Climat

« La décision de la COP28 n’oblige aucun État à réduire l’exploitation des énergies fossiles »

Climat

par Maxime Combes

Les décisions de la COP28 sont-elles « historiques » ? L’appel à une « transition hors des énergies fossiles » est un résultat positif, mais il comporte des faiblesses qui en limite la portée, analyse l’économiste Maxime Combes.

La COP28 sur le climat de Dubaï vient d’aboutir à plusieurs accords mercredi 13 décembre. Le plus commenté, le Global Stocktake, a pour ambition d’établir un bilan de la mise en œuvre de l’Accord de Paris de 2015. Il mentionne, pour la première fois dans une décision de conférence internationale pour le climat, l’ensemble des énergies fossiles et « appelle » les États à une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques ».

Le président de la COP28, Sultan Al-Jaber, par ailleurs PDG d’une entreprise pétrolière, a immédiatement parlé d’une décision « historique pour accélérer l’action climatique ». Ce terme, « historique », est désormais repris, souvent sans recul et sans distance critique, par de nombreux commentateurs. Mais est-ce vraiment le cas ?

Contradictions

Il y a toujours plusieurs façons d’analyser le résultat d’une conférence internationale telle que la COP28 sur le climat.

  • en regardant le chemin parcouru. Les énergies fossiles, responsables de plus de 80 % des émissions mondiales de CO2, n’avaient jamais été mentionnées dans les décisions de COP jusqu’à la COP26, pas plus que dans les accords internationaux qui en sont issus (Protocole de Kyoto, Accord de Paris etc). Elles sont désormais mises à l’index comme une source d’énergie à laquelle il faut progressivement renoncer dans nos systèmes énergétiques. C’est un net progrès.
  • en regardant là où les États devraient déjà être parvenus. Les études scientifiques, les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le rapport de 2021 de l’Agence internationale de l’Énergie montrent qu’il faudrait déjà avoir enclenché une décrue rapide dans la production et consommation des énergies fossiles (3 % par an pour le gaz et le pétrole, 7 % pour le charbon) et ne plus investir un euro dans l’exploration ou l’exploitation des énergies fossiles. La réalité, c’est pourtant que la production-consommation d’énergies fossiles continue à augmenter et les nouveaux investissements fossiles se poursuivent.
  • en regardant les faiblesses intrinsèques du texte de décisions lui-même. Tant la nature de la décision prise – ce n’est pas un nouveau traité international organisant la sortie des énergies fossiles – que son contenu exact – nombreuses limites intrinsèques à l’effectivité des engagements pris – conduisent à éviter les superlatifs trop hâtifs et préférer la lucidité de l’analyse et l’exigence de mise en cohérence des politiques nationales.
  • en regardant les contradictions des États réclamant la sortie des énergies fossiles tout en continuant à mettre en œuvre des politiques publiques qui conduisent à en augmenter la production et la consommation d’énergies fossiles : nouvelles infrastructures pétrogazières, nouvelles infrastructures de transports, nouveaux accords de libre-échange, y compris en France.

Limites de l’Accord de Paris

Le paragraphe sur les énergies fossiles que tout le monde commente n’est que l’un des 196 paragraphes de l’un des nombreux textes adoptés lors de la COP28. Il est inséré dans la partie réduction des émissions de gaz à effet de serre du texte de bilan de la mise en œuvre l’Accord de Paris de 2015, visant notamment à définir les « progrès collectifs à réaliser en vue des objectifs de long terme de l’Accord de Paris ». C’est une double reconnaissance :

  • (explicite) qu’il ne saurait y avoir de lutte contre le réchauffement climatique à la hauteur des enjeux des objectifs de l’accord de Paris sans « transition hors des énergies fossiles »
  • (implicite) que le silence de l’Accord de Paris à ce sujet est insoutenable et problématique.

Que dit le texte à propos des énergies fossiles ?

Pour mesurer la portée d’un texte de décision de COP, il ne suffit pas de vérifier si les mots clés sont présents. Il faut regarder le vocabulaire utilisé et regarder comment les paragraphes et les phrases s’enchainent. Cela peut-être technique.

  • Le terme « sortie des énergies fossiles » (« phasing out fossil fuels ») que réclamaient plus de 100 États en cours de COP28 a été remplacé par un terme plus faible, et plus vague, de « transition hors des énergies fossiles » (« transitioning away »).
  • L’objectif de « transition hors des énergies fossiles » porte sur les seules « énergies fossiles » utilisées dans nos « systèmes énergétiques ». Cette précision est importante car, selon le vocabulaire utilisé par les rapports du Giec, « systèmes énergétiques » comprend l’énergie utilisée pour produire de l’électricité, du chauffage ou des carburants, mais exclut par exemple l’énergie utilisée pour la production de plastique. L’industrie du plastique est pourtant aujourd’hui un gros consommateur d’énergies fossiles.
    Décision de la COP28 sur les énergies fossiles
  • Cet objectif de « transition hors des énergies fossiles » n’est positionné qu’au quatrième rang des huit« efforts globaux » auxquels les États sont « appelés » à « contribuer », au même titre que des « efforts » de second rang et/ou discutables.
  • Peut-être la limite la plus importante : les États sont « appelés à contribuer » à la « transition hors des énergies fossiles ». Voilà des termes parmi les plus faibles du vocabulaire onusien pour exiger des États qu’ils prennent des décisions.
  • Tout aussi significatif : outre le verbe utilisé, il faut immédiatement regarder comment le verbe est complété par des locutions adverbiales pour comprendre l’intention de la COP. Il est mentionné que cet « appel à contribuer » peut être réinterprété à l’aune des « circonstances nationales », ce qui en limite la portée. Il n’y a ici ni plan d’action global, ni agenda, ni objectifs précis assignés aux États.

Aucun agenda clair

Plus largement, il faut remarquer que ce paragraphe portant sur les « efforts globaux » que les États sont « appelés » à engager sur les énergies fossiles.

  • Il limite les efforts à fournir sur le charbon au seul charbon qui n’est pas associé à du captage et stockage de CO2.
  • Il limite aux seules subventions « inefficaces », sans que le terme ne soit jamais défini (ni à la COP28 ni au G20), les efforts de « sortie des subventions aux énergies fossiles », laissant la porte ouverte à ce qu’elles soient toutes poursuivies si les États les jugent efficaces.
  • Il ne fixe pas d’objectifs et d’agenda précis sur les émissions de méthane liées à l’exploitation et la consommation des énergies fossiles, alors que c’est décisif à court-terme.
  • Il donne beaucoup de place aux solutions technologiques : capture et stockage du CO2, hydrogène bas-carbone, véhicules à faibles émissions…
  • Il ne fixe aucun agenda clair et engageant sur tous ces sujets.
  • Il ne prévoit pas de programme de travail afin de s’accorder sur des restrictions, des contraintes ou des interdictions à l’exploration et l’exploitation de nouveaux gisements.

L’industrie gazière épargnée

En plus, il été ajouté dans la dernière nuit un paragraphe de même niveau que la totalité du paragraphe sur les énergies fossiles, qui « reconnaît le rôle que jouent les carburants de transition pour faciliter la transition énergétique ». Par « carburants de transition », l’industrie pétrogazière et les États producteurs entendent notamment le gaz fossile Ce passage peut sans doute expliquer pour partie pourquoi les pays pétrogaziers se sont résolus à accepter ce texte de décision de la COP28.

Il incite donc les investissements dans l’exploration, l’exploitation et la production de gaz fossile, alors que les études et rapports montrent que la production de gaz fossile devrait décroître de 3% par an à compter de 2022.

Où sont les financements ?

Pour qu’une décision de COP soit opérationnelle, il ne faut pas seulement en rester à l’édiction de recommandations générales. Encore faut-il préciser comment elle doit s’appliquer, par qui, à quel moment et avec quels moyens. Qui dit vouloir une « transition hors des énergies fossiles » implique par exemple de savoir quels sont les États qui doivent l’appliquer immédiatement, lesquels plus tard. Et surtout avec quels moyens, et sur la base de quels principes les efforts vont être répartis entre les différents États.

Les États du Nord, les plus riches, dont la richesse accumulée depuis deux siècles est pour partie fondée sur l’exploitation et la consommation d’énergies fossiles à bas coûts ne sauraient exiger un engagement sur la sortie des énergies fossiles des pays du Sud au même rythme et dans les mêmes conditions.

A minima, cela nécessite des financements dédiés. C’est par exemple ce que réclame la Colombie pour avancer dans le sens de la décision prise. Manifestement, ces financements ne sont pas là. Ils sont pourtant essentiels.

Souvenons-nous de la promesse que les pays riches avaient fait aux pays pauvres lors de la COP15 à Copenhague en 2009, à savoir 100 milliards de dollars d’argent public sur la table d’ici à 2020. Quatorze ans plus tard, ils ne sont toujours pas là. La décision de la COP28 le « note avec de profonds regrets ». Sans financements supplémentaires, il n’y aura pas de sortie des énergies fossiles : « No finance, no phase out ».

Pour avancer en ce sens, la communauté internationale ne saurait se dispenser d’un programme de travail permanent, de préférence au sein des COP. Il faut une négociation continue entre les États-membres pour définir l’ordre de priorité des gisements que l’on déciderait de ne plus exploiter, en vue d’un Traité international. Mais ce n’est pas ce que prévoit la COP28 dans son texte de décision.

À titre de comparaison, cela a pris près de 30 ans pour la reconnaissance des pertes et dommages et la création d’un fonds pour les pays pauvres.

Que va changer cette décision ?

À ce stade, il faut préciser que les décision d’une COP n’est pas un Traité international. Une fois ratifiés par les États-membres, les traités, comme l’Accord de Paris sur le climat de 2015, deviennent du droit international et entrent en application. La Convention cadre des Nations unies sur le réchauffement climatique (CCNUCC ou UNFCCC), qui est le cadre international dans lequel se déroulent les négociations climatiques internationales, n’est pas une organisation internationale qui décide de règles internationales s’appliquant aux États.

Du fait de l’Accord de Paris, les COP ont pouvoir d’émettre des recommandations sur les énergies fossiles, notamment parce que les objectifs de l’Accord de Paris de rester en deçà de 1,5 ou 2°C sont en danger. Mais il ne s’ensuit pas qu’une décision de COP impose une obligation aux États.

La décision de la COP28 d’une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques » n’oblige aucun État à réduire, limiter ou interdire l’exploration ou l’exploitation des énergies fossiles sur son territoire national. Tous les nouveaux projets d’exploration ou d’exploitation annoncés ces dernier mois pourront légalement perdurer tant que cet appel à une « transition hors des énergies fossiles » n’est pas transformé dans du droit international.

Il faudrait pour cela une modification de l’Accord de Paris ou la négociation d’un nouveau Traité international pour sortir des énergies fossiles. Sans cela, TotalEnergies & co n’ont pas obligation de mettre fin à leurs projets climaticides.

Se servir de cette décision pour bloquer des projets fossiles

Ceci étant dit, cela ne signifie pas que cette décision de COP est sans effet. La COP28 de Dubaï marque définitivement la reconnaissance par la communauté internationale qu’il ne saurait y avoir de lutte contre le réchauffement climatique sans réduction de la consommation et de la production d’énergies fossiles.

Cela constitue une avancée diplomatique majeure. Ne serait-ce que parce qu’elle disqualifie moralement et politiquement tous les projets d’exploration ou d’exploitation d’énergies fossiles récemment approuvés ou encore dans les cartons.

Puisque cette décision ne va pas devenir du droit international contraignant, du moins dans l’immédiat, il est de la responsabilité des chercheurs, de la société civile, de l’opinion publique en général, et des pouvoirs publics bien intentionnés de se servir de cette décision de COP pour bloquer et enterrer des projets d’énergies fossiles en cours de déploiement. On peut commencer par la France, où de nouveaux forages de gaz sont toujours dans les cartons.

Le jour où décision internationale sera prise de laisser 80 % des énergies fossiles dans le sol, la quotation boursière de TotalEnergies, Shell, BP et consorts risque de s’effondrer [1]. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Maxime Combes, économiste, auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (éditions du Seuil, 2015)

Photo de une : CC BY-NC-SA 2.0 Deed UNclimatechange via flickr.

Boîte noire

Engagé dans le suivi des négociations climatiques depuis le milieu des années 2000 – même si j’ai raté quelques COP depuis 2018, dont Dubaï, j’ai toujours essayé de garder une distance critique envers les discours énonçant l’inutilité des COP d’un côté et envers ceux qui de l’autre nous promettent monts et merveilles des « COP de la dernière chance ». Par exemple, en 2009, avant la COP15 à Copenhague, j’étais un des rares en France à affirmer qu’elle ne serait probablement pas le succès qu’on nous annonçait malgré l’élection récente d’Obama, et en 2015, j’ai alerté bien avant la COP21 (dès Lima en 2014 - ici ou ici ou ici), sur le fait que l’Accord de Paris en gestation comportait des failles telles qu’il ne saurait contenir le réchauffement climatique à 1,5°C ou 2°C, ce que nous constatons désormais avec clarté.

Ce papier repose sur de nombreux échanges avec des spécialistes de ces questions, notamment lorsqu’il s’agit de questions juridiques. Merci donc toutes celles et ceux qui m’aident à construire des analyses telles que celles-ci.

Notes

[1Voir le livre Sortons de l’âge des fossiles pour savoir comment gérer cette « légère » difficulté.