Le film peut être visionné gratuitement pendant une semaine sur la plateforme de diffusion de films documentaires Tënk, à cette adresse.
Sous la douche, le ciel suit l’association bruxelloise DoucheFlux pendant cinq ans, de 2012 à 2017. Le film, réalisé par le duo d’artistes Effi Weiss et Amir Borenstein – « Effi et Amir » –, raconte ses efforts pour mettre en place un bâtiment dédié aux douches publiques et à des services d’hygiène pour les sans-abris et les populations précaires. L’association revendique le luxe, pour redonner confiance à des citoyens d’abord préoccupés par leur survie. En proposant une telle initiative, l’association met en cause la responsabilité sociale de l’État.
Le projet, qui porte au grand jour la question de la pauvreté, apparaît comme non conforme et déplacé par rapport à la politique urbaine bruxelloise. Il fait face à des refus répétés de la part de l’administration et des investisseurs privés. Ces affrontements prennent les allures d’une comédie à suspense. Le récit se nourrit d’une tension entre le bon sens du projet et la non-réactivité du système.
L’humour pour raconter l’absurde
Pour raconter cette lutte, Effi et Amir suivent Laurent d’Ursel, à la tête du collectif. On l’accompagne dans ses démarches auprès de services administratifs obtus et lors de rendez-vous avec des investisseurs. Certaines discussions privées sont rapportées et mimées face à la caméra par Laurent d’Ursel, soulignant l’absurdité de la lutte. Derrière les interventions clownesques de ce personnage drôle et attachant, le public découvre quelqu’un de rationnel et combattant, une figure du héros contemporain qui lutte face à une instance étatique rigide et incohérente.
Aux côtés du personnage de Laurent d’Ursel, le film donne la parole aux membres de DoucheFlux, y compris des personnes sans domicile. Face à des politiques déconnectées des réalités, les personnages préfèrent en rire. Néanmoins, malgré les situations burlesques, le film ne tombe jamais dans le cynisme. Il montre aussi la réalité dramatique de ce conte contemporain. La caméra présente des histoires individuelles sans affabuler, sans pencher dans le misérabilisme envers celles et ceux qui sont dans des situations précaires, ni sacraliser les personnes qui les aident. On ne connait pas toujours le statut des personnes filmées – qui est SDF, qui l’a été ? –, et ce n’est d’ailleurs pas ce qui importe.
Invisibilisation et surveillance des exclus
L’intimité est frontalement interrogée. Elle est symbolisée par la douche, symbole de la propreté et d’une certaine distinction sociale. La douche est le point du départ et d’arrivée du film. Elle initie et clos le récit, tout comme elle ponctue nos journées au quotidien. Les réalisateurs font de ces quatre murs un lieu de bien-être, mais aussi un confessionnal : des interviews des membres de l’association sont réalisées dans leur salle de bain.
Le film traite aussi de la marginalité, « des invisibles » et des personnes blessées et abîmées par la société. Si les institutions refoulent la misère, elles demandent à pouvoir surveiller ceux et celles qui ne vivraient pas selon ses règles. Le centre d’accueil doit obéir à cette double contrainte : ne pas être situé dans un lieu trop central, trop fréquenté, mais être vitré, transparent et visible. Voilà tout l’enjeu de la lutte : la visibilité de la misère, que l’État veut contrôler et étouffer.
Sous la douche, un cri dans le ciel
Sous la douche, le ciel est un film de parole. La voix – les échanges entre protagonistes, les monologues des membres interviewés – est le déclencheur de l’action. Les personnages se confient, depuis le plateau de la radio de l’association jusque dans la salle de bain des personnes interviewées. La parole devient matière sonore au sein du film, une forme à part entière. Elle dessine une polyphonie de voix humaines, de revendications citoyennes, unies face au silence des institutions politiques. Par la parole, le film donne un relief aux tensions entre espace clos et espace public.
La parole montre aussi les failles du système et se répercute au-delà de nos salles de bain. Les réalisateurs jouent avec la réalité : des fragments de l’Atomium, monument emblématique de Bruxelles, se décomposent dans le ciel, tels des bulles de savon volant au-dessus des toits de la ville. Ces formes donnent un recul au spectateur, qui observe de loin le paysage urbain dans lequel le combat se déroule.
En valorisant la parole, vectrice de témoignages à dimension politique et outil de lutte, le film interroge l’action citoyenne, et sa capacité à intervenir dans la réalité. Même si la lutte est longue, Sous la douche, le ciel, finit par nous persuader que changer la société et les mentalités en tant qu’individu est possible.
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Sous la douche le ciel, 2018, 85 minutes
Réalisation : Effi & Amir
Production/diffusion : CVB (Centre vidéo de Bruxelles), BX1, CBA - Centre de l’Audiovisuel de Bruxelles, La Chose à trois jambes.
– Visionnez gratuitement pendant une semaine Sous la douche, le ciel, sur la plateforme Tënk, à cette adresse.
– Et ensuite en VOD, sur abonnement à Tënk.fr.
– Le film est aussi disponible en DVD.
Pour organiser une projection publique de Sous la douche le ciel, vous pouvez contacter Philippe Cotte - philippe.cotte@cvb.be - 00 32 2 221 10 50 - www.cvb.be.
Ces chroniques mensuelles publiées par Basta! sont réalisées par le collectif des Lucioles du Doc. Cette association qui travaille autour du cinéma documentaire, à travers sa diffusion et l’organisation d’ateliers de réalisation auprès d’un large public, afin de mettre en place des espaces d’éducation populaire politique. Voir son site internet.