Cette semaine, le groupe international Extinction Rebellion (XR en abrégé) organise une série d’actions dans plusieurs pays « en faveur du monde vivant ». Extinction Rebellion, né au Royaume-Uni en 2018, se définit comme un mouvement international de désobéissance civile non-violente « pour opérer un changement radical afin de minimiser le risque d’effondrement écologique ». Son logo, un sablier stylisé, symbolise le peu de temps qu’il nous reste pour limiter le réchauffement climatique et les risques d’une sixième extinction de masse des espèces vivantes. À Paris, la semaine de rébellion internationale a commencé par une action sous la bannière de la convergence des luttes : l’occupation d’un grand centre commercial à Paris, samedi 5 octobre. Lundi 7 octobre, c’est la place du Châtelet et ses environs, au centre de Paris, que les activistes ont investie.
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Samedi, l’action a duré environ dix-sept heures, de 10 h du matin à 3 h la nuit suivante. Des centaines d’activistes occupent une partie du centre commercial Italie 2 à Paris. L’action est organisée par Extinction Rebellion France, Youth for Climate Ile-de-France, le comité Vérité pour Adama, et des groupes de gilets jaunes. L’initiative a aussi comme objectif de créer une convergence sociale et environnementale entre ces différents mouvements, et de dénoncer la destruction généralisée du vivant par le système capitaliste. « Détruisons les palais du pouvoir, construisons les maisons du peuple », proclame une banderole. Un message – « La nature n’est pas à vendre. Pour une écologie sociale et populaire » – est placé sur la façade du bâtiment, visible par les passants.
Le centre commercial est rapidement barricadé. Les grandes marques et vitrines des magasins sont reléguées derrière le déploiement de slogans anticapitalistes, révolutionnaires et pour le climat. « Et un, et deux et trois degrés, c’est un crime contre l’humanité », chantent des participants à l’action. Deux activistes venus de Hong Kong prennent la parole. Ils appellent à la solidarité internationale et dénoncent la répression policière contre les mouvements sociaux.
Rapidement, les forces de l’ordre essaient d’entrer. Plusieurs chaînes humaines les en empêchent. Gendarmes et policiers tentent de soulever la grille de l’entrée avec un bélier, en vain. A l’intérieur, on scande : « Gilets jaunes, Extinction, Adama, mêmes combats ! ». Camille [1], 25 ans étudiante, confie : « Je sèche les cours aujourd’hui, je suis venue spécialement de Nantes pour cette action. Ça fait un peu village ici, comme une ZAD, c’est un pas de plus vers la convergence. Je suis aussi gilets jaunes. Si on est pour le climat, on est pour une économie plus juste, pour les migrants, pour une politique plus juste. Tout est lié pour moi et je suis clairement anti-capitaliste, car c’est ce système qui nous amène là où on est aujourd’hui. Pour avancer, il faut être ensemble. »
Pour Nicolas, 26 ans, « Ce qui est important aujourd’hui, c’est la convergence entre les gilets jaunes et les mouvements écologiques parce qu’on a les mêmes objectifs : remplacer ce système qui détruit la planète, et casse la société, la divise, enrichit les riches et appauvrit les pauvres. Un centre commercial comme celui-là, ça regroupe plein de firmes qui détruisent la planète, qui exploitent les enfants, par exemple au Bangladesh. Mais si on veut tout remettre en cause, tout changer, nous avons besoin de revenir à du local, à du partage. Aujourd’hui, on est tous ensemble, on arrive à avoir des discussions et c’est une victoire en soi. Tout les combats sont liés. Il ne faut laisser personne de côté. »
« Je me prépare mentalement à une répression physique »
« La stratégie c’est de bloquer un jour, puis deux jours, et quand tu arrives à bloquer plus longtemps encore, tu forces le pouvoir à réagir. Nous sommes sur une logique de long terme. La date de fin, c’est quand on aura un relais suffisant auprès de l’opinion publique et de la presse. Le but c’est de rester le plus longtemps possible, et de faire passer le message. Nous appelons tout le monde à nous rejoindre. Il y aura aussi d’autres blocages et d’autres formes d’action dans les prochains jours », explique Yanis, 25 ans, présent place du Châtelet ce 7 octobre, investie par des centaines de personnes pour une nouvelle occupation.
Pour bloquer les rues, les activistes utilisent des bottes de paille. Certains se sont enchaînés avec leur bras dans des tuyaux, une technique de blocage connue sous le nom de « arms tube » qui rend leur séparation plus difficile par la police.
« Je suis là pour toutes les espèces. Je ne pouvais pas rester inactive devant ce qu’il se passe, dit Feli, 22 ans. J’espère que cette action va attirer l’attention de plein de personnes, et montrer que même s’il y a des gens qui vivent dans la fatalité, nous sommes nombreux à refuser ça et à faire en sorte que les choses changent. Je me prépare mentalement à une répression physique, je suis prête aujourd’hui à prendre des risques juridiques, à aller en garde à vue, et à faire face au gaz. Et aussi à soutenir toutes les personnes qui vont subir les violences. On reste solidaire. »
« Je suis là pour les gamins qui ont 15 ans, on leur promet quoi dans 30 ans ? »
Des ateliers et cercles de discussions et de lecture s’organisent. Laurent 53 ans, nous dit être venu parce qu’il a des enfants : « C’est ma première sortie avec XR. J’ai décidé de me joindre à ce groupe parce qu’ils sont sur le terrain. Les gens ont le nez dans le guidon, alors à un moment, tout en restant non-violent, il faut passer à l’action, en montrant qu’il y a des gens qui veulent que les choses changent. Je suis là clairement pour les gamins qui ont 15 ans, on leur promet quoi dans 30 ans ? » Benjamin, 31 ans, fait partie d’Extinction Rebellion depuis trois semaines. « J’ai choisi ce groupe pour la non-violence, précise-t-il. Ça fait longtemps que j’ai envie de m’engager, je le faisais juste à ma petite échelle et là, j’ai décidé de suivre un mouvement qui grandit et qui m’inspire. Il faut que nous soyons nombreux à nous engager. C’est pour ça qu’ici il y a des gens qui vont parler aux automobilistes, aux passants, pour expliquer ce qu’il se passe. »
Des tentes sont rapidement érigées sur la place pour rester le plus longtemps possible, et accessoirement se protéger de la pluie. Le blocage de la place se poursuivait ce 8 octobre.
Photos : © Anne Paq pour Bastamag