Ce 16 janvier, un hélicoptère de secours embarque en haute montagne une famille avec deux enfants. Mais au lieu, comme c’est l’usage, de les transporter vers un hôpital, l’hélicoptère les dépose à un poste de police de l’air et des frontières (PAF) ! C’est la scène stupéfiante à laquelle ont assisté plusieurs « maraudeurs » qui viennent en aide aux exilés, à Montgenèvre dans les Hautes-Alpes, le 16 janvier. Pour le collectif Maraude du Briançonnais [1], cela constitue clairement une mise en danger de cette famille. « Il est impossible d’estimer l’état de santé d’un nourrisson à l’intérieur d’un hélicoptère. Ils auraient dû être emmenés à l’hôpital ! D’ailleurs ils l’auraient certainement été s’ils n’étaient pas exilés », estime Justine Wyts, médecin généraliste et bénévole pour Médecins du Monde.
Cette famille aurait été repérée par les forces de l’ordre sur les hauteurs de la station de Montgenèvre, à 2000 mètres d’altitude. « D’ordinaire, l’hélicoptère de secours bleu se rend sur place pour la prise en charge et conduit les exilés à l’hôpital, relate Wil, un maraudeur témoin de la scène. Là, ils les ont ramenés à la PAF alors qu’il y avait une famille avec un nourrisson et un enfant d’à peine un an. » L’hélicoptère est conduit en général par le peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM), qui accompagne systématiquement les personnes prises en charge à l’hôpital. Des sources indiquent que l’hélicoptère serait actuellement mis à disposition, une semaine sur deux, aux compagnies républicaines de sécurité en montagne (CRS Montagne) qui font également du secours.
Dans Le Dauphiné Libéré, le commandant de l’unité de secouristes s’indigne de la polémique : « Il ne s’agit pas d’un secours. C’est la police aux frontières qui est déjà sur place grâce à une motoneige avec la famille, qui nous sollicite pour une évacuation. Ils ont estimé, parce qu’il y a des enfants en bas âge, qu’ils ne pouvaient pas les ramener dans leurs locaux en toute sécurité. On nous a demandés un appui technique pour conduire cette famille dans les meilleures dispositions possibles de sécurité » relate Gonzague Dupré du PGHM de Briançon.
Deux médecins de l’organisation Médecins du Monde étaient présents mais n’ont pas eu accès aux locaux de la PAF pour pouvoir vérifier l’état de santé de la famille, et en particulier des deux enfants. La PAF a finalement contacté un médecin de garde de Montgenèvre qui a confié n’avoir pu ausculter que quatre personnes sur les 22 qui avaient été arrêtées. « L’accès à un médecin est un des droits fondamentaux qui n’a pas été respecté ce jour là », souligne Pamela Palvadeau, de Médecins du Monde. « Or, il y avait une vraie inquiétude pour l’enfant de 11 mois qui n’a pas pu être ausculté alors même que ces personnes ont passé plusieurs heures dans la neige entre moins 10 et moins 15 degrés, sans être équipées pour la haute montagne. Il y avait aussi plusieurs personnes âgées parmi les 22 exilés qui ont été arrêtés ce jour là. »
Ces 22 personnes sont restées une dizaine d’heures dans les locaux de la PAF, avant que des policiers ne demandent à l’association Tous Migrants de les mettre à l’abri. La préfecture leur a délivré des « obligations de quitter le territoire français », et des « interdictions de retours ». « L’État militarise la frontière, traque les exilé
es et les reconduit quasi systématiquement en Italie sans même vérifier s’ils souhaitent demander l’asile en France », dénonce le collectif. Cet événement « constitue une nouvelle escalade du gouvernement français dans le mépris des droits fondamentaux et la mise en danger des personnes exilées », ajoute le collectif.« Politique illégale, illégitime, dangereuse et barbare »
Dans le même temps, la répression s’abat sur les citoyennes et citoyens qui, chaque jour, essaient de porter assistance aux exilés. « Cette après midi encore (19 janvier, ndlr), une famille avec enfants a été arrêtée avec des maraudeurs à Montgenèvre, témoigne Wil. Les auditions libres et les amendes se multiplient, alors même que nous sommes en possession de notre ordre de mission et de notre attestation dérogatoire de déplacement délivrés par l’association Tous Migrants. La première amende, c’est 135 euros, la deuxième c’est 1500 euros et la troisième, c’est 3500 euros avec une convocation en justice. La pression et le harcèlement policier s’accentuent. »
Entre le 8 et le 13 janvier, près d’une trentaine de notifications d’amende pour non-respect du couvre-feu ont été faites à l’encontre des maraudeurs et maraudeuses. Or, les maraudes citoyennes, ainsi que l’unité mobile de mise à l’abri de Tous Migrants et Médecins du Monde, rentrent dans le cadre des dispositifs d’aides maintenus pendant le couvre-feu. C’est ce qu’a récemment confirmé le ministère du Logement [2]. Ces séries de contrôles sont donc considérées par les organisations comme « totalement abusives » et doivent cesser.
Depuis septembre 2020, l’unité mobile de mise à l’abri a permis de porter assistance à 196 personnes dont une cinquantaine d’enfants et une dizaine de personnes âgées. « En militarisant la frontière et en criminalisant la solidarité, l’État se rend responsable des drames qui ont lieu aux frontières, estime le collectif Maraude du Briançonnais. Le gouvernement français doit prendre ses responsabilités et cesser cette politique illégale, illégitime, dangereuse et barbare. Il en va de vies humaines. »
Sophie Chapelle
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