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Des gaz lacrymogène, le ronronnement d’un hélicoptère, et des dizaines de gendarmes au milieu de la lande. C’est à un débarquement du 6 juin un peu spécial que les résistants de la Zone à Défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes ont assisté ce matin. La veille, ils étaient venus s’installer pour la nuit sur la parcelle visée par les premiers forages, préalables à la construction du second aéroport de Nantes, en plein campagne. Des barricades ont été dressées aux entrées du champ, où paissent plusieurs dizaines de vaches. Des militants sont grimpés sur des « tripodes », des structures de bois qui permettent de s’installer à quelques mètres du sol, et ainsi, de contraindre la police à décrocher les militants un par un et à l’aide de monte-charge (sans quoi les policiers peuvent faire chuter les militants de toute la hauteur, et les blesser).
Bientôt deux aéroports à Nantes !
La Zone à Défendre, située aux confins des communes de Notre-Dame-des-Landes, Vigneux-de-Bretagne, Treillières et Grandchamp-des-Fontaines, au nord de Nantes, est aussi appelée – par les bétonneurs, cette fois – Zone d’aménagement différé. Quelques 1.650 hectares de terres agricoles et « d’expansion économique », et quelques hameaux, condamnés à la destruction pour faire place à un aéroport... Un projet aberrant : il existe déjà un aéroport près de Nantes, largement sous-utilisé. Et plus fondamentalement, par ces temps de réchauffement climatique et de raréfaction des hydrocarbures, il est déraisonnable de continuer à développer le transport aérien, au détriment d’autres formes de transport, d’une relocalisation de l’économie et de la préservation de terres agricoles de plus en plus précieuses.
Différé, le projet d’aménagement l’est quelque peu. Cela fait plus de 40 ans que le projet a été décidé, dans un contexte climatique tout autre, et la résistance populaire intense qui s’est formée au fil des années promet de retarder encore de nombreuses années la construction de l’aéroport. Pourtant, pour des raisons encore obscures, décideurs politiques de droite et de gauche, et bétonneurs de tout poil, continuent de vouloir imposer l’aéroport contre la volonté des populations locales. Celles-ci sont mobilisées au sein de l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par l’aéroport Notre-Dame-des-Landes (ACIPA) et du Collectif de lutte contre l’aéroport Notre-Dame-des-Landes.
Une mobilisation forte
Cette lutte n’a jamais manqué de créativité, surtout ces dernières années : outre les habituelles manifestations et pétitions, on a multiplié les pique-niques désobéissants, les occupations de fermes et de maisons abandonnées, le blocage des bulldozers, le rachat de terres, les « entartages », les jeûnes, le blocage de l’aéroport de Nantes, les « actions clowns » sur Nantes, etc. À l’été 2009, un camp action climat s’est même installé sur les terres concernées et a attiré plus de 2.000 personnes.
À l’aube du 6 juin, un premier hélicoptère sonne le déclenchement des hostilités. Il survole le camp des résistants pour évaluer les forces militantes en présence. Les gendarmes en ont déjà eu un premier aperçu : les premières escarmouches ont commencé sur la route qui mène à la ZAD. Divers obstacles ont été placés pour ralentir leur progression. Des arbres couchés en travers de la route, des barricades diverses, parfois avec des pneus en feu, et des militants allongés sur la route qu’il faut interpeller pour faire passer les foreuses. Les gendarmes mobiles finissent par arriver sur le champ. Équipés lourdement comme pour un siège, parfois habillés en tenue militaire, ils sont venus en force : 27 camions et cars, pas moins !
La lande en état de siège
Une pelleteuse se charge de dégager les barricades, tandis que les gendarmes dispersent vaches et opposants à grand renfort de gaz lacrymogène. Des barrages sont même déployés sur certains axes routiers pour empêcher les militants alentours de venir en renfort. Scène surréaliste, quand les fumées toxiques recouvrent la lande d’un épais manteau de nuage au milieu desquelles des Robocops futuristes interpellent brutalement des paysans, des jeunes anarchistes et autres militants écolos. Même Jeanne d’Arc est là, fièrement montée sur son destrier, et qui tente de bouter les agresseurs hors du champ. Elle harcèle les gendarmes, que leurs lourds équipements ralentissent, et freine la progression des véhicules des gendarmes. Un militant est blessé, accidentellement semble-t-il, et évacué.
Les résistants sont bientôt chassés du champ où les foreuses commencent leur ouvrage. Mais quelques-uns d’entre eux repartent dans la bataille de plus belle. Nouveaux jets de lacrymogènes, on court, on pleure, on crache le gaz et l’amertume. Mais il y a tellement de gaz que les foreurs eux-mêmes sont gênés, et contraints d’interrompre leur travail pour aller respirer ailleurs. Un résistant profite de la confusion pour se hisser sur la pelleteuse qui s’est attaquée aux restes du campement de la nuit, mais il est bientôt attrapé par les gendarmes qui l’entraînent au loin. C’est seulement à l’heure du déjeuner que les choses se stabilisent et que le forage peut commencer véritablement, la résistance ayant été enfin contenue, quoique nullement vaincue.
Le « harcèlement populaire » se poursuivra jusqu’à la fin des travaux, vers 18h, ponctuée par le départ des foreuses, sous bonne escorte. Pas question de laisser les engins sur place, les opposants n’en feraient qu’une bouchée... 5 personnes ont été interpellées, l’une est retenue en garde à vue quelques heures. Pour l’heure, il semble que les quatre trous prévus ont été creusés par la foreuse. Les résistants peuvent reprendre des forces, et se préparer pour la bataille décisive, prévue lors de l’installation du « camp de la résistance », sur la Zone à Défendre, le 8 juillet.
Xavier Renou