La ministre de la Défense allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer, a annoncé cette semaine la dissolution d’une compagnie du commando d’intervention spéciale de l’armée. En cause : un « leadership toxique », une « gestion trop laxiste des munitions » - des masses de munitions et d’explosif du commando semblent avoir disparu –, combinés à une idéologie d’extrême droite clairement affichée, a fait savoir la ministre [1]. L’ensemble de ce commando spécial doit être réformé en profondeur. Le « KSK » – pour Kommando Spezialkräfte – intervient à l’étranger, notamment en zones de crise, dans des missions sensibles comme celle de libérer des otages.
Cela fait trois ans que les informations sur les dérives de cette unité de l’armée s’accumulent. Dès 2017, la presse révélait qu’un certain « André S., » né en 1985, membre du commando, orchestrait un réseau de groupes de discussion dans lesquels des « preppers », des adeptes du survivalisme, se préparaient à un « Jour X » [2]. Ils échangeaient autour d’une catastrophe qui serait imminente et qui, pour eux, prendrait la forme d’une arrivée massive de réfugiés.
Dans ces réseaux se trouvaient plusieurs membres du commando en question. Son fondateur présumé a quitté l’armée en 2019, il a été condamné à une amende pour possession illégale d’armes en février dernier. D’autres procédures sont toujours en cours contre lui. Avec d’autres soldats du KSK, il avait fondé une association, appelée Uniter, qui organisait des entrainements paramilitaires. L’association est dans le viseur des services de renseignement qui la suspecte d’extrémisme de droite. Elle a déplacé son siège en Suisse.
Découvertes à répétition de munitions, explosifs et « objets de dévotion nazis »
Les tendances d’extrême droite dans l’armée allemande « ont atteint une nouvelle dimension » a déclaré le 29 juin le chef du service des renseignements militaires allemand, Christof Gramm, devant une commission parlementaire [3]. Le service de renseignement enquête actuellement sur 600 cas suspects au sein de l’armée, 100 de plus que l’année précédente, dont une vingtaine pour le commando spécial d’intervention. Huit soldats liés à des groupes d’extrême droite et deux « citoyens du Reich » (Reichsbürger) ont été précisément identifiés. Les « Reichsbürger » sont des nostalgiques de l’empire militariste allemand d’avant 1919. Selon le service de renseignements intérieurs allemand, la Verfassungschutz, il y aurait environ 19 000 adeptes de cette idéologie en Allemagne, qui ne sont pas forcément organisés, mais dont certains amassent des armes à domicile. La police allemande avait ainsi découvert des dizaines d’armes à feu et de munitions chez deux Reichsbürger en 2018 (à Münster et en Thuringe).
Certains d’entre eux sont donc aussi soldats. Et il ne s’agit pas de cas tout à fait marginaux. Il existerait bien « des réseaux et des structures » d’extrême droite au sein de l’armée, a précisé le chef des renseignements militaires. En mai, les autorités ont fait une découverte « spectaculaire » de munitions. Dans l’habitation d’un soldat du commando spécial, en Saxe, la police a retrouvé un AK47, des milliers de munitions, des explosifs, et des « objets de dévotion nazis », a rapporté la presse [4]. En juin, le service de renseignement militaire révèle avoir trouvé sur le disque dur d’un sous-officier réserviste les noms et adresses personnelles de 17 personnalités politiques de gauche ou libérales, ainsi que des célébrités [5].
Ce type de découvertes inquiétantes se multiplie. L’an dernier, la presse révélait l’existence d’un réseau d’échanges sur Telegram appelé Nordkreuz. En lien avec ce réseau, la police criminelle de l’État-région du Mecklembourg-Poméranie, dans le nord-est, avait arrêté quatre policiers et anciens policiers soupçonnés d’avoir subtilisé des munitions depuis 2012, puis de les avoir livrées à des membres de groupes d’extrême droite à tendance survivaliste. Chez l’un des suspects, des dizaines de munitions avaient été découvertes, ainsi qu’un pistolet mitrailleur. Cet ancien fonctionnaire de police de la région, Marco G., a depuis été condamné à une peine de prison avec sursis pour ces faits.
Trois attentats meurtriers d’extrême droite depuis 2018
D’autres affaires sont en cours. Fin février, un employé administratif de la police de Hamm, dans le Nord-ouest, a été arrêté. Il est suspecté de planifier des attaques d’extrême droite avec un groupe d’autres hommes [6]. En Hesse, une enquête interne, lancée suite à des lettres de menaces reçues par une avocate, a mis au jour un réseau de policiers échangeant dans un groupe de messagerie des portraits d’Hitler, des croix gammées, et des « images haineuse de personnes handicapées et de réfugiés », indiquait la radio publique Deutschlandfunk [7]. La radio a comptabilisé 200 cas d’agents poursuivis pour ce type de faits à travers le pays. Des chiffres qu’elle précise ne pas « être exhaustifs ».
La gravité de ces actes semble de plus en plus prise au sérieux par les autorités allemandes. Plusieurs attaques d’extrême droite ont endeuillé le pays depuis deux ans. Le 19 février dernier, un homme a tué neuf personnes dans des bars à chicha près de Francfort, avant de tuer sa mère puis de se suicider. Ses motifs étaient incontestablement racistes, selon les enquêteurs.
En juin 2018, un homme a assassiné à son domicile un politicien local conservateur qui avait pris position pour l’accueil de réfugiés, Walter Lübke. Le procès de l’assassin présumé, qui avait participé à des manifestations et groupes d’extrême droite, a débuté il y a deux semaines. Le 21 juillet, c’est le procès de l’attaquant présumé de Halle qui doit commencer : le 9 octobre 2019, un homme lourdement armé avait tenté d’attaquer une synagogue de Halle, un jour de fête religieuse juive. L’homme se filmait en direct. N’ayant pas réussi à entrer, il avait tué deux personnes, une passante et un homme attablé à un restaurant kebab.
Rachel Knaebel
Photo : publicité de recrutement dans l’armée allemande (Bundeswehr) / CC photoheuristic.info