Cet article a initialement été publié dans le journal L’âge de faire (voir en dessous de l’article)
« Entendre dire que si on tombe plus souvent malade, c’est parce qu’on est une région ouvrière et que, donc, on boit et on fume plus qu’ailleurs... C’est écœurant ! » Président de l’association de défense et de protection du littoral du golfe de Fos (ADPLGF), Daniel Moutet est parti avant la fin d’une réunion organisée par la préfecture des Bouches-du-Rhône, le 20 mars. Santé Publique France [1] y parlait pourtant d’un dossier qui l’intéresse au plus haut point : les effets sanitaires des pollutions industrielles à Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis. Plus exactement, l’agence publique livrait son interprétation des résultats d’une étude indépendante, publiée un an plus tot.
Cette étude participative avait notamment établi une prévalence plus élevée de l’asthme, des cancers – notamment chez les femmes – et des diabètes sur cette zone que sur le reste du territoire. « Les affections respiratoires concernent près d’un adulte sur deux, et un enfant sur quatre », concluait également l’étude [2]. Les services de l’État, via Santé Publique France, s’étaient saisis des résultats, qui avaient évidemment fait grand bruit, et promis de les expertiser. Mais c’est sans surprise que Daniel Moutet a entendu, le 20 mars, que l’agence publique avait trouvé des « biais » à l’étude et d’autres « faiblesses méthodologiques ». Pour le reste, on vous laisse savourer le langage tout technocratique de l’agence : « Les argumentaires utilisés pour faire le lien entre un résultat sanitaire (une pathologie localement observée en excès) et une cause environnementale, doivent être considérés comme des hypothèses émises par les chercheurs et les populations, que des études ad hoc plus précises seraient en mesure de confirmer. »
« Pas de données environnementales et sanitaires pertinentes sur la zone »
Entre mer Méditerranée et étang de Berre, Fos accueille quelques-unes des plus grandes usines du pays. Des géants de fer et d’acier, où les tuyaux n’en finissent plus de s’entremêler, où les cheminées semblent recracher leur fumée non sans une certaine fierté, à quelques centaines de mètres du centre-ville. Pour les habitants, le fait qu’il y ait de la pollution et qu’elle ait des effets sur leur santé ne fait guère de doute. Mais à quel niveau ? Quels sont les risques réels ? Que pourrait-on mettre en place pour les limiter ? C’est à toutes ces questions que les riverains aimeraient obtenir des réponses. Mais les services de l’État ne semblent ni disposés, ni même en mesure de leur en donner. Et, de fait, « on ne possède pas de données environnementales et sanitaires pertinentes sur la zone », regrette Philippe Chamaret, le directeur de l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions.
Exemple, avec la teneur en particules fines. Certes, celle-ci est observée par l’État depuis une vingtaine d’années. Mais seules les particules PM10, relativement « grosses », sont prises en compte. « Quand on fait une étude plus approfondie sur les particules, sur leur taille, leur composition dans la zone, on se rend compte que 80 % d’entre elles sont inférieures à 0,01 micron, c’est à dire qu’elles sont 1000 fois plus petites que celles qui sont visées par la réglementation. Il n’y a aucune mesure de ces particules ultrafines », rapporte Philippe Chamaret.
Administrés et ouvriers respirent bel et bien le cumul des pollutions
Autre carence, l’effet cumulatif. C’est ce que dénonce régulièrement le maire de Fos, René Raimondi (PS) : chaque usine respecte à peu près les seuils réglementaires d’émissions. Mais administrés et ouvriers respirent bel et bien le cumul des pollutions émises par l’ensemble des usines de la zone. Or, pour ce cumul, il n’y a pas de norme établie. Si bien qu’il a été récemment envisagé d’implanter deux centrales à charbon sur la zone de Fos : du moment que ces dernières respectaient les seuils, la préfecture n’y voyait pas d’objection particulière... Quand bien même existerait-il des normes pour ces cumuls, celles-ci ne seraient d’ailleurs pas forcément en mesure de protéger la population. Car « lorsqu’une limite est fixée, cela ne se fait pas sur des critères sanitaires, mais sur la capacité des industriels à parvenir habituellement à cette valeur là, explique Philippe Chamaret. C’est ce qu’on appelle la règle des "meilleures techniques disponibles" : on va seulement interdire à l’industriel d’émettre plus qu’une quantité "normale" de polluants en fonction de sa production et des techniques disponibles. »
L’État manque t-il de bonne volonté pour faire toute la lumière sur les retombées sanitaires des pollutions ? Certaines observations le laissent penser. Il n’existe pas, par exemple, de registre du cancer dans les Bouches-du-Rhône. Une telle structure existe en revanche dans le Limousin, département pourtant nettement moins industrialisé.
« J’ai promis à cette dame que tout l’argent serait utilisé dans la recherche »
Des citoyens se sont donc organisés pour produire eux-mêmes l’information qu’ils réclament. C’est le cas de Daniel Moutet, à travers l’association qu’il préside. « En 2008, nous avons reçu un don de 53 000 euros, en provenance d’une dame qui avait créé l’association "Terry le petit ange", du nom de son fils atteint d’un cancer, qui est décédé à l’âge de trois ans. J’ai promis à cette dame que tout l’argent serait utilisé dans la recherche, et c’est ce que j’ai fait : en ajoutant les intérêts, nous avons dépensé pour 56 192 euros de recherches ». Les analyses, réalisées chaque année, ont révélé des taux anormalement élevés de certains polluants, notamment de dioxines, dans de la viande, des moules et des œufs produits locale-ment.
Financé par des collectivités locales [3], l’institut écocitoyen, lui, s’efforce de mener des études au long cours, indépendantes de l’agenda politique, et de répondre aux interrogations de la population. « La première question qui nous a été posée est venue de deux plaisanciers du golfe de Fos, se souvient Philippe Chamaret. Ils ont poussé la porte de l’institut en nous demandant de prouver que le golfe de Fos était pourri ! Ils se sont adressés comme ça à des scientifiques, qui, évidemment, ont ouvert de grands yeux... Mais ça a abouti à une étude globale, parce qu’on s’est aperçu qu’effectivement, on ne pouvait pas répondre avec les données existantes. »
Les résultats de toutes ces études sont toujours examinés avec attention par la population, bien que les réactions ne soient pas unanimes. « Aux yeux de certains, je suis un emmerdeur, regrette Daniel Moutet. Tout le monde, ici, a au moins une personne de sa famille qui travaille dans ces industries. En plus, on a énormément d’avantages, à Fos : nos enfants peuvent faire du sport gratuitement, les places de cinéma coûtent trois fois moins cher qu’ailleurs, nos anciens ont régulièrement des sorties en cars totalement gratuites... Tout ça, c’est grâce à ces usines, je le sais. Moi, je ne veux pas qu’elles ferment, au contraire, je veux qu’elles tournent ! Ce que nous demandons, c’est de la transparence, et que ces industriels fassent ce qu’il est possible de faire pour limiter leur pollution et préserver au maximum la santé des riverains et des ouvriers. »
Nicolas Bérard / L’âge de faire
Cet article est tiré du numéro d’avril 2018 du magazine L’âge de faire, partenaire de Basta!. Son dossier est consacré aux effets polluants des usines sur leurs riverains. Pour en savoir plus, rendez-vous ici.
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