Et maintenant ?

Après la corvée électorale, la responsabilité historique de la gauche, dans toutes ses expressions

Et maintenant ?

par Ivan du Roy

Emmanuel Macron a été réélu en partie grâce à l’électorat de gauche par devoir antifasciste. Après avoir évité le pire, il s’agit désormais de s’atteler à proposer le meilleur : une réelle alternative aux législatives de juin.

« La vraie bonne nouvelle, c’est la fin de la campagne présidentielle la plus raciste de l’histoire », a commenté l’avocat Yassine Bouzrou, habitué à défendre les personnes victimes de violences policières arbitraires [1]. Le « barrage » à l’accession au pouvoir de l’extrême droite a tenu, mais à quel prix ? Le délire raciste du « grand remplacement » s’est répandu jusque dans les rangs de la droite républicaine ; pendant des mois, l’extrême droitisation du débat a été allègrement relayée par certaines télévisions ; Marine Le Pen et son projet d’exclusion et de régression sociale ont été banalisés comme jamais ; les questions d’intérêt général ont été reléguées à quelques maigres débats.

Bien que défaite, l’extrême droite gagne du terrain

Pour la troisième fois en cinq élections présidentielles, l’extrême droite a accédé au second tour. Et pour la première fois elle dépasse la barre des 40 %, gagnant 2,6 millions de voix par rapport au scrutin précédent, arrivant en tête dans 30 départements (dont les cinq d’Outre-mer) contre deux en 2017. Marine Le Pen recueille près de 8 millions de suffrages supplémentaires par rapport à son père en 2002. C’est dire l’état du pays, quand plus de 13 millions d’électeurs et d’électrices sont prêts, par adhésion, par colère, par relativisme ou par totale défiance, à faire le choix de l’extrême droite. Seize millions d’abstentionnistes et votants blancs ou nuls ont refusé de se prêter à ce dilemme cornélien.

En face, Emmanuel Macron ne doit sa réélection qu’à 5,5 millions seulement de voix d’avance sur Marine Le Pen. Il en comptait 10 millions de plus en 2017, et Jacques Chirac 20 millions face à Jean-Marie Le Pen en 2002. Voilà la tendance lourde qu’il va nous falloir contrecarrer, à moins de continuer à marcher, tels des somnambules, vers le désastre annoncé.

Emmanuel Macron a perdu deux millions de voix par rapport à 2017 (58,5 % des suffrages exprimés contre 66 % il y a cinq ans). Il ne recueille que 38,5% des voix, si l’on prend en compte l’ensemble des inscrits – l’un des plus bas socles électoraux sous la 5e République. Il ne doit ce second mandat qu’au douloureux report d’une grande partie de l’électorat de gauche, dont le niveau d’abnégation est à saluer. Pensons aux enseignants, aux soignants, à celles et ceux qui font malgré tout tourner les services publics, aux salariés, ouvriers, agriculteurs qui assurent la production de richesses et qui n’ont pas cédé aux sirènes de l’extrême droite, aux étudiants appauvris, tous et toutes largement méprisés pendant le premier quinquennat.

« J’ai conscience que ce vote m’oblige », a déclaré le président de la République devant ses partisans réunis sur le Champ de Mars, à Paris, le soir du 24 avril. À quelques centaines de mètres de là, les premières grenades lacrymogènes du quinquennat étaient tirées sur des manifestants, autour du Châtelet ou de la place de la République. On sait le peu de crédit que l’on peut placer dans la parole macronienne. D’autant que le discours présidentiel du 24 avril est aussi creux qu’un powerpoint réalisé par un cabinet de conseil grassement rémunéré : « Cette ère nouvelle ne sera pas la continuité du quinquennat qui s’achève mais l’invention collective d’une méthode refondée pour cinq années de mieux au service de notre pays, de notre jeunesse », a-t-il lancé, au terme d’une campagne où le président sortant a refusé tout débat – sauf avec l’extrême droite – et tout véritable bilan critique de son premier quinquennat.

À gauche, la nécessité absolue de refonder une dynamique

Malgré ce sinistre contexte, les électeurs et électrices de gauche « ont fait le job ». Ils et elles ont, au premier tour, redonné quelques couleurs à la possibilité d’une véritable alternative entre le néolibéralisme méprisant du président sortant et la société d’exclusion et de discrimination souhaitée par Le Pen. Le « bloc de gauche » y a progressé de plus d’un million de voix, malgré ses divisions, malgré les ralliements opportunistes au macronisme, malgré les entraves médiatiques, malgré l’absence de débat de fond. Au second tour, en dépit du coût « moral », ils et elles ont largement contribué à ne pas donner donner les clés du pays à l’extrême droite.

Désormais, c’est aux états-majors des partis de gauche – Union populaire et insoumis, écologistes, communistes, socialistes, anticapitalistes – de prouver leur sens des responsabilités. Cela semble plutôt en bonne voie, un accord national en vue des élections législatives de juin est en train de se négocier pour éviter un mortifère éparpillement des candidatures. Objectif : imposer, au mieux, une cohabitation à Emmanuel Macron, ou, au minimum, renforcer de manière conséquente le nombre d’élus combatifs (la gauche, dans toutes ses composantes, ne comptait qu’un peu plus d’une soixantaine de députés sur 577, 28 socialistes, 17 insoumis, 15 communistes, une poignée de non inscrits). Reste à sortir de l’entre-soi pour poursuivre la dynamique naissante, à convaincre un électorat lassé qui risque de s’abstenir, à montrer que des changements concrets, au-delà des beaux slogans, sont encore possibles. Ce ne sera pas une mince affaire.

Il n’y a pas que les partis : la vie démocratique et la possibilité de construire des alternatives ne se résument pas à une frustrante tragédie électorale tous les cinq ans. Les syndicats, les associations petites ou grandes, les collectifs de lutte, bref, toutes les forces œuvrant pour l’émancipation individuelle et collective, ont également leur rôle à jouer. Elles doivent, elles aussi, sortir d’un relatif entre-soi et s’ouvrir. En parallèle, nombre de citoyens doivent ré-apprendre à s’en servir et à s’y engager. Ce sera bien moins pénible et bien plus enthousiasmant que devoir s’infliger une nouvelle corvée électorale d’ici cinq ans. Avec un risque accru de se conclure tragiquement.

« En pays trop longtemps dominés, rien ne s’oppose à la nuit », a réagi l’écrivain Patrick Chamoiseau suite au « triomphe de la monstruosité Le Pen » en Outre-mer. « Elle grandit en France, elle grandit dans le monde, elle œuvre en chacun de nous. A charge pour ceux qui la refusent encore de réinventer l’aube. »

Ivan du Roy
Photo : © Anne Paq

Notes

[1sur le réseau social Twitter.