-on ne pas mettre ce sujet sur le devant de la scène, en les introduisant au sein de chacune des décisions prises au sein de la société, afin de faire ces choix dans un cadre collectif et démocratique ? Selon Johan Rockström, il s’agit du « plus grand défi auquel l’humanité ait jamais été confrontée ». Aborder collectivement ce défi est l’occasion d’échanger ensemble sur les choix que nous voulons pour nos sociétés. Quelles activités conserver ? Quelles activités modifier ? Quelles sont celles qu’il faut arrêter ?

Il peut sembler naïf de vouloir un tel débat, mais n’est-il pas encore plus naïf de le « cacher sous le tapis », en faisant l’hypothèse que le monde des prochaines années ressemblera à celui que l’on a connu ?

Natacha Gondran, professeur à l’École nationale des Mines Saint-Étienne.

Photo de une : Action d’Extinction Rebellion à Paris en 2019/©Anne Paq