Pollution des sols

Le cadmium, un cancérogène notoire, présent dans les céréales et les viennoiseries

Pollution des sols

par Nolwenn Weiler

Plusieurs millions de tonnes d’engrais sont épandues chaque années sur les sols agricoles. Certains d’entre eux contiennent du cadmium, un produit très cancérogène que l’on retrouve ensuite dans nos assiettes.

Le cadmium est un métal que l’on retrouve notamment – sous forme de fines particules – dans les engrais chimiques utilisés en agriculture. Il est donc présent dans l’alimentation et peut provoquer, entre autres maladies, un risque accru de cancer. Une nouvelle réglementation en cours de discussion doit fixer la quantité de cadmium autorisée demain dans les engrais phosphatés épandus sur les terres agricoles françaises. Une question centrale pour limiter la pollution des sols, des eaux et l’exposition à ce métal.

« Ce n’est pas facile de trouver un accord entre les ministères de la Santé et de l’Agriculture », résume Pierre Souvet, médecin et président de l’Association Santé Environnement France (ASEF). Il semble pourtant urgent d’avancer, car les alertes sanitaires ne cessent de se multiplier. « Une étude publiée au printemps 2023 souligne que les personnes les plus exposées au cadmium présentent d’importants surrisques de cancers » [1], explique Pierre Souvet.

Parmi ces cancers : celui du pancréas, dont l’incidence explose. Elle a plus que doublé ces 15 dernières années en France. 6000 nouveaux cas étaient diagnostiqués en 2006, 12 000 en 2012 et aujourd’hui, on est à 14 000. Ces chiffres seront à nouveau multipliés par deux d’ici 2030 [2]. « En 2019 déjà, une étude a documenté un surrisque de cancer du pancréas pour les personnes les plus exposées au cadmium », précise Pierre Souvet.

Des problèmes de santé impressionnants

La nouvelle réglementation est soumise à la consultation publique jusqu’au 30 novembre. L’inquiétante augmentation des cancers du pancréas n’y est pas mentionnée. Seule « l’importance sanitaire » de la teneur en cadmium dans les engrais phosphatés est évoquée... au bas d’un texte qui semble écrit pour ne pas être compris. On y parle ainsi de la « résistance aux stress abiotiques » des plantes – quand elles sont soumises à de grandes variations de climat – ou encore de « l’ancrage de leurs organes absorbants ».

Dans le projet de décret, les engrais rebaptisés « matières fertilisantes » sont divisés en catégories A1 et A2, sans aucune explication sur leurs critères. Les propositions de limites de teneur en cadmium évoquent un « apport annuel moyen en grammes par hectare », sans que l’on sache ce que cela est susceptible de donner ensuite dans nos assiettes. Bref, bien malines et fort documentées devront être les personnes qui répondront à cette consultation.

Les contenus scientifiques à même d’éclairer les citoyens sont pourtant nombreux, comme le montrent les divers travaux que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a consacré à cet épineux dossier. En 2020, par exemple, une publication italienne fait état d’un nombre impressionnant d’effets sanitaires du cadmium.

En voici quelques-uns : dommages au niveau des reins, du foie, des systèmes osseux et cardiovasculaire, troubles du cycle menstruel, effets tératogènes et mutagènes…. « Plusieurs études récentes menées chez des femmes enceintes rapportent une diminution du périmètre crânien chez les nouveau-nés, en lien avec une exposition de la mère au cadmium », ajoute un récent rapport de Santé publique France, qui signale par ailleurs « une surimprégnation » au cadmium de la population française par rapport aux autres pays européens et nord-américains.

Du cadmium dans le tabac... et dans les céréales pour enfants

« En dehors du tabac qui accumule particulièrement ce métal, l’alimentation constitue la principale source d’exposition des populations au cadmium via les céréales, légumes, racines et tubercules, explique Thibault Sterckeman, ingénieur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), qui s’intéresse au cadmium depuis 30 ans. Dans ces produits végétaux, le cadmium provient du sol, contaminé par les retombées des pollutions atmosphériques, mais surtout actuellement par les pratiques agricoles, notamment la fertilisation phosphatée. »

Selon les calculs réalisés au sein du laboratoire du chercheur, les engrais phosphatés – le phosphore fait partie des trois composants à la base des engrais chimiques permettant de booster les rendements agricoles [3] – sont à l’origine d’environ 60 à 70 % des entrées de cadmium dans les sols français.

« En France, 79 % des échantillons alimentaires couvrant presque 90 % du régime total des Français ont révélé la présence de cadmium », souligne le Haut Conseil de la santé publique dans un rapport de 2022. Chez les adultes comme chez les enfants, les contributeurs alimentaires majoritaires à l’exposition au cadmium sont le pain, les biscottes, les barres de céréales, les viennoiseries, les pâtes, les pommes de terre et apparentés.

« Un surrisque a été identifié du côté des céréales du petit-déjeuner pour les enfants », remarque Pierre Souvet. La raison ? Le blé dur capte particulièrement bien le cadmium. Tellement bien que chaque année, plusieurs dizaines de milliers de tonnes de blé dur partent à la benne, parce que contenant trop de cadmium. « En moyenne 5 % des parcelles françaises de blé dur présentent une concentration en cadmium supérieure au seuil réglementaire qui est de 0,18 mg/kg pour cette céréale », détaille Jean-Yves Cornu, chercheur à l’Inrae, qui travaille depuis 20 ans sur cette question du cadmium présent dans les sols.

Comment réduire le recours au cadmium

Ce (très) sombre tableau a-t-il entraîné un branle-bas de combat du côté de nos décideurs politiques ? Pas vraiment, comme l’illustre la lenteur des négociations autour de la composition des engrais. En 2016, la Commission européenne propose de réduire d’un tiers la teneur en cadmium des engrais phosphatées au bout de trois ans (de 60 mg/kg à à 40 mg/kg), puis de diminuer encore de moitié au bout de neuf ans (à 20 mg/kg donc).

Problème : quand le Parlement européen s’empare de ce texte en octobre 2017, il rallonge la durée proposée pour réduire la teneur en cadmium, jusqu’à 16 ans. Côté français, il semble pour le moment envisagé de réduire cette quantité de cadmium de 60 à 40 mg/kg d’ici juillet 2026. Reste à savoir si cela sera suffisant pour décontaminer les sols et les Français.

« Les producteurs de minerai et les fabricants d’engrais ne sont pas favorables aux textes qui veulent réglementer les teneurs en cadmium, avance Thibault Sterckeman. Pour eux, ces mesures risquent de faire augmenter les prix des fertilisants. » Leurs craintes ne sont pas infondées, puisque les gisements marocains, principales sources de phosphates de la France, sont particulièrement riches en cadmium ; et que les techniques de « décadmiation » ne sont pas très abouties.

Utilisés pour produire des phosphates alimentaires et pharmaceutiques, ces procédés « sont développés à petite échelle, ils ne sont probablement pas encore adaptés à la production industrielle d’engrais », précise Thibault Sterckeman. « Il existe des gisements plus pauvres en cadmium, mais ils sont situés en Russie, complète Jean-Louis Roubaty. Vu le contexte géopolitique, c’est compliqué de compter sur cette option. »

Autre option pour diminuer le cadmium dans les cultures : réduire la quantité d’engrais utilisés. Pour Jean-Yves Cornu, « ce raisonnement de la fertilisation doit se baser sur une bonne connaissance du sol, de sa potentielle hétérogénéité, de son passif ainsi que des besoins de la culture ». Il préconise par ailleurs de surveiller la teneur en cadmium des amendements et des eaux d’irrigation utilisées pour fertiliser ou arroser les cultures. Pour les agriculteurs, cela fait beaucoup de paramètres à prendre en compte, en plus des exigences nouvelles qu’impose le changement climatique, qui brouille des repères essentiels, notamment celui des températures et des précipitations.

Des variétés qui évitent la contamination ?

Comme pour les pesticides, dont la présence dans les sols porte atteinte à la sécurité sanitaire, les chercheurs regardent du côté des sélections de variétés. Histoire de trouver des plantes qui captent peu, voire pas, les polluants contenus dans les sols. « Face à tous les impératifs dus au changement climatique (manque d’eau et chaleur principalement), le cadmium n’est pas forcément une priorité pour les semenciers, avance Jean-Yves Cornu. Mais un programme de recherche vient de démarrer en France pour développer des cultivars de blé dur peu accumulateurs de cadmium [4]. » D’autres études sont menées au Japon et en Chine du côté des variétés de riz, une plante qui fixe très bien le cadmium.

Des travaux ont aussi été lancés sur l’extraction du cadmium via la culture de plantes hyper accumulatrices, qui feraient donc office d’outils de dépollution. Mais les variétés identifiées n’étaient pas assez prometteuses, car trop petites. « Au mieux, on pouvait obtenir deux ou trois tonnes de matière sèche par hectare, détaille Thibault Sterckeman. Or, pour dépolluer correctement les sols contaminés, il faudrait pouvoir en obtenir quatre ou cinq fois plus. » Cette solution exige en plus de traiter ladite matière sèche, celle qui a absorbé le cadmium, soit plusieurs milliers de tonnes chaque année, hautement contaminée.

Le retrait du cadmium dans les aliments serait lui aussi très coûteux énergétiquement, et il présente en plus le défaut de retirer certains éléments nutritifs en même temps que les polluants. « La solution la plus directe serait d’éviter de mettre en place des cultures à risque cadmium (tel que le blé dur) sur des parcelles contaminées. Mais cela implique un changement d’organisation des territoires agricoles qui n’est pas si simple à mettre en œuvre », explique Jean-Yves Cornu.

Si l’on adopte la même stratégie pour les sols contaminés aux pesticides, on risque de voir se réduire dangereusement les surfaces aptes à recevoir des cultures. « La diminution de la source de la pollution apparaît donc comme la solution la plus sûre, conclut Pierre Souvet. À condition d’aller au-delà des exigences européennes. Car si on reste à 60 mg/kg, c’est le statu quo. On ne décontaminera pas les Français. »

Nolwenn Weiler

Notes

[1Étude disponible ici.

[3Aux côtés du phosphore (P), on retrouve l’azote (N), et la potasse (K). Les usages et mésusages de ce complexe « NPK » continuent d’être largement enseignés dans les formations agricoles, puis relayés ensuite par les techniciens qui suivent et conseillent les agriculteurs.

[4Ce programme, d’un montant total de 725  583 €, est financé par l’Agence Nationale de la recherche (ANR) et s’appelle BSWHEAT. Il a démarré l’année dernière et associe l’Inrae et les semenciers Arvalis, Florimond Desprez et RAGT.