L’annonce a surpris. Mardi 25 janvier, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, la députée de LREM de Nantes, Valérie Oppelt, demande la dissolution du site d’infos engagé Nantes Révoltée. Une demande aussitôt exaucée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin : « Le groupement de fait d’ultragauche que vous évoquez, depuis la loi El-Khomri [la première loi Travail en 2016, ndlr], répète sans cesse des appels à la violence, et ce week-end évidemment, contre l’État, contre les policiers avec des propos absolument inacceptables. J’ai donc décidé d’engager le contradictoire qui permettrait la dissolution de ce groupement de fait. »
Cette annonce intervient à la suite d’une manifestation antifasciste, « pour la justice sociale » et en riposte à l’extrême droite, qui s’est déroulée vendredi 21 janvier dans les rues nantaises. Au cours de cette mobilisation, des dégradations matérielles ont été commises. Christelle Morançais, la présidente du parti LR dans les Pays-de-la-Loire, demande alors à Gérald Darmanin d’engager une procédure à l’égard du site Nantes Révoltée, qui a « relayé ces délits graves et inexcusables sur les réseaux sociaux ». En cause, le fait d’être le porte-voix, comme d’autres collectifs et syndicats, d’un appel à manifester et d’avoir couvert, ensuite, cette manifestation. Sa demande a donc trouvé écho au sein des députés locaux La République en marche, que ce soit auprès de Valérie Oppelt ou de l’ancien ministre de la Transition écologique, François de Rugy.
« On est un média, pas un groupement de fait »
« En apprenant ça, on a été à la fois stupéfait, et amusé », rapporte à basta! l’équipe de Nantes Révoltée. « Christelle Morançais est une grande amie de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, deux personnalités qui ont été condamnées à de la prison ferme. On ne présente plus François de Rugy et ses homards [1]. Dites vous que ce sont ces gens qui prétendent savoir ce qu’est l’égalité et le droit en France…, répliquent les militants nantais avec ironie. Ils ne savent même pas ce qu’on est, c’est à dire un média indépendant, qui assume une ligne éditoriale engagée. »
Créé il y a dix ans, Nantes Révoltée se définit comme un « média autonome et engagé sur les luttes sociales et environnementales à Nantes et dans le monde ». Ce dernier mois, il revendique près de deux millions de personnes touchées par leur page Facebook. « On a sorti des informations, comme sur l’affaire Steve », précise un membre de Nantes révoltée. Steve Maia Caniço est mort noyé à Nantes en juin 2019 le soir de la fête de la musique suite à l’intervention brutale de la police (l’ex-préfet de Loire-Atlantique a été mis en examen pour cette intervention). « On est très suivis sur les réseaux sociaux, on a publié dix revues papiers qui se sont écoulées à plusieurs milliers d’exemplaires… On est un média, pas un groupement de fait », poursuit le Nantais.
Les différentes pages de Nantes Révoltée sur les réseaux sociaux cumulent plus de 300 000 abonnés. À la suite de l’annonce du ministre de l’Intérieur, Didier Martin, le préfet de Loire-Atlantique a d’ailleurs déclaré dans les colonnes de Ouest-France que « Nantes Révoltée se revendique média, ont peut donc, par exemple, être confronté au respect de la liberté d’expression et de la liberté de la presse ».
À ce jour, aucune procédure n’a encore été engagée
C’est la question qui se pose après l’engagement de cette procédure : qu’est-ce qui pourrait justifier une telle dissolution ? A priori, elle s’appuierait sur l’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure qui prévoit que « sont dissous, par décret en Conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». A priori... car, à ce jour, aucune procédure n’a encore réellement été engagée, comme le notent les quatre avocats du média indépendant, Raphaël Kempf, Aïnoha Pascual, Pierre Huriet, et Stéphane Vallée. « Nantes Révoltée n’a reçu aucun acte d’accusation et ignore ainsi tout des griefs qui lui seraient reprochés », écrivent-ils. Si cette (hypothétique) procédure est engagée, Nantes Révoltée aurait alors 15 jours, à partir de la notification administrative de la dissolution, pour répondre aux arguments du gouvernements.
Quels éléments pourraient justifier la dissolution d’un site d’infos engagé, critique à l’égard du gouvernement et qui relaie des appels à manifester ? « En l’état, la seule hypothèse qui vaille est que Nantes Révoltée déplaît à M. Darmanin, supposent les quatre avocats. Ainsi, pour M. Darmanin, il faudrait dissoudre toute organisation qui relaierait des appels à manifester si, ultérieurement, des dégradations ont été commises au cours de ladite manifestation. Cela n’est pas sérieux, et contraire aux principes républicains », ajoutent-ils.
Empêcher cette dissolution est nécessaire « pour endiguer la casse des libertés »
Au sein de l’équipe de Nantes Révoltée, on analyse cette annonce comme la digne suite « d’un quinquennat néolibéral et autoritaire qui écrase toute les oppositions ». « Après plusieurs attaques contre les libertés publiques, ce gouvernement s’attaque cette fois à la liberté de la presse et à la liberté d’expression. Je pense que c’est un test, ils voient s’ils peuvent dissoudre un média indépendant », juge un membre de Nantes Révoltée.
Dans la foulée de la prise de parole du ministre de l’Intérieur dans l’hémicycle, de nombreuses personnalités politiques de gauche ont apporté leur soutien au média engagé. « Aucun média militant ne peut être tenu pour responsable du déroulement des évènements auquel il appelle », a, par exemple, tweeté le candidat à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon. « Nous remercions vivement les très nombreux messages de soutien que nous avons reçus. On observe que beaucoup de personnes ne sont pas dupes de cette attaque contre la liberté de la presse », a réagi l’équipe de Nantes Révoltée. Pour le média, empêcher cette dissolution est un vrai enjeu politique : « Il y a déjà eu la loi Sécurité globale, maintenant cette dissolution… La stopper est nécessaire pour endiguer cette casse des libertés. »
Jeudi matin, une pétition « Contre la dissolution de Nantes Révoltée - Pour la liberté d’expression », lancée par le média nantais, avait recueilli plus de 20 000 signatures.
Pierre Jequier-Zalc
En photo : La revue Contre-attaque éditée par Nantes Révoltée / © Oli Mouazan