Climat

Canicules et incendies : l’Europe du Sud se réveille face au changement climatique

Climat

par Rachel Knaebel

L’Europe du Sud a encore connu des chaleurs extrêmes, des incendies massifs, puis des pluies torrentielles. Face aux effets du dérèglement climatique, des gouvernements s’engagent pour que leur pays demeure vivable, d’autres restent dans le déni.

Une nouvelle vague de chaleur écrasante a frappé la France début septembre, pendant que la Grèce faisait face à des pluies torrentielles. Tout l’été, l’Europe du Sud a connu des vagues de chaleur exceptionnelle. Et des dizaines de milliers d’hectares de forêts ont brûlé dans l’espace méditerranéen, des Canaries à la Sicile, de la Grèce au Portugal, faisant à certains endroits plusieurs dizaines de morts.

« Le 22 juillet dernier, le système européen d’information sur les feux de forêt indiquait que plus de 182 569 hectares (l’équivalent des deux tiers de la surface du Luxembourg, ndlr) avaient déjà été réduits en cendres dans l’Union européenne, soit plus de 40 % de plus que la moyenne enregistrée entre 2003 et 2022, alertait fin juillet le programme de veille européen Copernicus. Des pays comme la Grèce et l’Italie ont déjà été victimes d’incendies de grande ampleur qui constituent une menace importante non seulement pour l’environnement, mais aussi pour les établissements humains. » Et l’été n’était pas encore terminé. Les incendies ont repris mi-août, entre autres en Grèce, et y font fait plus de vingt victimes. Puis sont arrivées les pluies extrêmes début septembre, comme en Espagne.

Entre les canicules, les feux et les pluies torrentielles, le sud de l’Europe subit brutalement le dérèglement climatique. « Beaucoup de gens prennent aujourd’hui conscience de la réalité du changement climatique en Espagne, depuis l’année dernière déjà, où nous avions été touchés par de très importants feux de forêt et par de très fortes chaleurs qui ont provoqué de nombreux décès, témoigne Hector Tejero, biochimiste et activiste climatique espagnol, élu à l’Assemblée de Madrid pour le parti régional Más Madrid. La plupart des gens ont réalisé que le changement climatique n’est pas seulement un problème qui touche les gens loin de nous, que c’est quelque chose qui concerne directement l’Espagne. » Et toute l’Europe.

« Les gens voient que c’est un problème global »

« L’Europe se réchauffe deux fois plus que la moyenne mondiale depuis les années 1980 », rappelait encore en juin l’Organisation météorologique mondiale. Il y a déjà cinq ans, [un rapport de l’Union européenne (UE) alertait sur le grave risque de désertification dans le sud de l’Europe, au « Portugal, dans certaines parties de l’Espagne et du sud de l’Italie, dans le sud-est de la Grèce, à Malte, à Chypre et dans les zones bordant la mer Noire en Bulgarie et en Roumanie » [1].

En Espagne, les trois quarts du territoire sont exposés au risque de désertification, indiquait ce même rapport : « La situation est particulièrement préoccupante dans la région de Murcie, la communauté de Valence, et les îles Canaries, où le risque de désertification est "élevé" ou "très élevé" dans 90 % du territoire. »

En Espagne, une sécheresse politique

En Espagne, la sécheresse qui sévit depuis 2022 devient un enjeu politique majeur. « La sécheresse de 2022 a été un sujet central des élections régionales de mai, pointe Hector Tejero. Aujourd’hui, la situation est un peu meilleure, car nous avons eu des pluies au printemps, mais la sécheresse va sûrement revenir à la fin de l’année. Il existe aussi un conflit autour de l’eau au sujet d’un grand parc naturel d’Andalousie, Doñana. Des puits illégaux y ont été creusés surtout par l’agriculture intensive. Le gouvernement régional de droite a légalisé ces puits, ce qui a conduit à un conflit avec le gouvernement national. Le sujet a été discuté au moment des élections législatives de juin. »

L’Italie a, elle, été confrontée à deux fléaux : des feux ravageurs aux portes mêmes de Palerme, en Sicile, et une tempête destructrice qui s’abattait simultanément sur le nord du pays. Et cela quelques mois seulement après des inondations dramatiques en Émilie-Romagne qui ont tué 14 personnes en mai.

Une ONG italienne comptabilise plus de 1570 événements climatiques causant des dommages dans le pays entre 2010 et 2023. « 780 communes ont été touchées, et ces événements ont fait 279 victimes en tout », précise l’Observatoire italien des villes et du climat. « C’est un tous les trois jours. Ces événements sont sous nos yeux et sont toujours plus violents », souligne Chiara Campione, chargé de campagne à Greenpeace Italie.

L’avenir de l’agriculture dans la péninsule inquiète également. Le pays est actuellement l’un des plus grands producteurs de l’UE. Pour combien de temps ? « La grave sécheresse de l’année dernière a entraîné une baisse des rendements agricoles allant jusqu’à 45 %, tandis que les rendements du riz et du blé ont chuté de 30 % », signale la Banque centrale italienne. Le principal syndicat agricole italien, Coldiretti, alerte aussi sur la baisse déjà bien visible de la production : « En raison de la sécheresse, près de 8000 hectares de riz en moins seront cultivés en Italie cette année 2023, soit le niveau le plus bas depuis trente ans. »

« Il y a sans aucun doute en Italie plus de conscience aujourd’hui de la réalité du changement climatique. Surtout, les gens le vivent maintenant dans leur vie de tous les jours. Ce n’est plus un problème perçu comme étant lointain », constate Chiara Martinelli, directrice, italienne, du réseau européen Climate Action Network. Pourtant, dans ces pays parmi les plus plus touchés en Europe par le dérèglement climatique, aucun parti écologiste fort n’a vraiment émergé, au contraire de l’Allemagne, où les Verts sont au gouvernement fédéral, de la Belgique, de pays scandinaves ou même de la France.

Un paysage désertique
Dans la région espagnole de Murcie, menacée de désertification.

« J’aimerais que ces pays puissent avoir des mouvements politiques écologistes au sein des gouvernements, mais nous ne sommes plus dans la situation où le changement climatique serait le sujet d’un seul parti, nuance Chiara Martinelli. Le problème, et on le voit aussi au niveau européen plus globalement, est d’abord de lutter contre le négationnisme climatique, qui est toujours présent », analyse-t-elle.

La Grèce sort du charbon

Depuis cinq ans, l’Union européenne pousse malgré tout tous les pays membres à adopter des plans nationaux d’action climatique et de transition énergétique. Ces plans doivent permettre d’atteindre l’objectif adopté par l’UE de réduire de 55 % les émissions de gaz effet de serre du continent d’ici à 2030 (par rapport au niveau de 1990). Certains pays ont dans ce contexte adopté des mesures décisives.

Graphique montrant l'évolution du mix électrique grec de 2013 à 2023.
Evolution du mix électrique grec.

La Grèce, par exemple, a longtemps puisé l’essentiel de son électricité du charbon, très émetteur de gaz à effet de serre. Mais le pays a adopté en 2019 un plan de sortie du charbon d’ici à 2028 [2].

« C’est une très bonne décision, même si elle a été prise trop tard selon moi, analyse Nikos Mantzaris, de l’ONG grecque The Green Tank. La sortie du charbon est de toute façon en train d’arriver de facto. » La part du charbon dans le mix électrique grec est passée sous les 10 % en 2022, alors qu’elle était autour de 20 % encore en 2019. « Les performances climatiques de la Grèce se sont améliorées presque entièrement à cause de la réduction du lignite dans le mix électrique grec. À partir du moment où on a fermé les centrales à lignite, nos émissions ont baissé drastiquement. » 

La Grèce a aussi largement accéléré le développement des énergies renouvelables. Elles ne représentaient que 15 % du mix électrique grec en 2013, mais 48% sur les sept premiers mois de 2023 (avec l’hydraulique) ! Un rythme bien plus rapide qu’en France.

« La même chose vaut pour les projets citoyens ou de communautés de citoyenes d’installations de production d’énergies renouvelables, précise Nikos Mantzaris. Les demandes ont explosé entre novembre 2021 et novembre 2022. Je pense que ce n’est pas tant la conscience du changement climatique qui a conduit à ce progrès majeur, mais plutôt la crise de l’énergie. Les gens ont vu les factures d’énergie exploser et ont fait le lien avec la hausse des prix du gaz et des énergies fossiles. »

Reste que le gaz représente toujours 24 % de la consommation électrique grecque, même si sa part ne cesse de baisser. « La Grèce est tout à fait capable de sortir du gaz. Malheureusement, les décisions politiques vont dans la direction inverse, regrette l’analyste de The Green tank. On voit des projets lancés pour ouvrir trois centrales électriques à gaz supplémentaires, cinq terminaux de gaz naturel liquéfié, pour étendre l’utilisation du gaz pour le chauffage. Il y a un fossé entre ce qu’on voit sur le terrain, la capacité de se débarrasser de la dépendance au gaz, et ce qui est décidé pour le futur au niveau politique. »

60 % d’énergies renouvelables au Portugal

C’est un autre bon élève européen en matière d’énergies renouvelables. Au Portugal, plus de 60 % de la consommation électrique vient désormais des énergies renouvelables, dont 30 % de l’éolien (en dehors des îles de Madère et des Açores, qui dépendant toujours en majorité du fioul et du diesel).

Son voisin espagnol a atteint la proportion de 40 % de son électricité issu des énergies renouvelables. « Le gouvernement (de coalition de gauche, ndlr) a fait beaucoup en matière de politique climatique, c’est l’un des gouvernements les plus engagés d’Europe sur le sujet », vante Hector Tejero, dont la formation politique, Más Madrid, fait partie de la plateforme de gauche Sumar, alliée à la coalition gouvernementale.

« La ministre de la Transition écologique Teresa Ribera [Parti socialiste espagnol] aurait évidemment pu faire davantage, dit l’activiste écologiste. Mais le plan espagnol pour le climat qu’elle a fait adopter est l’un des plus avancés d’Europe. Elle a fait en sorte que l’Espagne se retire du Traité sur la charte de l’énergie [accusé d’empêcher toute politique de transition énergétique en faisant planer la menace d’attaque d’entreprises énergétiques contre les États], et a été leader en Europe pour s’opposer à la nouvelle taxonomie qui fait du gaz et du nucléaire des énergies vertes. Elle a aussi réduit les obligations environnementales pour certains, pas tous, les projets d’énergies renouvelables, ce qui a certes conduit à des conflits avec les organisations écologistes. »

Mais voilà qu’après les élections législatives de juin, on ne sait toujours pas de quelle couleur politique sera le prochain gouvernement. La droite du PPE a obtenu plus de sièges au Parlement et va tenter de former une coalition en septembre, même si elle ne détient pas en l’état de majorité, pas même en s’alliant avec l’extrême droite de Vox. « Le PPE n’est pas négationniste du changement climatique, mais il veut surtout ne rien faire très vite, il veut agir très très lentement », dénonce l’activiste écologiste.

La société civile italienne mobilisée

En Italie, les énergies renouvelables couvrent seulement 27 % de la consommation électrique. Le pays reste très dépendant du gaz [3]. Le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni, en place depuis fin 2022, minimise la réalité du changement climatique. Le ministre italien de l’Environnement a ainsi récemment déclaré ne pas savoir « dans quelle mesure le changement climatique est dû à l’homme et dans quelle mesure il est dû au changement climatique [naturel] de la Terre » [4].

En juillet, Giorgia Meloni a elle-même attaqué dans un clip vidéo lors d’un rassemblement du parti d’extrême droite espagnol Vox le «  fanatisme ultra-écologique de la gauche ». « Ils ne sont pas complètement négationnistes, mais accusent le mouvement environnemental d’être des extrémistes », résume Chiara Campione, de Greenpeace.

Pourtant, au début de l’été, le gouvernement italien a lui aussi transmis à l’UE son plan actualisé pour l’énergie et le climat. « L’idée de ce plan, c’est d’être réaliste sur ce qu’il est vraiment possible de faire. En un sens, c’est une bonne approche, analyse Chiara Di Mambro, chargé de recherche au think tank italien EccoClimate. Mais le gouvernement utilise cette approche pour justifier des choix qui ne sont pas justifiables. Par exemple, le plan ne prévoit aucune perspective de sortie du gaz, et prévoit un délai supplémentaire de sortie du charbon pour la région de Sardaigne, au-delà de la date établie jusqu’ici de 2025. »

« Malheureusement, les grandes entreprises d’énergies fossiles exercent encore un lobbying important », déplore Chiara Martinelli, du Climate Action Network. En janvier dernier, la Première ministre Giorgia Melon voyageait en Algérie aux côtés du patron de la multinationale italienne de l’énergie Eni pour négocier des contrats d’exports de gaz.

« La politique énergétique italienne est conduite par les entreprises d’énergies fossiles, en particulier Eni, dit sans détour Chiara Campione de Greenpeace. Et de l’autre côté, on met des pansements là où surviennent des événements climatiques extrêmes. Mais on manque d’une approche politique systémique du changement climatique, qui devrait en premier lieu consister à couper les ponts politiques avec les producteurs d’énergies fossiles, à réduire nos émissions, et à travailler sur l’adaptation. »

Le salut pourrait venir de la société civile italienne. En mai, deux ONG (Greenpeace et Re:Common) et des citoyenes italienes ont déposé plainte contre Eni et ses deux actionnaires principaux, qui sont le ministère de l’Économie et la Banque publique d’investissement italienne. Les plaignants attendent que la justice oblige Eni et l’Italie à respecter l’Accord de Paris sur le Climat, et à réduire vraiment, enfin, les émissions pour lutter contre le changement climatique.

Rachel Knaebel

Photo d’illustration : Un feu de forêt en Slovénie en 2022/CC BY-ND 2.0
EU Civil Protection and Humanitarian Aid via flickr.