« Cinq femmes et une fille, étouffées, poignardées, abattues. Dans un bordel et à la maison, par un inconnu, un père, un compagnon de vie. » En Autriche, en l’espace de quelques jours, six féminicides ont eu lieu, raconte la journaliste Lara Ritter dans une chronique pour le journal allemand Die Tageszeitung, le 28 février.
Trois de ces femmes, vraisemblablement d’origine étrangère, ont été poignardées dans une maison close de Vienne. Un demandeur d’asile a été arrêté.
Au lieu de soulever la nécessité de prendre en main le problème des violences, par exemple en créant des places d’hébergement d’urgence pour les femmes ou en luttant contre la précarité, « les féminicides servent souvent de prétexte à l’agitation raciste et au scandale », écrit la journaliste du quotidien indépendant. Face à cela, le silence du gouvernement autrichien envoie un message : « Il déclare ainsi que la violence masculine est une affaire de femmes. »
Partout, celles qui sortent dans la rue, bravent les interdits, osent bousculer l’ordre et se battent contre les violences sont des femmes. Elles se battent pour être reconnues, disposer de leur corps, ou simplement : vivre. Cet édito leur est consacré, et le contenu de notre newsletter également, car on ne peut penser un monde meilleur sans s’intéresser aux droits des femmes.
Toutes les femmes. Celles tuées parce qu’elles existent en tant que femmes, celles privées du droit à avorter, celles qui le font malgré tout, celles persécutées parce qu’elles ont le malheur de ne pas être nées dans le bon corps, celles qui haussent la voix et celles qui ne peuvent pas le faire.
Les inégalités existent toujours, partout
Le 8 mars est l’occasion de rappeler que l’inégalité entre les genres est encore la norme dans le monde. Ce jour est « l’occasion de reconnaître les luttes féministes qui ont élargi les horizons académiques, professionnels et économiques de femmes historiquement invisibles », suggère le magazine colombien Razón Pública. Le média se donne aussi pour mission de quantifier « les obstacles à la pleine égalité des sexes, en particulier dans des domaines critiques tels que le marché du travail, la ruralité, la fiscalité ». La pandémie de Covid-19 a eu un impact économique plus grand sur les femmes que les hommes, plus exposées au chômage encore.
« Si les inégalités sur le marché du travail sont marquées pour les femmes, les perspectives sont encore plus difficiles pour les femmes rurales », précise le média. Déjà en difficulté pour accéder à « la propriété foncière, aux crédits de production et aux marchés », elles sont également confrontées aux violences. C’est une réalité partagée dans le monde.
En Espagne, infoLibre raconte les conséquences de l’exode rural des femmes, notamment causé par des difficultés d’accès à la propriété des exploitations et à la seule perspective du travail non rémunéré. Dans « ces villes où il n’y a guère plus que l’église et le bar », la natalité baisse et l’avenir des communautés entières en est fragilisé. Le sort des femmes regarde tout le monde.
Cette chronique pourrait être un livre de milliers et de milliers de pages. Le nombre d’histoires rapportées infini. Nous avons choisi de vous raconter certaines d’entre elles qui peuvent nous inspirer toutes et tous, d’où qu’elles viennent. Vous partager le récit d’une femme trans, Maria Belén Correa, qui écrit de sa communauté, dans la version sud-américaine d’elDiario : « Nous ne nous projetions pas dans la vieillesse. » Car « si la vieillesse est un problème de société dans son ensemble, en ce sens qu’elle est considérée comme un rebut, imaginez que vous soyez une vieille femme transgenre. »
Le droit à l’avortement en France et dans le monde
Nous parlerons dans cette édition des réactions de la presse internationale à la constitutionnalisation du droit à l’avortement en France. Si la nouvelle fait réagir hors de nos frontières, c’est parce que ce droit est loin d’être un acquis. Enab Baladi, média indépendant syrien, raconte les difficultés auxquelles font face les femmes de la ville d’Idlib qui veulent avorter. Et ce, même lorsque leur santé est mise en danger par la grossesse : « La loi syrienne considère l’avortement comme un crime passible d’une peine d’emprisonnement pour la mère et toute personne qui l’a aidée, y compris les médecins, les pharmaciens ou autres. »
En juillet 2023, le site de datajournalisme italien Openpolis faisait un état des lieux du droit à l’avortement en Europe et constatait qu’il était encore « souvent entravé, principalement par l’objection de conscience ». Aux États-Unis, alors que le droit à l’IVG n’est plus protégé nationalement depuis 2022, la Cour suprême de l’Alabama a statué fin février sur le statut légal des embryons congelés (dans le cadre d’une fécondation in vitro, ou FIV, par exemple). Ce sont des êtres vivants à ses yeux. Dans cet État, « l’idée qu’un fœtus ou un embryon devrait avoir les mêmes droits qu’un enfant » a eu des conséquences immédiates, raconte Mother Jones : nombre de cliniques de FIV ont interrompu leurs services, de peur d’être poursuivies en justice si quoi que ce soit arrivait aux embryons.
Face à cette incertitude, mercredi 6 mars, la gouverneure républicaine d’Alabama a promulgué une loi protégeant les personnes bénéficiant ou se chargeant de fécondations in vitro. Mais la décision de la Cour suprême pose d’autres questions : « Si un fœtus est un enfant, qu’est-ce que cela signifie pour les fausses couches ? Que se passe-t-il avec le droit de la responsabilité civile : la succession d’un fœtus peut-elle intenter une action en justice en cas de préjudice ? » Dans une interview pour le média états-unien Mother Jones, l’autrice et docteure Michele Goodwin explique les conséquences, nombreuses, de telles décisions pour les femmes : « Nous avons constaté qu’à la suite de l’adoption de lois contre l’avortement, certains petits amis et maris ont agi de manière abusive et criminelle, croyant qu’ils avaient une certaine autorité sur le corps des femmes qu’ils côtoyaient. »
Nous vous parlerons aussi des femmes qui se battent pour protéger l’Amazonie dans un monde où nous dépendons tous de la santé de la nature. Nous vous raconterons l’histoire de celles qui inventent de nouveaux moyens de lutter contre le « no future » en Colombie, des femmes kurdes qui se battent pour la liberté en Irak ou des personnes LGBTQI+ mises en danger au Ghana. Ces récits de vie de personnes situées à l’intersection des discriminations, et bien d’autres, sont à lire dans cette édition de « Chez les indés International ».
Emma Bougerol
Photo de une : Manifestation féministe en novembre 2021, à Paris CC BY-NC 2.0 Deed Midia Ninja.