Pendant très longtemps, les femmes n’ont rien dit des violences que certains hommes leur infligent. Mais nous devons en finir avec ce silence. Si des gens nous ont violentées, harcelées ou violées, il faut que nous le disions. Il faut dire ce qui s’est passé, parler autour de soi, se défendre. Il est trop facile de parler de délation. Nous demandons simplement que l’on arrête de porter préjudice à notre intégrité. Nous demandons à être reconnues comme des sujets et non comme des objets. Nous ne sommes pas des victimes, mais la moitié de l’humanité, et nous souhaitons que les hommes nous laissent parler. Il faut voir la façon dont notre parole est confisquée à nous, les femmes, et pas seulement en ce qui concerne la dénonciation des violences.
Quand les femmes prennent la parole, cela ne convient jamais
Même quand nous occupons des postes élevés dans les entreprises ou en politique, les hommes s’autorisent à nous couper la parole, ou à finir nos phrases. Ils bavardent entre eux quand nous sommes en train de parler, comme si ce que nous avons à dire n’était pas digne d’intérêt. Nous subissons cela quotidiennement au Sénat. La politique est un monde cruel, créé par des hommes et pour les hommes. Et c’est un monde de parole. Nous n’avons pas été élevées de la même façon que les hommes et nous ne partageons pas toutes l’art oratoire. Nous parlons autrement. Et, souvent, cela ne passe pas bien : nous ne parlons pas assez fort, pas assez distinctement, pas assez bien. Cela ne convient jamais.
Les hommes de leur côté parlent avec beaucoup d’assurance, même quand ils n’ont rien à dire, contrairement à nous. Nous, si on n’a rien à dire, on se tait. Eux, savent que s’ils ne prennent pas la parole, ils n’existent pas. C’est un automatisme pour eux, de parler, quitte à dire des bêtises à la pelle. C’est pourquoi prendre la parole est un acte éminemment politique pour les femmes. Cela signifie se positionner, revendiquer, se mettre égalité avec les hommes. Il ne s’agit pas de confisquer la parole mais de dire, tout simplement, ce que nous pensons et ce que nous faisons.
Les femmes doivent apprendre à se soutenir entre elles
Quand les femmes seront vues comme des sujets, comme des personnes fortes, elles seront considérées par les hommes comme leurs égales. On n’attaque pas son égal.e, on attaque celui ou celle qui est plus faible que soit. C’est la règle du monde. Nous nous battons pour sortir de ce destin, c’est un travail de longue durée. Et les hommes n’ont pas à être agressifs quand les femmes veulent prendre la place qui leur revient, nous ne sommes pas dans une lutte contre eux. Bien sûr, certains d’entre eux ne sont pas d’accord… Et bien, la lutte continue.
Ma crainte, concernant les suites de #Metoo, c’est que l’on reste sur une starisation et que les autres femmes, celles qui sont les moins favorisées socialement, continuent de se taire. Le mouvement #Metoo a été lancée par une femme noire. Qui le sait ? Personne n’en a parlé. C’est quand les actrice d’Hollywood se sont emparées du concept que l’on a commencé à en parler.
Aujourd’hui, l’émancipation des femmes concerne surtout les milieux favorisés, c’est un problème. Et c’est notamment parce que c’est dans les milieux favorisés que l’on maîtrise la parole, et qu’on ose davantage parler. À nous, femmes plus éduquées, d’aller vers les autres pour les aider à sortir de leur mutisme et de leur résignation. Il faut qu’on arrive à créer de la sororité, cette solidarité entre femmes, entre sœurs. C’est le b.a-ba de notre émancipation. Les hommes n’hésitent pas, eux, à se soutenir entre eux, à se promouvoir à des postes importants, à se recruter mutuellement. Nous devons apprendre à faire de même.
Esther Benbassa
Photo : Marche des femmes à Philadelphie (États-Unis) en janvier 2018 / CC
Rob Kall
À lire : Violences sexistes et sexuelles en politique, sous la direction de Esther Benbassa. CNRS éditions. 5 euros.