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C’est l’une des plus importantes campagnes de désobéissance civile jamais planifiées aux États-Unis pour une cause écologique. Du 20 août au 3 septembre, des milliers de personnes ont participé à des sit-in quotidiens devant la Maison-Blanche. Interdits, ces rassemblements ont abouti à l’arrestation de 1 252 personnes, dont des personnalités comme l’actrice Daryl Hannah ! Des dizaines d’autres actions ont animé les rues un peu partout aux États-Unis et au Canada, à l’initiative de Tar Sands Action, un réseau d’organisations luttant contre les sables bitumineux.
Cette protestation visait Washington et la Maison-Blanche. Objectif : que Barack Obama rejette la construction d’un pipeline, Keystone XL, acheminant le pétrole produit à partir de sables bitumineux de l’Alberta vers des raffineries du Texas. Long de 2 735 kilomètres, ce pipeline doit traverser du nord au sud les États du Montana, du Dakota-du-Sud, du Nebraska, du Kansas et de l’Oklahoma. Coûtant 7 milliards de dollars et porté par la major de l’énergie nord-américaine TransCanada, il pourrait acheminer 700 000 à 800 000 barils de pétrole non raffiné par jour.
« Une insulte faite aux communautés indigènes »
Les opposants pointent les risques de fuite sur le parcours. Par exemple, la nappe aquifère de l’Ogallala, la principale source en eau potable des Grandes Plaines, ou les grandes dunes de sable du Nebraska pourraient être directement contaminées. Un autre pipeline, plus petit, Keystone 1, détenu par la même compagnie, a enregistré douze fuites pour sa première année d’opération, selon les Amis de la Terre. La dernière en date est intervenue le 6 mai 2011 dans le Dakota-du-Nord, avec 80 000 litres d’hydrocarbures répandus dans la nature. En 2010, c’est un autre pipeline canadien qui a déversé 3,2 millions de litres dans une rivière du Michigan…
Les critiques du pipeline ne s’arrêtent pas là. « Nous ne voulons pas de ce pétrole sale », scandaient les manifestants venus des quatre coins des États-Unis et du Canada. « Le pétrole issu des sables bitumineux est un véritable scandale, une insulte faite aux communautés indigènes qui en supportent les conséquences », selon Naomi Klein, journaliste canadienne, auteure de No Logo et de la Stratégie du choc. « Ce n’est pas un pétrole éthique, comme ils disent, poursuit-elle, c’est une honte, une honte pour le Canada. »
Déforestations, cancers et marées noires
Pour accéder aux sables bitumineux dont est issu le pétrole destiné au pipeline Keystone XL, les entreprises pétrolières rasent la forêt boréale de l’Alberta et enlèvent le terreau de surface. Puis elles creusent sur 50 mètres de profondeur et extraient les sables à partir de mines à ciel ouvert à l’aide de camions de 365 tonnes et de grues aux pelletées de 100 tonnes. Les sables sont ensuite mélangés à de l’eau chaude et de la vapeur pour en séparer le bitume [1]. Bien trop visqueux, celui-ci n’est pas commercialisable en l’état. Il est alors converti en syncrude – un pétrole brut de synthèse – au prix de trois étapes de cokéfaction, hydrocraquage et hydrotraitement, nécessitant une grande quantité d’énergie et d’eau.
Chaque étape de la production implique des conséquences environnementales et sanitaires. La coupe de la forêt boréale réduit considérablement la faune et la flore présentes dans l’écosystème et dont vivaient les populations autochtones. Quatre à cinq barils d’eau étant nécessaires pour produire un baril de pétrole, les prélèvements en eau douce sont démesurés. Plus de 130 km2 de bassins de décantation ont dû être construits, générant par manque d’étanchéité des risques de contamination des nappes phréatiques. Causant l’équivalent d’une marée noire par an, le rejet massif de boues chargées de bitume et de polluants, comme le mercure, souillent les rivières, les sols et les ressources issues de la pêche et de la chasse. Ainsi, Fort Chipewyan, situé 230 kilomètres en aval sur la rivière Athabasca, connaît des taux de cancer 30 % supérieurs à ceux de la province.
Des émissions de CO2 démesurées
À ce jour, l’énergie nécessaire à la transformation du bitume en pétrole liquide est issue de la combustion de gaz [2]. Il faut un demi-baril de gaz pour la production d’un baril de pétrole... Il en résulte une émission de gaz à effets de serre plus importante que pour la production de pétrole conventionnel. Les estimations varient, selon qu’elles prennent en compte la phase de production et de l’acheminement. L’Agence de protection de l’environnement des États-Unis a récemment calculé des émissions 82 % plus importantes (source que pour le pétrole conventionnel. Certaines évaluations vont jusqu’à trois fois plus.
Au point que les émissions globales de C02 du Canada ont complètement dérapé : alors que le protocole de Kyoto l’enjoignait de réduire ses émissions de 5,6 % par rapport à 1990, celles-ci ont déjà augmenté de 26 % en 2007, pour moitié en raison des émissions de l’industrie pétrolière des sables bitumineux. Et le Canada prévoit de doubler sa production d’ici à 2020, les émissions pourraient tripler d’ici à 2020 par rapport à 2005 ! Près de 3 000 km² de forêts boréales disparaîtront au passage, relâchant quantité de carbone dans l’atmosphère [3]. Loin de s’alarmer, l’Alberta a débloqué deux milliards de dollars d’argent public pour développer conjointement avec les industriels la capture et le stockage de CO2, technique non maîtrisée et qui ne fait que déplacer le problème.
Un bouleversement pétrolier mondial
Le Canada est potentiellement assis sur plus de 170 milliards de barils récupérables qui s’étendent sur une superficie équivalent au quart de la France. Soit la deuxième réserve mondiale après l’Arabie Saoudite. Septième producteur mondial avec 1,5 million de barils de pétrole issus des sables bitumineux par jour, le Canada devrait en produire 3 millions en 2020. Il est donc perçu par les États-Unis comme un fournisseur de pétrole stratégique, stable et amical, lui permettant de sécuriser ses approvisionnements et d’assurer son « indépendance énergétique ». En 2010, le pétrole issu des sables bitumineux de l’Alberta est devenu la première source d’approvisionnement des États-Unis. Et pourrait représenter plus d’un tiers de la consommation américaine en 2030.
La construction du pipeline Keystone XL permet un approvisionnement direct de quelques-unes des principales raffineries du pays. Mais pas seulement. En raison de la crise économique et de la production de pétrole de schiste au Texas et au Dakota-du-Nord, les besoins d’importer du pétrole sont moindres. Avec un marché américain quelque peu engorgé, le prix du baril ne cesse de baisser. En revanche, les besoins de produits raffinés (comme le gasoil) en Amérique latine et en Europe expliqueraient aussi ce projet de pipeline. TransCanada a d’ailleurs signé des contrats d’approvisionnement avec plusieurs compagnies pétrolières, dont Valero, Motiva ou Total, qui possèdent des raffineries à Port Arthur (Texas) et qui prévoient d’alimenter le marché mondial, notamment en gasoil.
Pour devenir une véritable « puissance pétrolière », le Canada cherche à tout prix à exporter du pétrole dans d’autres régions du monde. En témoignent les importantes pressions exercées conjointement par le gouvernement et les entreprises pétrolières, et dénoncées par les Amis de la Terre, pour empêcher l’Union européenne de prendre des mesures pouvant restreindre l’importation de pétrole issu des sables bitumineux. Pour Naomi Klein, le gouvernement canadien « travaille comme une entreprise publicitaire, voyageant autour du monde pour vendre leur poison en demandant à ce que les pays réduisent leurs exigences et réglementations environnementales ».
Pressions sur Obama
Que le pipeline Keystone XL soit finalement destiné à exporter des produits raffinés hors des États-Unis est un argument important pour ceux qui s’y opposent. Fin août, le projet a obtenu le feu vert de la part du département d’État, qui le considère « d’intérêt national ». Impliquant le franchissement d’une frontière, il nécessite une autorisation présidentielle. Le président Obama dispose de 90 jours pour confirmer ou non cet « intérêt national », qui semble amoindri par les velléités exportatrices.
S’en remettre à Obama peut étonner. Ce serait oublier qu’il s’était engagé lors de sa campagne en 2008 à sortir les États-Unis du chemin des énergies sales. « Un engagement qui lui a aussi permis d’obtenir le prix Nobel », rappelle Naomi Klein. D’ailleurs, neuf prix Nobel, parmi lesquels le dalaï-lama (1989), Alfredo Pérez Esquivel (1980), Rigoberta Menchu (1992) et Shirin Ebadi (2003), ont exhorté Barack Obama à rejeter ce projet et à tenir « sa promesse de créer une économie faite d’énergie propre ».
Alors que nos sociétés sont confrontées à des choix énergétiques décisifs pour l’avenir, ces vastes actions de désobéissance civile sont aussi une manière pour les écologistes américains d’intervenir dans la précampagne présidentielle. Enfin, pour les opposants canadiens comme Naomi Klein, convaincus qu’il n’y a rien à attendre de leur gouvernement conservateur nouvellement et triomphalement réélu, il s’agit d’une « stratégie pour étrangler les sables bitumineux de l’extérieur ». Une stratégie à développer en Europe pour stopper la production de ce pétrole sale ?
Maxime Combes, Écho des Alternatives