Catastrophe climatique : une région entière dévastée par des inondations meurtrières au Brésil

par Guy Pichard

Glissements de terrain, ruptures de barrages, inondations... D’énormes pluies ont submergé le sud du Brésil ces dernières semaines, faisant au moins 162 morts et 500 000 personnes sans domicile. Face au désastre, les habitants sont en colère.

« À quelques maisons de chez moi, des magasins ont été détruits à cause de l’inondation. Le quartier a compté cinq morts. » Installée depuis deux ans à Porto Alegre, Clara ne pensait pas vivre une telle expérience en venant étudier dans la capitale de l’État brésilien du Rio Grande do Sul. « Je me sens presque coupable rien que de dire que je souffre, parce que des gens sont dans des situations bien pires et cela fait vraiment mal », continue la jeune femme jointe par Basta! en visio, et qui a pu retrouver son appartement deux semaines après le début des intempéries.

Dès le 30 avril, des trombes d’eau tombées en continu ont fait déborder les cours d’eau de l’État le plus au sud du Brésil et le lac Guaíba, qui borde la métropole de Porto Alegre et ses 1,5 million d’habitants. Selon le dernier bulletin de la protection civile de l’État du Rio Grande do Sul, datant du 19 mai, les inondations ont fait pour l’instant 162 morts. Au moins 806 personnes ont été blessées et 89 autres sont portées disparues.

Une rue inondée, une voiture flotte.
Une rue de Porto Alegre, le 13 mai 2024.

Plus d’un demi-million de Gaúchos (le nom des résidents de l’État) sont sans domicile. Les estimations tablent sur plus de 2,3 millions de personnes affectées par la catastrophe. Plus de 75 000 personnes dorment aujourd’hui dans des centres d’hébergement ! « Ces refuges sont gérés par le gouvernement, des églises ou la société civile, explique depuis chez lui Benito Schmidt, historien et professeur à l’Université fédérale du Rio Grande do Sul, à Porto Alegre. Certaines installations sportives de mon université sont actuellement occupées par 600 réfugiés environ, qui ont tout perdu. J’y suis moi-même volontaire quelques jours par semaine pour aider à servir de la nourriture. C’est très difficile. De nouveaux centres d’hébergement ont par exemple été créés pour les femmes et les enfants, car il y a eu des cas de violences sexuelles dans des structures initialement mixtes. »

Le ministre des Finances Fernando Haddad a annoncé quelques jours après le début de la catastrophe une aide de 5100 reais, soit 911 euros, aux familles touchées ou encore la création d’un ministère extraordinaire en charge de la reconstruction. Mais sur le terrain, ce n’est pas assez. « Nous cuisinons et servons des plats pour les victimes des inondations dans la ville et les communes autour, notamment la campagne qui est encore plus isolée, détaille Luiza Dubois, qui travaille au Movimento dos Atingidos por Barragens – le Mouvement des personnes atteintes par les barrages (MAB) (une organisation politique brésilienne créée à la fin des années 1970 à l’origine pour les personnes touchées par les conséquence environnementales des grands barrages hydroélectriques). Cela a représenté des repas pour plus de 5000 personnes ces derniers jours, car les aides venant des pouvoirs publics ne suffisent pas. »

D’autres centres d’hébergement gérés par les pouvoirs publics fonctionnent bien, comme celui de Karen, 57 ans. « Notre refuge d’urgence offre 40 lits pour accueillir les personnes âgées alitées qui se trouvaient dans d’autres centres d’accueil, explique sur Whatsapp cette consultante dans le milieu médical. Ce refuge d’urgence est doté d’une équipe composée de professionnels de santé et de bénévoles et a vocation à être utilisé six mois comme espace de transition. »

Le spectre des maladies

Entre élans de solidarités et aides publiques ou associatives, la situation s’est améliorée pour une partie des personnes touchées par les inondations, qui récupèrent l’eau potable et l’électricité progressivement. La tâche s’annonce toutefois colossale devant l’ampleur des dégâts. Ainsi, l’aéroport international de Porto Alegre sera fermé pendant cinq mois, jusqu’à septembre. Le réseau routier est très endommagé. « Cette catastrophe va affecter le marché de l’alimentation. Le gouvernement du président Lula a déjà fait importer du riz par exemple, car l’État de Rio Grande do Sul en produit beaucoup en temps normal », continue Luiza Dubois.

Une pancarte de rue dépasse d'une rue inondée, des bateaux dans le fond sous une route surélevée.
Dans la ville de São Leopoldo, au nord du lac Guaíba, le 7 mai 2024.

Premier État rizicole du Brésil, avec 6,9 millions de tonnes produites l’an dernier, le Rio Grande do Sul cultive aussi beaucoup de soja. C’est également une région d’élevage de bétail et de volaille. Des milliers d’animaux sont a priori morts dans les inondations. Les dégâts sont estimés à plusieurs milliards de pertes dans le secteur agricole, selon le gouvernement brésilien. Face à ce désastre, à qui la faute ?

« Il y a des causes urbaines et rurales, estime le professeur à l’Université fédérale Benito Schmidt. À la campagne, les causes sont à trouver du côté de la monoculture et notamment de la culture intensive du soja qui a profondément modifié le paysage. En ville, la spéculation immobilière a été spectaculaire ces dernières années et la mata atlântica (forêt tropicale typique du littoral brésilien, présente aussi en ville) a disparu à de nombreux endroits. Dans mon quartier, depuis dix ans, cette végétation a été remplacée par de grandes tours d’immeubles et le sol a été bétonné. Il n’absorbe plus l’eau comme avant. »

Responsabilité des pouvoirs publics

Après les sentiments de peur et de dévastation ressentis par les habitants de la région, la colère semble prendre. Elle se dirige contre le pouvoir politique local. « Eduardo Leite [du parti PSDB, le Parti de la social-démocratie brésilienne, ndlr], le gouverneur de l’État, a bouleversé la législation environnementale ces dernières années », accuse Benito Schmidt. Issu de la droite libérale et proche des milieux agro-industriels, Eduardo Leite n’est pas le seul visé par les griefs des victimes climatiques. Le maire de la capitale du Rio Grande do Sul est lui aussi dans la tourmente. D’autant que le calendrier électoral brésilien prévoit des élections municipales en octobre prochain...

Des dizaines de personnes au crépuscule dans une rue inondée autour d'un bateau.
À São Leopoldo, le 5 mai 2024.

Que les responsabilités soient municipales, fédérales ou nationales, un manque criant d’investissements dans les infrastructures publiques semble avoir aggravé la situation. Les retenues d’eau du lac Guaíba ont par exemple été dépassées voire ont cédé (selon le MAB) et font craindre l’apparition de maladies, notamment à cause des stations d’épuration de la ville qui ont été endommagées ou à l’afflux trop important de déchets. Deux morts (pour environ 300 cas) ont aussi été signalés suite à la leptospirose, probablement due à une exposition à l’urine de rats ou à de l’eau contaminée...

Traitement médiatique tardif

L’image a fait le tour du monde. Caramelo, le cheval pris au piège de la montée des eaux réfugié sur un toit de maison, a été sauvé par une équipe de sauveteurs et a fait figure de symbole de la catastrophe. Aussi romantique que tragique, cette scène a pris beaucoup d’importance dans le traitement médiatique des inondations. Mais plus généralement, l’information a plutôt fait défaut.

Des dizaines de personnes sur des matelas au sol dans une grande salle.
Un centre d’hébergement dans la ville de São Leopoldo, le 4 mai 2024.

« Au Brésil, les grands médias et en particulier la télévision ont commencé à parler de la catastrophe ici après le concert de Madonna à Rio de Janeiro (le 4 mai, ndlr), regrette Luiza Dubois, du MAB. Le rapport des inondations à la question climatique est complètement occulté ici par les médias. Ces inondations devraient pourtant avertir le gouvernement et même le reste du monde sur ce qui va se passer avec le réchauffement climatique. Mais pour l’instant, il n’en est rien. »

Une information fait toutefois polémique au Brésil. L’État du Rio Grande do Sul songerait à collaborer avec le cabinet de conseil états-unien Alvarez & Marsal pour la reconstruction de la région. Le partenariat interroge l’universitaire Benito Schmidt. « Le réseau des universités de l’État a également proposé un projet de reconstruction... gratuit. De plus, nous sommes multidisciplinaires avec la sociologie, l’urbanisme, les sciences, etc. »

En attendant, sur place, les autorités et les bénévoles continuent d’aider et de secourir, en gardant espoir. « Ce qui m’a le plus impressionnée, c’est l’initiative, la capacité organisationnelle et la solidarité de la société civile. C’est quelque chose qui est apparu presque instantanément », constate Karen, après sa longue journée de bénévolat dans l’un des centres d’hébergement de Porto Alegre. En France, une caisse de solidarité est en ligne pour soutenir les organisations de la société civile mobilisées pour venir en aide aux populations.

Guy Pichard

Photo de Une : À São Leopoldo, ville du Rio Grande do Sul touchée par les inondations, le 4 mai 2024/CC BY-NC 2.0 Mídia NINJA via flickr.