Le film peut être visionné gratuitement pendant une semaine sur la plateforme SVoD (vidéo à la demande sur abonnement) dédiée au cinéma documentaire Tënk, à cette adresse.
La Place de l’homme, film documentaire signé Coline Grando, s’appuie sur un dispositif minimaliste. Cinq hommes parlent séparément face caméra, se racontent. Leur récit suit une même chronologie : l’annonce de la grossesse par la partenaire, le moment du choix qui n’était pas toujours une évidence, l’accompagnement de la femme, que ce soit dans le parcours d’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou la grossesse, et le temps de l’après. Les personnages ont partagé la même interrogation : en tant qu’homme, quelle place prendre auprès de leur partenaire ? Le moment du choix – IVG ou pas – a pu faire l’objet d’une discussion et négociation dans certaines situations. Tout en étant conscients qu’en dernier lieu les femmes décident, difficile de ne pas se sentir ébranlé face à la sensation d’être « pris au piège » par une décision qui pourrait les impacter contre leur volonté pour le reste de leur vie.
L’un d’eux rappelle l’héritage historique en la matière : « [Fuir], c’est la solution qui a été l’usage masculin pendant des siècles, nous avions ce grand privilège autrefois […] de tourner les talons et d’abandonner les enfants. » Entre envie de fuir, envie de s’impliquer et sentiment d’exclusion, trouver sa juste place n’est pas chose aisée. De fait, ne vivant pas l’avortement dans leur corps, ces derniers sont démunis, peinent parfois à soutenir leur partenaire, comme ce jeune homme dont la compagne s’isole pour vivre son IVG ou celui qu’on sépare de sa « copine » au Planning familial et qui ne le comprend pas.
Paroles d’hommes sur l’avortement
« C’est quelque chose qui est enfoui en moi depuis huit, neuf, dix ans. » Face à la caméra, les cinq hommes se confient avec difficulté, leur discours se développe avec pudeur. C’est souvent la première fois qu’ils reparlent de la situation qu’ils ont vécue. Comme l’un d’eux le confie, ce n’est pas une chose dont on parle entre hommes. Sur le moment, pour ne pas rester dans le silence, c’est à des femmes qu’ils ont fait appel : des amies, des sœurs. Pour certains, utiliser le mot « avortement » est laborieux, tout comme décrire ce qu’ils ont pu ressentir. Alors que les femmes peuvent bénéficier d’un espace de parole et d’accompagnement dans leur parcours d’avortement, il est fréquent que les hommes n’aient pas cette possibilité. Pourtant, les émotions et les questionnements sont manifestes.
S’ils parlent avec prudence, c’est aussi parce qu’ils ont conscience qu’il n’est pas aisé de trouver les mots justes pour parler de l’avortement, c’est-à-dire sans parler pour les femmes, à leur place ou à leur charge. Ils tentent donc de parler à partir d’eux-mêmes, sans présumer du vécu de leur partenaire. Certains, avec le recul, portent même un regard critique sur leur attitude et leur influence sur le choix du couple. Dans ce processus, la réalisatrice mène les entretiens avec adresse. Parfois, la parole de ses interlocuteurs se fait problématique (clichés sur les féministes, influence sur le choix de la partenaire…). Face à ces discours qui révèlent que les hommes peuvent être malgré eux traversés par une pensée patriarcale, Coline Grando accompagne ces derniers en les amenant à reconsidérer leurs termes ou leurs actes.
Du personnel au politique ?
Coline Grando traite le thème de l’avortement sous un prisme inédit. Alors que de nombreux documentaires portant sur l’IVG mettent en avant des paroles de femmes, des images d’archives, des discours de revendication sociale, La place de l’homme met en scène des personnages masculins qui racontent leur histoire d’un point de vue individuel, dans un cadre intimiste qui rappelle les cabinets de psychologues. Là où les femmes, grâce aux luttes féministes, ont pu faire de l’avortement un enjeu de lutte politique, les hommes ne peuvent encore s’exprimer que sur un ordre personnel, sans restituer leur expérience dans un système social.
Y’a-t-il une possibilité, en tant qu’homme, de construire une position politique sur l’avortement et qui soutiendrait les femmes, contrairement aux discours masculinistes ? Parler davantage de l’IVG aux jeunes hommes est certainement un premier pas pour favoriser leur implication. « Pour moi, c’était quelque chose de très abstrait » dit l’un d’eux. Mais le pas suivant, c’est aux hommes eux-mêmes de le saisir. Le film s’achève sur la question de la contraception : n’envisageant pas la possibilité d’une grossesse, les personnages avouent ne pas s’être impliqués dans ce domaine. « Je suppose qu’elle devait faire attention », raconte un autre. Pourtant, leur expérience ne semble pas avoir fait beaucoup évoluer leur position.
Finement, La Place de l’homme nous laisse avec deux interrogations : quand les hommes seront-ils prêts à se mobiliser collectivement pour réclamer de nouvelles méthodes de contraception et assumer leur part de responsabilité ? Face au peu de lieux pour évoquer ces questions en tant qu’hommes, quand prendront-ils en main la situation pour créer eux-mêmes des espaces de parole, de soutien mutuel, de transmission d’expériences sans attendre que des femmes – puisque ce sont essentiellement elles qui travaillent dans les associations de santé sexuelle ou dans le soin – les aménagent pour eux ?
La place de l’homme, 2017, 60 minutes
Réalisation : Coline Grando
Production : CVB (Centre vidéo de Bruxelles)
– Visionnez gratuitement pendant une semaine La place de l’homme, sur Tënk, à cette adresse. Tënk est une plateforme SVoD (vidéo à la demande sur abonnement) dédiée au cinéma documentaire d’auteur.
– Et ensuite en VOD, sur abonnement à Tënk.fr.
Ces chroniques mensuelles publiées par Basta! sont réalisées par le collectif des Lucioles du Doc. Cette association qui travaille autour du cinéma documentaire, à travers sa diffusion et l’organisation d’ateliers de réalisation auprès d’un large public, afin de mettre en place des espaces d’éducation populaire politique. Voir son site internet.
– Photo : capture du film (Coline Grando / CVB).