Une Ligue de protection des vers de terre a vu le jour le 20 avril dernier. La bonne blague ! Ils ne savent plus quoi inventer… Sauf qu’une partie de notre alimentation transite par l’intestin des vers de terre avant de nourrir les plantes qui nous nourrissent. De la même manière qu’un insecte sur quatre en France est à l’origine de la plupart des fruits et graines que nous consommons, et qu’une bouchée sur trois passe avant entre les « mains » des abeilles. Quatre cultures sur cinq ont besoin d’elles, et toutes ont besoin des vers de terre et des microbes souterrains.
Les associations pour protéger les animaux sont légion. Entre la Fondation Brigitte Bardot (FBB), la Fondation 30 Millions d’Amis, la Société Protectrice des Animaux (SPA), la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO), qui a élargi ses actions à tous les animaux sauvages, ou l’Aspas, l’Association pour la protection des animaux sauvages, aucune ne se préoccupait jusqu’alors du petit animal qui avait fait dire en 2018 au célèbre astrophysicien Hubert Reeves : « La disparition des vers de terre est un phénomène aussi inquiétant que la fonte des glaces. » Et d’ajouter : « Le ver de terre est un bon exemple du fait qu’une toute petite chose à peine visible peut prendre une importance majeure. »
Réduit à être moche et gluant
Il y a des vers de terre, des vers de compost, des vers aquatiques, des vers marins, il y a même des vers de glaciers, finalement, les Annélides ont colonisé tous les milieux, sauf les airs… Mais il y a aussi ce paradoxe où, d’un côté, on dit que c’est l’animal le plus important sur la terre, l’ingénieur des sols, et de l’autre, il est vu comme insignifiant.
Un ver de terre, fût-il lombric terrestre, ne fera jamais le poids face à une abeille à miel. Réduit à être moche et gluant, alors qu’il est le premier animal sauvage dont le comportement a été étudié. De plus, il est le seul animal non social à cultiver pour nourrir ses vermisseaux ! Un jour, il faudra avoir le courage d’arrêter de l’assimiler à un stupide ver de compost.
Personne ne se préoccupait jusqu’alors de leur avenir, des laissés-pour-compte comme le souligne le ministère de l’Agriculture : « Étrange et injuste destin, pourtant, que celui de cet être minuscule, regardé à tort avec un peu de répulsion, ou, au mieux, d’indifférence. » Néanmoins, l’État refuse de les préserver pour ne pas compromettre l’agriculture intensive, tout en reconnaissant officiellement leur rôle dans la bonne santé des sols : « Garants de la bonne santé du sol, leur rôle est considérable : ils assurent le cycle des nutriments, la transformation du carbone ou encore la régulation des ravageurs et des maladies. (...) Plus l’abondance et la richesse lombriciennes sont élevées, meilleur est l’état biologique du milieu considéré. ».
La moitié des sols agricoles dégradés
Soyons lucides, l’État dit tout et son contraire. Et dire aujourd’hui, comme le soutient la Ligue de protection des vers de terre, qu’ils sont au cœur de l’alimentation du futur et de la préservation des sols, lui paraît trop simple, simpliste, surtout lorsque le ministre de l’Agriculture déclare que « c’est par l’innovation qu’on s’en sortira ». C’était le 26 avril 2024. Et ce jour-là, il a placé le génie humain au dessus du génie de la nature.
Quant au génie des vers de terre, il est relégué aux oubliettes… quand plus de la moitié des sols agricoles sont dégradés à des degrés divers à cause du génie humain. Un mauvais génie qui a entraîné la dégradation de l’habitat des vers de terre, entraînant par ruissellement l’érosion des sols vers les cours d’eau. Mais pour le ministre, la solution, c’est le génie humain !
Un mois plus tard, il déclarait à l’occasion des discussions sur le nouveau projet loi d’orientation agricole à l’Assemblée nationale : « L’élevage industriel n’existe pas en France ». No comment quand plus de 200 millions d’animaux domestiques sont ainsi élevés en France, selon l’ONG Greenpeace. La France compte plus de 3000 élevages industriels, et cet agrosystème exclut les vers de terre et les animaux élevés de leur habitat.
Réhabiliter leur habitat
En résumé, si 95 à 100 % de notre alimentation provient de l’habitat des vers de terre, une partie de nos vêtements et chaussures en provient aussi, tout comme une partie de notre chauffage, essence, gaz, électricité et matériaux de construction… et sans oublier le papier, le carton, le vin, le tabac et les huiles ! C’est bien la preuve parfaite que la viabilité de l’humanité dépend de la salubrité de leur logement. Franchement, avons-nous conscience de cela ? Je ne le crois pas !
D’ailleurs, depuis le regain d’intérêt pour les vers de terre en 2018, ultime paradoxe, il devient quasiment impossible d’en parler sans être renvoyé à la lombriculture ! C’est-à-dire l’élevage intensif d’une espèce qui ne vit pas dans la terre. De même qu’il est impossible d’évoquer le monde riche et diversifié des abeilles sans être renvoyé à l’apiculture. C’est-à-dire l’élevage intensif d’une espèce !
Pour ne pas les oublier, et parce que la loi française nie toujours leur existence, la Ligue de protection des vers de terre œuvrera à les préserver et à contribuer à leur protection juridique, ainsi qu’à réhabiliter leur habitat dans le modèle agricole. Elle est la deuxième association dans le monde, avec la Société britannique des vers de terre, à « parler » au nom des vers de terre.
Christophe Gatineau, agronome, auteur de Éloge du ver de terre (Flammarion, 2018) et président de La Ligue de protection des vers de terre.
Photo de une : ver de terre CC BY 2.0 Deed via FlickR.