Sylvie* ne s’attendait pas à trouver la brigade anti-criminalité devant son domicile. Ce 5 novembre, à 11h, cette femme de 59 ans est arrêtée et placée sept heures en garde à vue. Motif : sa participation le matin même, avec 21 autres militants, à une réquisition de cinq chaises dans une agence de la Société générale de Bordeaux. Un braquage citoyen : cette action répond à un appel à la désobéissance civile, lancé par plusieurs personnalités, pour « en finir avec l’évasion fiscale » et dégager des financements publics « pour des politiques de transition écologique et social » [1].
L’objectif est de réquisitionner 196 chaises au sein des banques qui comptent des filiales dans les paradis fiscaux : une chaise pour chaque État et groupe d’États représentés au sein des négociations sur le climat lors de la COP21. Les chaises « réquisitionnées » serviront à organiser une action pour dénoncer l’immobilisme des États et mobiliser les citoyens sur le sujet. Pourquoi la Société générale est-elle visée en particulier ? Selon le Tax Justice Network, la banque française a « multiplié par trois le nombre de ses filiales situées dans des paradis fiscaux », détenant désormais 787 sociétés « offshore », rappellent les Amis de la Terre dans un communiqué (lire notre enquête : Évasion fiscale, fraudes et manipulations : découvrez le casier judiciaire de votre banque).
« Les moyens déployés pour des chaises sont ahurissants »
En réaction à la réquisition de ses chaises, l’agence bordelaise a déposé plainte pour « vol en réunion », indiquent les policiers de la Bac à Sylvie au moment de son arrestation. Elle est la seule militante interpellée à l’issue de l’action, réalisée une heure plus tôt à visage découvert. Propriétaire de la camionnette dans lequel ont été placées les cinq chaises, elle a probablement été identifiée par sa plaque d’immatriculation. « La seule question qui préoccupait la police, c’était qu’elle puisse donner l’identité des gens ayant procédé à la réquisition des chaises », indique un proche, contacté par Basta!. « Elle a rappelé qu’elle agissait dans le cadre d’une action civique et citoyenne et n’a pas donné les noms. Ils sont revenus à plusieurs reprises pendant la garde à vue lui poser la même question. »
Une perquisition de son domicile, en présence de Sylvie, a lieu l’après-midi en vue de vérifier si les chaises sont chez elle. Aucune ne s’y trouve. Sylvie est finalement libérée à 18h sans poursuite immédiate. La police annonce continuer l’enquête pour identifier les mystérieux participants à l’action et retrouver le précieux butin... « Les moyens déployés suite à cette réquisition de chaises sont ahurissants », déplore son entourage. « On aimerait une réaction aussi incisive pour lutter contre l’évasion fiscale. » En France, la fraude fiscale représente un manque à gagner pour les fonds publics de 60 à 80 milliards d’euros, et atteindrait 2000 milliards d’euros au niveau européen.
Vingt réquisitions similaires de chaises ont été menées dans des agences de BNP ou de HSBC, pour un butin de 109 chaises. Avec un message : « L’argent pour le climat existe, il est dans les paradis fiscaux ». Les dangereux braqueurs à visage découvert de ces précédents hold-up ont été convoqués à de multiples reprises au commissariat, en particulier les militants de l’association Bizi !, à Bayonne, suite à une réquisition au sein d’une agence HSBC. « On attend de voir quand la police mettra les mêmes moyens pour lutter contre les banques qui organisent l’évasion fiscale et qui privent les finances publiques de milliards d’euros. On voit qu’il y a deux poids deux mesures selon qu’on réquisitionne des chaises à visage découvert, où qu’on vole des milliards », s’insurge Jon Palais, porte-parole d’Action non-violente COP21.
*Le prénom a été modifié
[Mise à jour le 6 novembre à 12h30] Deux nouvelles actions des faucheurs de chaises ont eu lieu ce matin, l’une à Marseille et l’autre à Nancy, portant le compteur à 132 chaises sur les 196 visées.