COP26

Climat : « Les pays riches ont délibérément tourné le dos aux pays vulnérables »

COP26

par Nolwenn Weiler

La COP26 vient de s’achever à Glasgow. Pour la première fois, la diminution des énergies fossiles a été évoquée, mais sans calendrier précis. L’analyse d’Armelle Le Comte, chargée de plaidoyer Climat à Oxfam, de retour de la COP.

Basta! : Pour la première fois dans l’histoire des COP, une sortie des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) et la fin de leurs financements publics sont mentionnées. Cela dit, aucun calendrier précis n’est évoqué. Peut-on donc parler de progrès, voire d’espoir de ce côté ?

Armelle Le Comte : C’est la première fois que dans un accord issu d’une COP, on mentionne nommément les énergies fossiles et le charbon. Cela représente donc une avancée certaine. Mais on reste malheureusement loin du compte et de ce qu’il faudrait faire pour espérer contenir le réchauffement climatique en deçà de 1,5°C d’ici la fin du siècle.

Armelle Le Comte est responsable du plaidoyer climat à Oxfam, elle était présente à la COP26.

Concernant le charbon, le texte final dit qu’il faut réduire les quantités de charbon consommées mais sans donner de calendrier. En France, Emmanuel Macron s’était engagé à fermer les quatre centrales à charbon d’ici la fin de son mandat. On sait que ce ne sera pas le cas. Donc, même si les pays riches, responsables de la crise climatique actuelle reconnaissent qu’il y a un problème, personne n’est exemplaire dans ce dossier.

Au fil des négociations et des tractations de dernière minute, le texte a été amoindri. Chaque année 6000 milliards de dollars sont dépensés pour les énergies fossiles. Cela fait 11 millions de dollars par minute ! Le Réseau action climat (RAC) a sorti une étude qui montre qu’en 2022 la France va débourser 25 milliards d’euros en subventions néfastes pour le climat et l’environnement. Parmi ces subventions, il y a les garanties export qui transitent via la BPI (Banque publique d’investissement) pour soutenir des investissements d’entreprises françaises à l’étranger.

La France a pourtant rejoint, in extremis, le groupe lancé par le Royaume-Uni visant à arrêter d’ici fin 2022 le financement des projets fossile à l’étranger. Comment est-ce compatible avec les chiffres annoncés par le Réseau action climat ?

Comme toujours, le diable se cache dans les détails. La France s’est certes engagée pour la fin de ces financements mais en précisant qu’elle ne mettrait un terme qu’aux seuls projets qui n’ont pas prévu de captage de CO2 (des techniques peu développées et très coûteuses censées stocker dans le sol les émissions de CO2 générées par exemple par une raffinerie pétrolière, ndlr). Cela réduit considérablement les ambitions de la France. Celle-ci pourrait décider par exemple de soutenir le projet d’extraction pétrolière de Total en Arctique.

Autre problème non résolu : les financements de projets climaticides portés par les banques…

Tout à fait. On sait que les banques françaises sont les entreprises qui ont la plus grosse empreinte carbone à travers leurs financements de projets industriels, plus encore que Total. Le gouvernement refuse de réguler ces acteurs financiers. On a manqué une occasion de le faire lors de la loi « Climat et résilience » votée cet été à l’Assemblée. Nous avions souhaité ouvrir une discussion sur le sujet mais le gouvernement nous a opposé une fin de non recevoir.

Revenons aux diverses promesses. Une centaine de pays ont promis de réduire leurs émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre. C’est notamment le cas de la Chine et des États-Unis qui ont signé un accord bilatérale. Qu’en sera-t-il concrètement ?

Comme les annonces sur les énergies fossiles, celle-ci est intéressante, d’autant que le méthane reste moins longtemps dans l’atmosphère que le CO2. Une réduction de ces émissions peut donc avoir des effets concrets assez rapidement. Malheureusement, encore une fois, on parle là d’engagements volontaires, non contraignants, avec des calendriers flous. Il n’y a aucune transparence et aucune échéance, ce qui complique le travail de veille et de pression de la société civile ; et permet de douter des effets concrets de ces engagements. De plus, aucun des pays engagés sur cette réduction des émissions de méthane ne remet en cause l’agriculture industrielle alors qu’elle est l’une des principales émettrices de méthane.

La France s’est aussi illustrée par un puissant lobbying en faveur du nucléaire. Qu’a-t-elle réussi à négocier ?

On a su au tout début de la conférence que la France manœuvrait, au sein de l’Union européenne (UE), pour que le nucléaire et le gaz soient inclus dans la « taxonomie verte » : pour que cette source d’énergie soit admise comme « verte » de façon à pouvoir bénéficier des financements qui vont avec. Pour ce faire, elle compte sur le soutien des pays d’Europe de l’Est qui veulent aussi inclure le gaz fossile dans la « taxonomie verte ». Pour sauver son industrie nucléaire, la France est donc prête à sacrifier le climat. On sait également que plusieurs pays, dont l’Allemagne, font pression pour que le nucléaire ne fasse pas partie de la « taxonomie verte ». Rien n’est donc encore joué sur ce plan.

En 2009, les pays riches s’étaient engagé à verser 100 milliards par an aux pays les plus impactés par le réchauffement climatique. Cet engagement n’a pas été tenu, il a même de nouveau été repoussé. Qu’en pensez-vous ?

C’est l’immense déception de cette COP, qui fait l’impasse sur la solidarité avec les pays les plus vulnérables et les plus impactés par le réchauffement climatique. Nous arrivions à Glasgow avec la promesse non tenue de l’Accord de Paris (conclu en 2015) de verser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 aux pays les plus impactés par le réchauffement afin de les aider à s’y adapter. On espérait obtenir des engagements concrets sur la meilleure façon de combler ce manque à gagner. L’accord final signé à Glasgow, le « pacte de Glasgow », se borne à noter, avec un profond regret, que ces promesses ne seront pas tenues.

C’est encore pire du côté des pertes et dommages – inondations, incendies, récoltes agricoles perdues, etc. – qui devraient être indemnisés par les pays industriels, premiers responsables du réchauffement climatique. Pour la première fois, le sujet a été mis en avant par les pays les plus impactés, ceux du Pacifique notamment. La seule chose qu’ils ont obtenue, c’est un dialogue de deux ans pour discuter des arrangements de financements.

Les pays riches (États-Unis, Europe, Japon ou Australie par exemple) ont délibérément tourné le dos aux pays vulnérables. C’est d’autant plus aberrant que pour la première fois l’ensemble des pays en voie de développement (le G 77) représentant plus de 6 milliards de personnes, avaient réussi à se mette d’accord sur une proposition de mécanisme de financement. Ils ont été abandonnés en rase campagne.

Le principal moyen retenu pour diminuer l’empreinte carbone des États et entreprises, ce sont les marchés carbone ?

Oui. Ce point était en suspens suite à l’Accord de Paris, qui l’avait entériné sans définir de feuille de route. Ce mécanisme financier permet d’attribuer des plafonds annuels d’émissions de CO2, et de délivrer des quotas. Ceux qui dépassent leur quota peuvent en racheter à ceux qui ne l’ont pas atteint. Cela peut réellement inciter à payer des permis de polluer plutôt que de réduire ses émissions. Le marché carbone peut aussi fonctionner avec des compensations – des plantations d’arbres par exemple. Là encore, on risque d’avoir des industriels qui préfèrent planter plutôt que de transformer leurs outils productif, c’est déjà le cas d’ailleurs. Rien n’a été acté pour empêcher ces dérives. Les risques que font peser les politiques de compensations sur les peuples autochtones (qui habitant des zones pouvant servir à réaliser des plantations « compensatoires », ndlr) n’ont pas non plus été pris en compte. Le résultat final est très décevant.

Où doit désormais se jouer l’action climatique ?

Ce sont toujours les États, ou les ensemble d’États si on prend l’Europe par exemple, qui restent décisionnaires sur les politiques climatiques à mettre en œuvre. C’est pourquoi la pression des sociétés civiles au sein de chaque pays est si importante. L’un des objectif de cette COP26 était de maintenir vivant l’objectif de 1,5°C maximum d’augmentation de la température planétaire d’ici la fin du siècle. Avec l’accord qui a été signé, cet objectif est en suspens. Le texte demande aux États de revoir dès 2022 leurs objectifs de réduction d’émissions. Mais sans aucune contrainte. Il va falloir que la pression des sociétés civiles soit très forte pour que les gouvernements mènent des politiques concrètes pour atteindre cet objectif. La mobilisation de la société civile va être cruciale pour demander des comptes aux gouvernements. En France, Il va falloir poser la question aux candidats et candidates à l’élection présidentielle.

Propos recueillis par Nolwenn Weiler

Photo : Pendant la COP26 à Glasgow / CC francis mckee