Services publics

« Chaque jour est pire » : en Bretagne, les urgences n’accueillent plus les patients dignement

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par Chloé Richard

Faute de moyens, le personnel hospitalier souffre dans tout le pays et les services d’urgence peinent à répondre aux besoins de soins. Reportage en Bretagne, où la crise des hôpitaux devrait empirer avec l’accroissement de la population.

Le nonagénaire est resté plus de 24 heures sur un brancard. « J’ai enregistré un patient de 92 ans à 18 h pour gêne respiratoire, il avait besoin d’oxygène. Le lendemain soir quand je suis revenu, il était toujours là, allongé sur son brancard dans le couloir, déplore Pierre* [1], urgentiste au centre hospitalier de Quimper (Finistère). À cet âge-là, si le patient est malnutri, passer plusieurs heures sur un brancard peut vite engendrer des escarres », ajoute l’urgentiste.

Faute de lits disponibles au sein de l’hôpital, mi-décembre, « les personnels de nuit ont été forcés d’installer des patients dans une réserve », confie Pauline*, infirmière travaillant également aux urgences de Quimper. Une pièce inadaptée à l’accueil des patients « puisque celle-ci ne contient ni aspirateurs [machines qui servent à aspirer les sécrétions buccales et nasales pour les personnes encombrées] ni oxygène ». Des patients ont aussi été rassemblés dans une « réserve » de l’hôpital de la Cavale-Blanche, à Brest (Finistère). « Il peut y avoir jusqu’à 40 patients et seulement un infirmier et un aide-soignant pour les surveiller, souffle Marie*, urgentiste. On manque de 15 équivalents temps plein ». Dans ce service des urgences, le personnel a fait grève près de deux mois en novembre et décembre.

Les médecins partent

Avec l’arrivée de l’hiver et des pathologies virales, les hôpitaux font face à un afflux de patients couplé à un manque de moyens humains et matériels. « Les indicateurs des infections respiratoires aiguës [grippe, bronchiolite et Covid-19] étaient en hausse en médecine de ville et à l’hôpital tous âges confondus », pointe Santé publique France début janvier. (...) « La détection du SARS-CoV-2 dans les eaux usées restait à un niveau élevé », signe d’une circulation encore importante du virus et de ses variants. Conséquence : « Ça déborde à tous les niveaux, que ce soit sur les prises en charge des patients qui sont complexes, longues et nécessitent des hospitalisations ou bien le manque de lits dans les services. Il y a des patients qui font toute leur hospitalisation aux urgences », regrette Pauline.

Ces conditions de travail poussent des médecins à partir. À l’hôpital de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), cinq praticiens urgentistes ont quitté leur poste fin 2023. À Pontivy (Morbihan), le chef de service a annoncé sa démission mi-octobre. « On est sous tension depuis plusieurs semaines, on sent qu’on passe un cap », indique Christian Brice, médecin urgentiste à Saint-Brieuc et délégué régional pour l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf). L’activité s’intensifie alors même que les urgences voisines de Lannion et Guingamp ferment plusieurs nuits par semaine.

« Le cœur du problème, c’est le manque de lits dans les hôpitaux », ajoute le médecin. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), entre 2003 et 2021 le nombre de lits d’hospitalisation (toutes formes d’hospitalisation confondues) est passé de 468 000 à 383 000. Les lits pour les séjours dits « longs » ont surtout pâti de cette baisse en passant de 80 000 lits en 2003 à 30 000 en 2021.

90 patients pour trois urgentistes

« On a, d’une part, voulu réduire la voilure hospitalière, car on estimait que l’hôpital coûtait trop cher. Le mot d’ordre, c’était le virage ambulatoire afin de faire diminuer la durée moyenne de séjour », explique Frédéric Pierru, sociologue au CNRS spécialiste des politiques de santé. D’autre part, la mise en place d’un numerus clausus jusqu’en 2019, limitant le nombre d’étudiants en médecine, entraîne un déficit de médecins. « Il n’existe pas non plus de régulation quant à l’installation de médecins sur le territoire. Résultat, aujourd’hui, il n’y a plus assez de professionnels pour suivre les patients une fois qu’ils sortent de l’hôpital », ajoute le sociologue.

Les patients se retrouvent alors aux urgences. « Depuis le début de ma carrière dans les années 2000, on est passé de 32 000 passages aux urgences à Saint-Brieuc à 62 000 aujourd’hui », note le médecin Christian Brice. À l’hôpital de Noyal-Pontivy (Morbihan), dans le centre Bretagne, la désertification médicale entraîne également des bouchons aux urgences.

Le service des urgences voit passer tous les jours entre 80 à 90 patients pour trois médecins urgentistes titulaires. « C’est une hausse d’activité de 30-40% en 15 ans. Un bon tiers de la population ici ne voit pas son généraliste dans l’année, déplore le docteur Ambroise Le Floc’h, urgentiste au centre hospitalier de Pontivy. C’est compliqué quand on travaille de se dire que chaque jour est pire que le précédent », souffle-t-il.

Avec plus d’habitants, nouvelle crise annoncée

« J’ai des patients qui restent plusieurs mois dans le service faute de place en Ehpad ou en service de soins de suite et de réadaptation , souligne de son côté Camille*, pneumologue à l’hôpital de Quimper. Avec l’arrivée des virus, on est vite engorgé dans le service . » Mais l’hiver n’est pas la seule période de l’année où les urgences se trouvent particulièrement saturées. Avec l’été, l’afflux des touristes, et les congés côté personnel médical, les urgences bretonnes se retrouvent à nouveau en difficulté.

« En juillet et en août, avec la hausse de la population sur le littoral, on a été sous l’eau pendant un certain temps », confie Christian Brice. D’ici 2040, la Bretagne, qui compte déjà quelque 3,3 millions d’habitants, devrait accueillir 400 000 nouveaux résidents. Entre cette hausse de la population et son vieillissement, « c’est évident qu’il va y avoir davantage de problèmes », commente Frédéric Pierru. « Tout afflux de population dans un système qui est déjà au bord de la surcharge avec des moyens déjà au taquet, cela provoque forcément des crises ». Démographes, médecins, sociologues, « cela fait 20 ans qu’on alerte sur la crise des hôpitaux. On va arriver à la catastrophe », ajoute Frédéric Pierru. À moins, qu’enfin, les autorités prennent la mesure de la situation.

Chloé Richard

Photo : © Anne Paq

Notes

[1Le prénom a été changé.