Proche-Orient

Assassinat d’un directeur de théâtre à Jénine

Proche-Orient

par Jean-Guy Greilsamer

Nous avons appris le 4 avril une nouvelle horrible : Juliano, directeur général du Théâtre de la Liberté de Jénine, a été assassiné par un individu masqué, alors qu’il quittait le théâtre en voiture. Nous avions visité le Freedom Theatre le 27 octobre 2010, et Juliano était venu nous saluer avant notre départ.

Son assassinat est une nouvelle tragique pour le peuple palestinien, pour les Juifs qui s’opposent à la politique colonialiste d’Israël et pour tous les combattants pour une paix juste au Proche-Orient. Né à Nazareth de père militant communiste palestinien d’Israël et de mère juive anti-colonialiste, Juliano Mer Khamis était un acteur connu en Israël. Il aurait pu développer une carrière lucrative dans ce pays. Mais il a préféré sans hésitation mettre son talent au service des jeunes Palestiniens.

Lors de la première Intifada à Jénine, sa mère Arna a animé auprès des jeunes du camp de réfugiés un travail culturel, particulièrement une animation théâtrale, qui leur permettait de résister à leur vie quotidienne marquée par les violences, les humiliations et l’oppression imposée par les autorités israéliennes. Ce travail, Juliano l’a continué en créant en 2006 le Théâtre de Liberté de Jénine après avoir réalisé le film Les enfants d’Arna, qui raconte le travail de sa mère, sa création d’un premier théâtre, le « Théâtre de pierre », et le destin tragique lors de l’opération Rempart en 2002 de plusieurs jeunes très actifs dans ce premier Théâtre.

Un théâtre d’excellence

J’ai pu constater directement lors de ma première visite au Freedom Theatre en 2007 combien le travail artistique et l’état d’esprit de Juliano auprès des jeunes leur permettaient de libérer leurs angoisses, de prendre confiance en eux-mêmes, de s’épanouir, de sortir de leur enfermement, de mieux maîtriser leur vie quotidienne. Son contact avec les jeunes Palestiniens n’était surtout pas un travail d’assistanat, mais traduisait sa volonté que les jeunes deviennent pleinement acteurs de leur vie. De même en tant qu’artiste, il ne voulait pas se borner à montrer qu’en Palestine il y a des théâtres aussi.

Il voulait créer un théâtre d’excellence, de réputation internationale, et nouait de solides amitiés professionnelles avec des hommes tels que Peter Brook. Juliano était par son histoire personnelle promoteur d’une réconciliation entre Palestiniens et Israéliens, mais de la seule réconciliation réelle et durable, celle qui passe par la reconnaissance et la réparation des crimes sionistes et par la libération du peuple palestinien. Il s’attaquait aussi aux divisions parmi le peuple palestinien, militait pour les libertés dans le monde arabe, et ses dernières pièces, notamment l’adaptation de la Ferme des animaux de George Orwell, bousculaient les conservatismes.
Il avait déjà été l’objet d’une agression il y trois ans, et le Freedom Theatre avait subi une tentative d’incendie lors de la période de la représentation de la Ferme des animaux.

Poursuivre le combat

Il a appelé les artistes à rallier le boycott culturel et universitaire visant l’État d’Israël à l’image du boycott qui ciblait l’Afrique du Sud de l’apartheid, et a signé le 17 octobre la pétition parue dans Le Monde sous le titre « Boycotter Israël c’est lutter pour une paix juste ». Je me souviendrai de lui comme d’un ami chaleureux, gai, qui dégageait un certain charisme, et qui était volontiers provocateur pour mieux exprimer sa volonté de justice et de dénonciation de toute hypocrisie. Il aimait la vie, il l’aimait « autant qu’il est possible », comme disait Mahmoud Darwich dans l’un de ses poèmes.

Mais maintenant que cela ne lui est plus possible, il nous appartient de continuer, à notre mesure, ses combats et ses idéaux. Nous exprimons nos plus sincères condoléances à Jenny sa compagne, à ses proches et à toute l’équipe du Théâtre de la Liberté. Nous souhaitons que de nombreuses initiatives de solidarité avec le peuple palestinien comportent un hommage à Juliano Mer Khamis, dont la vie a illustré le sens profond des mots Liberté, Justice, Dignité, Égalité.

Jean-Guy Greilsamer, militant de l’Union juive française pour la paix (UJFP) et ancien président des « Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine » (ATL Jénine)