« On compte déjà 3000 brebis mortes en Ariège. Dans les élevages touchés c’est entre 15 et 60 % de mortalité. C’est énorme ! » Au bout du fil, la voix d’Angel Alegre, porte-parole de la Confédération paysanne en Ariège, est teintée d’une forte inquiétude. Son département est impacté depuis juin par la fièvre catarrhale ovine de sérotype 8 (FCO-8) qui décime les troupeaux d’ovins. Cette maladie transmise au bétail par les piqûres de moucherons a d’abord gagné le sud-ouest avant de s’étendre au sud-est de la France. « C’est assez radical, précise t-il. Les brebis ont quelques symptômes (fièvre, troubles respiratoires, ’’langue bleue’’...) et meurent quelques jours après. Les éleveurs sont très touchés. »
À ce fléau se conjuguent deux autres maladies. D’une part, la maladie hémorragique épizootique (MHE) qui touche les bovins et a été à l’origine de la crise agricole début 2024, continue de sévir dans le sud-ouest et l’ouest de la France. D’autre part, des cas de fièvre catarrhale ovine avec un autre sérotype – on parle de FCO-3 – ont été détectés depuis août dans le nord de la France.
Au 12 septembre, le ministère de l’Agriculture recensait 1929 foyers de fièvre catarrhale ovine dans 22 départements du Nord-Est, contre 712 foyers le 5 septembre - soit presque trois fois plus en l’espace d’une semaine. Nulle mention en revanche du nombre de foyers concernés par la FCO-8. « Le ministère est complètement dépassé par les mortalités sur la FCO-8 », alerte Sylvie Colas, éleveuse dans le Gers et secrétaire nationale de la Confédération paysanne.
Les cartes ci-dessus retraçant l’avancée des différents fronts sont régulièrement mises à jour par le Groupement de défense sanitaire (GDS France), une association créée par les éleveurs pour organiser la prévention, la surveillance et la lutte collective contre les maladies. « Le GDS essaie de faire des comptages mais on en prend connaissance dix jours plus tard. Ça a pu être multiplié par deux ou trois entre temps », poursuit Sylvie Colas.
La présidente de la Fédération nationale ovine estimait le 4 septembre que sept élevages sur dix étaient touchés. Selon Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, la fièvre catarrhale ovine aurait provoqué au 12 septembre la perte de 10 % du cheptel de brebis. « Vu le nombre de foyers, la mortalité par foyers et le non renouvellement [sans brebis, pas d’agneau, ndlr], le cheptel ovin pourrait être de 30 % en moins », craint Sylvie Colas.
« Deux poids deux mesures »
Ces trois maladies sont véhiculées par les mêmes moucherons, les culicoïdes, dont la présence est exacerbée par les conditions climatiques – chaleur et pluie. L’une des solutions est la vaccination, à la condition que l’animal n’ait pas encore été contaminé. « On conseille de vacciner le plus tôt possible avant la reprise d’activité des culicoïdes, c’est-à-dire vers début juin », explique Christophe Brard, président honoraire de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires au journal Le Monde.
Or, ce que reproche la Confédération paysanne à l’État, c’est le deux poids, deux mesures dans la stratégie de vaccination mise en place pour sauver les élevages. « Le gouvernement n’a pas acheté de vaccin sur le sérotype 8 alors qu’il a opéré la commande de millions de doses sur le sérotype 3 » s’indigne Sylvie Colas. Une campagne de vaccination volontaire ciblée dans le nord de la France contre la FCO-3 est en effet lancée depuis le 12 août.
« La FCO-3 concerne de grands bassins du Nord avec de très gros élevages bovins essentiellement tournés vers l’export, précise Sylvie Colas. Or, les animaux pour être exportés doivent désormais être testés – le PCR doit être négatif – et vaccinés pour certains pays. « Dans le Nord, 2000 petits veaux partent régulièrement à l’engraissement en Italie. Là, le ministère s’est débrouillé pour trouver des millions de doses de vaccins contre la FCO-3 et les prend entièrement en charge. À l’inverse, poursuit Sylvie Colas, les élevages du Sud-Ouest sont moins orientés vers l’export. C’est plutôt des élevages en circuit court vente directe, pastoralisme... Ce n’est pas le même modèle de production. »
Malgré les alertes sur les ravages causés par la FCO-8, les éleveuses et éleveurs situés notamment dans les Pyrénées-Orientales, l’Ariège et l’Aude se sont trouvés très vite confrontés à une pénurie de vaccins - selon le sérotype, le vaccin varie. Alors que l’hécatombe se poursuit, aucune nouvelle commande de vaccin pour lutter contre la FCO-8 n’a été passée par l’État. Et lorsque les éleveurs arrivent à se procurer des doses - comptez entre 1,50 et 4 euros le vaccin pour chaque brebis - ils ne sont pas remboursés. « Cette inégalité de traitement est un scandale qui doit cesser », demande la secrétaire nationale de la Confédération paysanne.
Manque d’anticipation
Comment expliquer ce manque d’anticipation de l’État ? Le sérotype 8 de la FCO a été détecté en France pour la première fois en 2006 et circulait depuis à bas bruit. Il était régulièrement détecté mais les symptômes semblaient s’être atténués et la maladie n’engendrait que peu de mortalité dans les élevages ovins et bovins. La FCO-8 est ainsi considérée depuis 2015 comme endémique ce qui implique l’arrêt de la vaccination obligatoire, la fin du remboursement du vaccin par l’État ainsi que la fin de prise en charge des pertes.
Mais il y a un an, durant l’été 2023, des élevages sont durement touchés. Les analyses montrent que la souche du sérotype 8 a muté. « Elle porte le même nom, mais d’un point de vue sanitaire, ce n’est pas la même maladie » indique Emmanuel Garin, vétérinaire épidémiologiste pour le réseau des Groupements de défense sanitaire (GDS France), au quotidien Le Monde. « Faute d’anticipation et de travail de fond, le Ministère ne s’est pas donné les moyens d’accompagner les éleveuses et éleveurs, regrette Sylvie Colas. L’argument tenu par le gouvernement qu’une vaccination était possible en amont n’est pas audible, d’autant que les vaccins n’étaient pas toujours disponibles. »
La présidente de la Fédération nationale ovine, Michèle Boudoin, éleveuse de moutons dans le Puy-de-Dôme, confirme un manque de vaccins pour le sérotype 8 « depuis des mois ». Elle relève également que les tests PCR ne sont plus pris en charge depuis 2015 par l’État – 15 euros le test par brebis – alors qu’ils permettent d’ « avoir une photographie de la situation » et ainsi d’anticiper les commandes de vaccins.
Aucune indemnisation prévue
« La réaction de l’État n’est pas du tout à la hauteur », dénonce Angel Alegre, paysan en Ariège. « Si le gouvernement communique sur le sérotype 3 dans le nord de la France, chez nous, il fait l’autruche. Ceux qui ont souffert de la crise vont souffrir encore pendant des mois. Il faut reconstituer les troupeaux ce qui implique une charge financière, mentale, logistique... Pour reconstituer soi même le troupeau avec 15 % de mortalité il faut quasiment deux ans. Si c’est 60 % il faut compter cinq à six ans. Beaucoup vont être obligés de racheter des brebis ailleurs pour avoir des agneaux et du lait : ça a un coût et il faut les trouver. Les collègues sont fatigués, désœuvrés, et aucune indemnisation n’est prévue pour le moment. »
Le syndicat d’Angel Alegre, la Confédération paysanne, réclame la prise en charge par l’État des tests PCR et des vaccins, quel que soit le sérotype, l’indemnisation des pertes, et la reconnaissance du cas de force majeur pour que les éleveurs touchés ne perdent pas les aides de la politique agricole commune. « Il faut aussi des recherches sur toutes ces maladies liées au réchauffement climatique, travailler sur l’immunité des animaux pour qu’il y ait une résilience des troupeaux », insiste l’éleveur.
Les culicoïdes, ces fameux moucherons qui transmettent la FCO et la MHE, sont actifs à des températures supérieures à 15°C. Avec l’automne et le refroidissement des températures, selon les régions et les altitudes, l’activité de ces moucherons ralentit puis disparaît. Avec ses collègues, Angel Alegre a les yeux rivés sur les conditions météorologiques qui vont jouer un rôle fondamental les prochains jours dans la progression des maladies. « En Ariège, la vague semble passée sauf si le sérotype 3 vient jusque chez nous », dit-il.
Sophie Chapelle
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