Précarité

RSA supprimé sur décision du département : « J’ignore absolument ce qu’on me reproche »

Précarité

par Rachel Knaebel

Macron veut imposer du travail obligatoire aux bénéficiaires du Revenu minimum de solidarité. Déjà, les allocataires font face à des contrôles provenant de tous côtés : Pôle emploi, CAF ou départements. Témoignage de Philippe, allocataire sanctionné.

« Près de 36,6 millions de contrôles » ont été réalisés en 2020 et « 36 917 cas de fraudes détectés » se félicite la Caisse nationale des allocations familiales dans son bilan annuel sur la fraude. Les contrôles touchent toutes les allocations versées par les CAF : RSA, prime d’activité, allocation adulte handicapé (AAH), aides au logement, prestations familiales. Parmi les bénéficiaires visés, ceux du RSA – qui s’élève à 565 euros par mois pour une personne seule – arrive largement en tête, avec 46 % des « fraudes », plus de 60 % des montants considérés comme indus par la CAF.

Le terme « fraudes » recouvre cependant bien des situations, et pas seulement une volonté de percevoir indûment l’allocation. Car quand on perçoit le RSA, il faut déclarer à la CAF toute aide financière reçue par ailleurs, même minime et ponctuelle. Ainsi, encaisser un chèque de proches pour pouvoir faire des courses alimentaires sans le déclarer à la CAF peut aboutir à être considéré comme « fraudeur ». « Bruno, allocataire du RSA, ne pensait pas devoir déclarer l’aide de ses parents dans ce moment difficile pour payer ses courses et ses frais de formation. La CAF a pourtant estimé qu’il avait multiplié les erreurs de déclarations, ce qui démontrait son intention frauduleuse », a par exemple recueilli le collectif Changer de cap dans un vaste travail sur les contrôles de la CAF (voir aussi notre article).

Un jour, un courrier du département vous dit que vous êtes sanctionné

Aux contrôles et sanctions des CAF, qui réclament le remboursement de ce qu’elles jugent indu, s’ajoutent les sanctions des départements. Depuis 2004, ce sont eux qui financent le RSA, même si les CAF se chargent de verser l’allocation. « Les départements peuvent décider de sanctions et demandent alors à la CAF de couper les versement. La CAF s’exécute, elle agit comme une caisse », précise Pierre-Édouard Magnan, président du Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP).

C’est ce qui est arrivé à Philippe, sans emploi depuis plusieurs années, habitant de de Seine-et-Marne, un département dirigé par Les Républicains. « J’ignore absolument pourquoi on me sanctionne », nous dit-il. En janvier, il reçoit un courrier de la direction générale de la solidarité du département, lui disant qu’il n’a « pas respecté les engagements liées à l’attribution de l’allocation du RSA. Aussi une procédure de suspension a été lancée pour le motif suivant : non-respect du contrat ».

Une commission doit se tenir le 17 février pour statuer sur son cas, indique encore le courrier. « Cette instance pourra proposer une suspension du versement de votre allocation. » En cas de suspension, l’allocation sera réduite de 80 % pendant un mois. Au terme de deux mois de suspension, « si le département considère que la situation n’est pas régularisée », le « président du conseil départemental mettra fin à vos droits au RSA. Et procèdera à votre radiation de la liste des bénéficiaires. » Le courrier ne contient pas plus d’éléments précis sur le motif de la suspension.

Courrier du département de Seine-et-Marne indiquant la suspension du RSA.

« En 2019, j’ai fait l’objet d’un contrôle de recherche d’emploi, j’ai dû justifier d’un an de recherche à Pôle emploi, à la suite de quoi on m’a dit que je recherchais bien un emploi. » Un mail de Pôle emploi lui indique bien que le contrôle de 2019 s’est conclu en sa faveur. « Là, on m’affirme que je n’ai pas respecté mes engagements. Lesquels ? Je ne sais pas. J’ai demandé des explications à la maison des solidarités du département, mais on ne me répond pas, assure Philippe. J’ai la possibilité d’assister à cette commission, mais ne sachant pas ce qu’on me reproche, je ne peux pas la préparer. »

Au bout de deux mois, la radiation

Le 14 janvier, Pôle emploi écrit à Philippe un mail proposant de suivre le parcours « regards croisés » – une rencontre avec un psychologue du travail spécialiste de l’orientation. « Cette prestation sera d’autant plus efficace si vous êtes volontaire », est-il précisé. Puis, un nouveau courrier de Pôle emploi du 22 février lui explique que la condition pour le rétablissement de son RSA est de « participer aux prestations proposées par votre référent ». En l’occurrence, le parcours « regards croisés ». Un deuxième courrier de Pôle emploi daté du même jour indique à l’allocataire que son conseiller à changé.

Le 2 mars, une lettre du département fait savoir à Philippe que la décision a été prise de réduire son RSA de 80 % pour le mois d’avril. Ce qui ne lui laisse que 113 euros de revenu. « Si à l’issue de ce mois, vous ne justifiez toujours pas d’un contrat d’engagement », son RSA sera coupé. Au terme de deux mois, ce sera la radiation définitive. « Pôle emploi peut opérer des contrôles de recherche d’emploi sans le dire, depuis l’espace personnel, et le fait savoir au conseil départemental, qui peut sanctionner », rappelle Pierre-Édouard Magnan, du MNCP.

C’est peut-être ce qui est arrivé à Philippe. « Il y a toujours un motif aux sanctions, cela ne veut pas dire que le motif est valable », analyse le porte-parole du Mouvement des chômeurs et précaires. Entre les contrôles de Pôle emploi, ceux de la CAF et ceux des départements, les bénéficiaires de la solidarité nationale font face depuis plusieurs années à une surenchère de menaces de sanctions. « Les gens peuvent en théorie contester les décisions auprès des départements, et aller jusqu’au tribunal administratif, précise Pierre-Édouard Magnan. Mais il y a une inégalité totale entre la précarité de la situation des gens sanctionnés et le temps de la justice. »

Rachel Knaebel
Dessin : Rodho