Lundi 2 novembre : Les lieux changent, pas les discours !
Ça y est, la session de Barcelone est lancée ! Comme à l’accoutumée, les sessions commencent par une longue série de discours, toujours très encourageants. A chaque fois, on entend les mêmes mots : le temps court, on se rapproche de plus en plus de l’issue finale, il faut agir maintenant, ce sera toujours aussi difficile dans un an ou dans trois.
Jose Luiz Rodriguez Zapatero, qui devait ouvrir cette session, a finalement décidé de ne pas faire le déplacement jusqu’à Barcelone. Le pays dont il est le président accueille le dernier round de négociations sur le climat et il ne prend même pas la peine de venir. Sachant que l’Espagne prend la présidence tournante de l’Union Européenne dans un mois, cela pose tout de même question quant à la motivation espagnole sur ce sujet. Un vrai et fort soutien politique aurait été plus que nécessaire.
Yvo de Boer (secrétaire général de la « Convention cadre sur les changements climatiques », nom officiel du sommet de Copenhague), qui avait fait preuve d’un pessimisme exceptionnel ces dernières semaines, semble être un peu requinqué. Son discours laisse transparaître une vraie volonté de trouver un accord à la fin de l’année.
Mercredi 4 novembre : L’Afrique lance un ultimatum
Ces dernières 24 heures furent les plus incroyables de ma vie de « suiveur de négociations ». Depuis un an, nous allions de groupes de contacts en plénières et de plénières en groupes de contact. Hier soir, le ton a changé. Un des groupes, qui jusqu’à présent était plutôt discret, a tapé du poing sur la table et a quitté les négociations : l’Afrique a demandé l’arrêt de tous les groupes de travail tant qu’une condition n’est pas remplie. Elle demande que les pays de l’annexe I (les pays industrialisés du Nord – ceux qui émettent le plus de gaz à effet de serre par habitant) s’engagent sur des objectifs de réduction d’émissions compris entre 25 et 40% à l’horizon de 2020. Cette annonce faite par le délégué de la Gambie, au nom du groupe africain, a totalement semé le trouble dans le centre de conférence. Tous les délégués sont tombés dans la plus totale expectative.
Il s’agit clairement de demander aux pays développés d’afficher de plus grandes ambitions et de clarifier la façon dont ils vont réduire les émissions. Il existe deux manières : d’une part les réductions domestiques et d’autre part « les achats de permis de polluer par le biais de certains mécanismes ». Les pays d’Afrique demandent à ce que les pays développés effectuent la réduction de manière domestique et pas en achetant des permis d’émissions.
C’était aussi la dernière occasion pour l’Afrique de s’affirmer comme un joueur important de ce processus. Jusqu’à présent, toutes les négociations se focalisent sur quelques acteurs, l’Union Européenne, mais surtout les Etats-Unis, l’Inde et la Chine. Les prochaines rencontres bilatérales vont uniquement concerner les Etats-Unis avec la Chine, puis l’Inde et l’Union Européenne. Aucune rencontre avec l’Afrique n’est prévue. L’Afrique, premier continent touché par les changements climatiques, est le premier oublié.
La rumeur a couru toute cette journée dans les couloirs du centre de conférence : l’Algérie, actuellement présidente du groupe africain, aurait voulu ralentir le processus de négociations. Pourquoi ? L’Algérie est un pays pétrolier, membre de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), pour qui avoir un accord ambitieux contribuerait à tuer la poule aux œufs d’or. Tout le monde a aujourd’hui confirmé cette rumeur sans que l’on puisse réellement dire que c’est à cause de l’Algérie.
Première conséquence de cet événement : lors des trois prochains jours de négociations, 60% du temps va être consacré à discuter de ces objectifs de réduction d’émission. C’est intéressant, mais l’impact va rester tout relatif dans la mesure où les négociateurs ne sont que « des petits soldats » au service de leur pays. Ils ne peuvent prendre de position au nom de leur gouvernement. Un délégué allemand m’a dit que tout cela était ridicule et qu’avoir un accord à Barcelone sur les chiffres était impossible.
Une autre conséquence est que, jusqu’à hier, l’Afrique était oubliée. Désormais, elle apparaît comme un vrai groupe sur lequel il faudra compter à Copenhague. Cette sortie est aussi un signal clair donné à l’ensemble des gouvernements et des négociateurs, que nous sommes enfin entrés dans un vrai processus de négociations. Nous ne sommes déjà plus à Barcelone, mais déjà dans la première – longue – semaine de Copenhague.
A voir la joie des délégués africains ce soir à la sortie de la plénière, on comprend qu’ils ont réussi à jouer une grand coup de diplomatie internationale. Lors de la plénière qui vient de se terminer, aucun pays de l’Annexe I n’a eu le courage de prendre la parole. Le chairman du groupe de travail s’est même permis de se moquer de l’Australie qui après avoir demandé la parole s’est finalement ravisée.
Cette sortie diplomatique montre que les pays d’Afrique savent aussi jouer au poker ! Mais n’était-ce pas trop tôt pour menacer de claquer la porte ? N’est-ce pas un grand coup de manipulation de la part des pays de l’OPEP ? Comment les pays développés vont-ils réagir à cette annonce ? Fait très surprenant, l’Arabie Saoudite est venue soutenir en plénière cette sortie de salle. Le premier producteur mondial de pétrole...
Action d’Avaaz, négociations de Barcelone sur le climat (photo : Adopt a negociator)
Jeudi 5 novembre : négociations à huis-clos...
Il existe un rituel quotidien. Sitôt arrivé dans le centre de conférence, le premier geste est de se diriger vers le « document center » pour obtenir trois documents essentiels : le programme du jour, ECO (le programme des ONG) et le Bulletin des négociations. Le programme du jour est souvent une longue procession d’horaires, d’indications de salle et de thèmes de discussion. Chaque session dure normalement une heure trente, ce qui permet d’accéder à quelques quatre sessions de travail par jour, tant sur le protocole de Kyoto, l’adaptation aux changements climatiques que les transferts de technologie.
Or, à Barcelone, la plupart des meetings sont fermés. Alors qu’à Bangkok nous avions au moins une vingtaine de rencontres par jour, aujourd’hui, il n’y en a qu’une et une seule ! Les délégations veulent se parler dans le blanc des yeux. Alors, on ferme les portes. Tout cela n’est pas rassurant. Les observateurs au sein des Nations Unies ont justement vocation à ce que les négociations restent entièrement transparentes pour que tout le monde puisse les appréhender et les comprendre. Cette fermeture rend le travail des ONG particulièrement compliqué dans la mesure où il devient logiquement très difficile de savoir sur quelle délégation appuyer et sur quels points. D’un autre côté, cela permet aux délégations d’avancer plus rapidement. Certaines délégations et certains gouvernements ne veulent pas communiquer dès à présent leurs plans pour Copenhague au grand public, ni aux autres délégations. Entre transparence et rapidité, les délégués ont fait un choix.
Florent Baarsch, Adopt a negociator
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