Qu’a annoncé le Premier ministre ?
Basculer les bénéficiaires d’une allocation conditionnée à l’activité vers une allocation pour les personnes qui sont le plus éloignées de l’emploi ? La suppression de l’allocation spécifique de solidarité (ASS) au bénéfice du RSA pourrait surprendre pour un gouvernement qui n’a de cesse de déclarer son amour à la « valeur travail ». C’est pourtant l’annonce faite par le nouveau Premier ministre, à la surprise générale, lors de sa déclaration de politique générale, devant l’Assemblée nationale le 30 janvier. Selon le cabinet de la ministre du Travail, Catherine Vautrin détaillera la mesure dans les prochaines semaines.
La suppression de l’ASS a plusieurs avantages pour l’exécutif. Le premier est d’ordre budgétaire, puisque le RSA est à la charge des départements. Le transfert de plus de 320 000 bénéficiaires de l’ASS, allocation versée par Pôle emploi, vers le RSA représente une économie d’environ deux milliards d’euros, selon Département de France. D’autant que l’association d’élus dénonce le fait que les dépenses liées au RSA ne soient déjà pas entièrement compensées par les dotations de l’État aux collectivités territoriales.
Autre intérêt de la mesure pour le gouvernement : poursuivre le détricotage des droits à l’assurance chômage. L’attaque cible cette fois les seniors, puisqu’ils représentent plus de la moitié des bénéficiaires de l’ASS. Objectif : pousser encore les demandeurs d’emploi à accepter n’importe quel petit boulot pour atteindre un taux de chômage de 5 % et un taux d’emploi des seniors à 65 %, alors que l’âge de départ à la retraite a été repoussé de deux ans en septembre 2023.
Quelles conséquences pour les allocataires de l’ASS ?
Le passage de l’ASS au RSA rimera avec perte de droits et de revenus pour nombre de bénéficiaires. Au premier abord, le changement de dispositif peut sembler sans grand effet. Rappelons que pour toucher l’ASS, il faut avoir travaillé au moins cinq ans sur les dix dernières années. Son montant, pour une personne seule, varie de 545 euros à 563 euros – selon que le mois comprenne 30 ou 31 jours. Le RSA, lui, varie de 607 euros à taux plein, à 535 euros si la personne bénéficie d’aides au logement.
Mais à y regarder de plus près, ces deux dispositifs de protection sociale ne sont pas équivalents. Première différence : le plafond des ressources pour en bénéficier diffère. Avec l’ASS, ce plafond est de 1270 euros pour une personne seule et de 1998 euros pour un couple. Du côté du RSA, c’est environ moitié moins, rendant plus difficile son accès et son maintien à taux plein.
Ainsi, pour un couple sans enfant, une personne sans revenu dont le conjoint travaille à temps plein au Smic a droit à l’ASS, mais ne peut pas prétendre au RSA. Trop riche ! Pour qu’elle puisse en bénéficier, il faudrait que le conjoint gagne moins de 60 % du SMIC. De plus, les ressources prises en considération pour le RSA sont bien plus diverses que pour l’ASS. C’est vrai pour les aides au logement, comme pour toute une série de prestations et d’indemnités.
Autre différence de taille, la CAF déduit vos ressources et celles de votre conjoint du montant de votre RSA. Par exemple, si vous ou votre conjoint trouvez un petit boulot d’un ou deux mois à temps partiel, votre RSA sera amputé d’autant. Ce n’est pas le cas avec l’ASS, qui permettait de cumuler un petit salaire et l’allocation pendant trois mois si le salaire n’excède pas 1270 euros. Si vous basculez au RSA, comme le prévoit Gabriel Attal, même l’aide financière d’un proche entraînera une baisse de votre allocation.
Qui est visé ?
Avec la suppression de l’ASS, ce sont les demandeurs d’emploi de longue durée, en réalité les plus âgés, qui sont dans le viseur du gouvernement. En effet, les moins de 40 ans ne représentent que 16% des 322 000 bénéficiaires, alors que les plus de 50 ans en représentent 58 %.
Ces derniers, qui ont plus de difficultés à retrouver un emploi, ont déjà dû subir la réduction du temps d’indemnisation du chômage de 25 %. Ainsi, depuis février 2023, les plus de 53 ans sont passés de 30 mois de droits à 22,5 mois. Et les plus de 55 ans de 36 mois à 27 mois. De plus, ils risquent de voir la spécificité de leur durée d’allocation bientôt supprimée. Bruno Lemaire a déclaré sur France info, fin novembre 2023 qu’il souhaitait prescrire une durée unique d’indemnisation : 18 mois pour tous, quel que soit l’âge du demandeur d’emploi.
Enfin, comme si cela ne suffisait pas, fin de l’ASS rime aussi avec perte de trimestre comptabilisé pour le calcul des pensions. L’ASS pouvait engendrer des cotisations pour la retraite de base et pour les complémentaires, sur une durée d’une année maximum. Soit quatre trimestres. Des trimestres non négligeables, alors que le gouvernement a allongé l’âge légal de départ à la retraite de deux ans. Or, avec le basculement de l’ASS vers le RSA, ce ne sera plus possible.
Tout ceci est totalement assumé par le Premier ministre, qui a qualifié l’ASS de « trappe à inactivité […] qui prolonge l’indemnisation du chômage et qui permet, sans travailler, de valider des trimestres de retraite ». S’il est assez peu probable que la suppression prochaine de l’ASS ferme une trappe à inactivité, il est fort possible qu’elle élargisse un gouffre à pauvreté.
Stéphane Ortega (Rapports de force)
– Cet article a été initialement publié sur le magazine en ligne Rapports de force. Nous le republions avec leur autorisation.